1) Jennes pa konnet longè a chimen.. (extraits)
Par Camilus Rabin*
Au nom de notre président, Earl Lovelace, et de l’équipe de pilotage Guadeloupe, je vous souhaite la bienvenue ici ce soir ( …)
J’adresse un salut très particulier à l’équipe de musiciens cubains qui ont accepté avec joie notre invitation. Malgré une grande frayeur, ils sont là, pour quelques instants d’émerveillement. ( ..)
Il était tout à fait légitime que notre association rende un hommage à Ernest Pépin. Le projet était sur l’établi depuis de longs mois et s’inscrivait dans la dynamique qui nous a permis de participer à des hommages littéraires et artistiques rendus à Max Rippon, Simone Schwarz Bart, Maryse Condé, Frank Etienne, Max Jeanne. Et nous avons d’autres noms prestigieux en lice que nous souhaitons honorer.
Ernest Pépin, de concert avec le conseil régional et le professeur des universités Roger Toumson, a participé à la fondation de l’Association des écrivains de la Caraïbe et du Congrès du même nom. Il s’est impliqué dans sa direction et son animation avant que sa santé ne lui intime l’ordre de lever le pied.
Enfouie dans la mémoire Guadeloupéenne, une parole de sagesse nous indique que Jennès pa konnèt longè à chimen. é souvandfwa nou pa enmé monté si zépol a sa ki pigran ki nou pou nou lonviyé pi lwen (...)
Dans le domaine qui nous réunit ici, Ernest Pépin a tracé son sillon avec un certain talent. L’inventaire de ses romans, de ses nouvelles, de sa poésie, de ses multiples écrits et autres coups de plume déchirant le verso des silences, témoigne de son investissement et inspire de la fierté.
Il fait partie du cercle restreint de ces écrivains de notre terroir qui ont eu la chance d’être traduits dans la langue de Téofilo Stevenson. C’est une belle performance et au sein de l’association (AEC), nous caressons le rêve de voir d’autres auteurs guadeloupéens traduits en espagnol ou en anglais. Et à l’inverse nous souhaitons également participer à la traduction en français de quelques œuvres ou chef d’œuvres d’expression anglophone ou hispanophone
Cher Ernest,
Je vous invite donc à apprécier ce moment particulier offert à un Guadeloupéen, marqué, peut-être injustement, par le sentiment inquiet de ne pas être aimé, de ne pas être compris. Et pourtant, il ne chérit pas le devoir de haine, mais professe l’amour de soi, l’amour d’autrui.
Autrui, cet être qui est au centre de l’univers de chacun d’entre nous.
*Camilus Rabin
Administrateur délégué, trésorier.
Association des Ecrivains de la Caraïbe
2) Ernest Pépin, ou l’ambition d’être écrivain en Guadeloupe
par Christian Chery*
Ecrire en Guadeloupe n’est pas chose aisée, c’est le constat que font la plupart des écrivains qui se prêtent au jeu des entretiens sur leur art et leur situation de créateur. Ces difficultés quand on les recense sont de plusieurs ordres, depuis les plus prosaïques comme celles relevant de l’édition ou de la distribution, jusqu’à celles que nous pouvons dire plus idéologiques ou poétiques qui s’inscrivent dans la réflexion sur les questions d’imaginaire, des langues, des modes d’écriture. Ernest Pépin est bien entendu confronté à ces questions et notre propos est de montrer qu’il y apporte une réponse singulière dont nous pouvons affirmer qu’il a fait le choix de se confronter à ce réel guadeloupéen en explorant des territoires de création multiples tout en restant fidèle à son imaginaire personnel.
La lecture des œuvres d’Ernest Pépin, en effet, amène à constater autant de ruptures que de continuités. Cette diversité peut déconcerter et les jugements de ce fait sont parfois tranchés. Certains sont émerveillés devant la multiplicité de ses talents, tant par les sujets abordés que par les formes explorées. D’autres, regrettent qu’il n’ait approfondi ce qui semblait sa force créatrice la plus féconde : la poésie. Que l’on songe à la force de ce premier recueil : Au verso du silence, ou encore à Boucan de mots libres. Ernest Pépin est d’abord et avant tout un poète. De ce fait il poursuit une tradition d’écrivains de la Caraïbe qui parfois rencontrent la reconnaissance du grand public avec des œuvres romanesques, mais gardent en eux cette fureur poétique qui ne se dément pas tout au long de leur production littéraire. Il suffit de citer un de ses illustres devanciers, René Depestre, pour prendre la mesure de cette exigence intérieure. On ne le dira pas suffisamment, il est un poète, un écrivain qui regarde le monde à travers des formes nouvelles et qui par celles-ci tend à réinventer le sens. Pourtant il est bien conscient que les mots sont souvent « minés », qu’ils ne peuvent être conquis que sur l’absence ou alors par une stratégie de recréation :
« Cadran nostalgique »
Il arrive que mon silence t’appelle par des cris de dauphins en détresse
Alors dans ces moments où la fête de tes yeux danse très loin en déplaçant les bruits du jour sur un cadran nostalgique
Je te recrée
Il me suffit pour cela de prendre dans le bouquet du passé
Une fleur qui ne sait que les amours meurent aussi…
(Boucan de mots libres)
Il reçoit sa première consécration littéraire pour sa poésie en étant honoré par le prix « Casa de las Americas » en 1991 pour précisément ce recueil Boucan de mots libres. Ces poèmes, comme nombre de ceux qui sont antérieurs, mettent au centre de ses préoccupations, la parole qu’elle soit clairement inscrite dans un combat engagé contre son envers, son absence, le silence, Au verso du silence, porteur d’une certaine violence, Salve et salive, ou encore soulignant l’inaccompli de l’enfance, mais aussi l’espoir, Babil du songer, ou dans la lutte pour accéder à la liberté. Il dit d’ailleurs dans un de ses poèmes, ce qui est comme sa prière virile
Prenez ma parole
et ses grondements de fleuve
dans la gueule des ravines
je ne suis pas colère
à la solde des cyclones
Et depuis longtemps j’ai chevauché
le gonflement du cri
aux veines des rivières salées
Ce poète va emprunter par la suite d’autres voies littéraires pour dire le réel guadeloupéen, pour continuer cette « lente marche de poète » dont parle Anthony Phelps.
La parole est la sienne, mais aussi celle des autres et il est, peut-être même antérieurement à ses projets d’écriture, un lecteur, un critique, un analyste des textes de ses devanciers comme il sera par la suite de ceux de ses contemporains. D’ailleurs c’est avec une grande humilité qu’il reconnaît la dette contractée envers Aimé Césaire, qu’il admire continûment et dont certains de ses poèmes portent la trace ; ses lectures de Edouard Glissant qu’il cite très souvent. Il sera aussi « le compagnon de route » des écrivains de la créolité dont il partage l’ancrage dans un espace symbolique et concret qui résiste à une poétique de la domination. Nous pourrions rappeler ses lectures, ses commentaires de tant d’autres écrivains et pour ne citer qu’un exemple, je note son engagement pour la réhabilitation de Florette Morand, stigmatisée au nom d’une conception dogmatique et sclérosée de la poésie.
Le poète est un lecteur éclairé.
Il se fait romancier, sans renoncer à son lyrisme, aux fulgurances des images, aux mots qu’il débarrasse de la gangue du quotidien. Les titres de ses romans sont là pour en témoigner et résonnent parfois comme des manifestes poétiques : Le Tango de la haine, Cantique des tourterelles.
Le roman bénéficie de ce double avantage pour l’écrivain en Guadeloupe, celui de lui permettre de toucher un plus large public et celui d’aborder des sujets plus variés. On en a souvent souligné le caractère protéiforme qui, grâce à sa plasticité, autorise des essais, des recherches, linguistiques, poétiques, thématiques. Ernest Pépin, romancier y fait l’expérience des limites, tant des siennes que de celles des autres.
Michel Leiris a envisagé l’idée d’une ethnologie de soi dont Edouard Glissant s’est par la suite réclamé dans l’Intention poétique. On ne saurait trop rappeler combien la littérature de la Caraïbe francophone, depuis Jean Price- Mars, a mis en avant les entrelacements entre littérature et ethnologie et plus encore, entre littérature et sciences humaines. Ernest Pépin se situe dans cette continuité en plongeant ses lecteurs dans un univers romanesque qui joue avec habileté de l’élucidation du réel et de la manifestation de son opacité dans les contradictions qu’il recèle. Pour ne citer qu’un exemple le roman L’homme au bâton emprunte sa thématique à la croyance populaire, à la rumeur, aux histoires urbaines d’un rôdeur, être maléfique et merveilleux qui hante l’imaginaire populaire. Cet argument romanesque donne l’occasion à l’écrivain d’évoquer un monde récent qui a disparu, mais dont le présent porte encore la trace. L’écriture anime les rues, donne vie à des lieux, met en mouvement des êtres. La parole, encore elle, est donnée à tous : le peuple, les hommes d’église, les politiques, et le récit s’emballe dans une sorte d’allégresse vitale, dans un tourbillon carnavalesque qui n’a rien de dérisoire, car il suggère la joie et la souffrance, la vie des uns avec les autres, mais aussi contre les autres.
Nous pourrions décliner les romans d’Ernest Pépin en insistant sur ces différents aspects : portrait sociologique du délitement du couple et de l’engendrement destructeur voire mortifère dans la relation entre Abel et Nika (Tango de la haine). D’autres romans sont ceux de l’histoire immédiate tels l’Envers du décor ou Toxic island. Un autre encore s’ancre dans l’univers des maîtres- ka et de ces manifestations que sont les léwoz, Tambour- Babel . Toutes ces références ne font que renforcer l‘intuition selon laquelle le romancier est animé par cette ambition de s’inscrire dans le réel de la Guadeloupe, de se faire « l’indiciaire » des mutations de son île, d’écrire la Guadeloupe et d’écrire en Guadeloupe.
En outre, et ce n’est pas la moindre de ses caractéristiques, au cœur de ses récits il y a toujours la thématique de l’amour qui lui permet de regarder son peuple, d’explorer sa terre, de s’approprier sa culture, d’inventorier le langage, avec une gourmandise voluptueuse, un plaisir sensuel.
Une autre tension traverse nombre de ses pages, c’est celle de l’essayiste qui ne peut regarder son environnement dans « l’attitude stérile du spectateur » et qui s’engage. Il lui faut commenter, intervenir dans son récit, donner le sens. Il arrive que la narration soit interrompue par les interventions du narrateur, ce qui ne manque pas de déranger le lecteur, car l’auteur lui conteste sa liberté. Ce lecteur pourrait préférer à ses analyses excessivement orientées, la force du récit qui se suffirait et qui garderait, de ce fait, sa puissance évocatrice et son exigence esthétique. Elle maintiendrait la connivence entre la production de la forme et sa réception.
Il n’en demeure pas moins que l’œuvre d’Ernest Pépin est une totalité mue par deux lignes de force précédemment évoquées : la poésie et la célébration de l’amour. Tout cela ressortissant de cette ambition qui nous semble aller en grandissant, écrire dans un territoire où l’écriture n’est pas historicisée, délivrer une parole dans un lieu où la parole est minée, dire l’intime, alors que celui-ci est suspect, représenter le réel alors que les signes en sont brouillés.
Il reste aux lecteurs « à venir » la tâche d’engager le travail de lecture critique de cette œuvre qui ouvre tant de voies, et je veux citer ce vers d’Aimé Césaire qui clame la hauteur de nos exigences : « Seul le dur est arable ».
Conseil d’administration de l'AEC |
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Camejo Vento | Ariel | Cuba |
Carvigan-Cassin | Laura | Guadeloupe |
Foix | Alain | Guadeloupe |
Lafleur | Marie-Rose | Guadeloupe |
Pierre | Alix | Guadeloupe |
Pineau | Gisèle | Guadeloupe |
Faithful | Francesca | Guadeloupe |
Mont-Erarg Alidor | Julénia | Guadeloupe |
Mannette | Didyer | Guadeloupe |
Rabin | Camilus | Guadeloupe |
Trouillot | Lyonel | Haïti |
Des rosiers | Joël | Haïti |
Batraville | Dominique | Haïti |
East | Beverley | Jamaïque |
Alaric | Alexandre | Martinique |
Merced | Grisselle | Porto-Rico |
Blanco | Délia | République Dominicaine |
Dixon Ernest | Mac Donald | Sainte-Lucie |
Lee | John Robert | Sainte-Lucie |
Lovelace | Earl | Trinidad & Tobago |
Nunez | Elizabeth | Trinidad & Tobago |
Bansart | Andrés | Venezuela |
3) Une belle rencontre avec une figure de proue de notre littérature (extraits)
Par Georges Bredent*
En 1966, à l’aube de l’adolescence, ma route croisa celle d’Ernest Pépin dans une école de Castel Lamentin. J’étais colon, il était moniteur de colonie de vacances. Il courait sur ses 17 ans, ce qui était bien en deçà de l’âge moyen des moniteurs de l’époque. Il devait sans doute ce privilège à un ami de son père, M Serge Pernelle E, et aussi, à un brillant parcours scolaire à l’École Normale. Reste que du haut de son mètre soixante cinq, il ne lui était pas facile de négocier avec des jeunes de 13, 14 ans souvent plus costauds… C’est alors que vint à Ernest l’idée de s’appuyer sur la confrérie des aînés de la colo à laquelle j’appartenais. Et de fait, à partir de ce moment-là, nous devînmes les relais de notre moniteur auprès des jeunes pousses de la colonie : un peu de paix au dortoir contre des parties de football à rallonges sur le goudron noir et chaud de la cour de récréation de l’école ! Le pacte était ainsi passé.
Quelques années plus tard, de retour au pays pour deux mois de vacances après ses premiers pas dans les études médicales,mon frère aîné Gérard décida de me faire connaitre son cercle d’amis. Quelle ne fut ma surprise de découvrir parmi ceux-ci un chaben au look branché ( …)
Durant toutes ces années d’amitié et de « compagnonnage » intellectuel, nous ne savions pas que nos parcours allaient converger quand j’allais présider la commission des affaires culturelles et du patrimoine du conseil général alors que lui-même dirigeait ce secteur au sein de la dite collectivité. C’était pour moi un heureux hasard ! (..)
Nous échangions sur tout ce qui nous semblait relever d’une politique culturelle digne de ce nom : le renforcement de la mémoire collective ; le développement des facultés créatrices ; la nécessité d’encourager la pensée pour faire émerger des femmes et des hommes capables de relever les grands défis de leur temps ; la démocratisation de l ’accès aux arts … ( )
Écrivain de talent, Ernest mettait souvent sa plume au service de la collectivité soit pour éclairer des pages sombres de notre histoire(mai 67 : Manman la grev baré mwen), soit pour apporter son grain de sel à la formation des publics (fonds d’art contemporain), soit pour tenter de réconcilier les guadeloupéens avec un poète incompris(conférence sur St John Perse), soit pour remuer des lettres, des images et des formes. (..)
Tout au long de ma mandature, nous eûmes à faire des choix déterminant pour la qualité de notre rapport à nous même, à notre environnement caribéen, et au reste de la planète…Et on convoqua tous les majors du pays pour recréer l’univers des habitations fait de contes créoles et de lewoz. Et on redonna à la biguine ses lettres de noblesse. Et on fit revivre la fête de la Saint-Eloi pour remettre au goût du jour les ritualités urbaines. Et les forts de la Caraïbe se mirent à dialoguer sur le pont de la fraternité à l’occasion d’une fête qui leur était dédiée …
D’avoir vécu tout cela ensemble m’a permis de mieux apprécier les contours de l’action d’Ernest pour l’épanouissement culturel des guadeloupéens. Et puisque hommage littéraire et artistique lui est aujourd’hui rendu, je mêle ma voix au bouquet de voix amies pour lui exprimer ma gratitude.
*Georges Bredent
Président de la Commission Culture
du Conseil régional de Guadeloupe
4) Raphael Confiant rend Hommage à Ernest Pépin
Ernes O, an kontan vwè péyi a'w, bel péyi a'w la, ka rann vou omaj oswa-la. Lontan vou é mwen nou konet é nou ja ay ansanm on paket koté atravè lèmonn. Menmsi ou ka maké roman osi, ou sé dabò on poet, on gran poet, é an toujou té ka admiré'w lè ou vwè nou té alétranjé é ou té ka résité oben li poem a'w douvan on asistans ki té ka rété zié gran wouvè afos pawol a'w bel.
Ernes O, litérati sé on mwayen pou déklaré kè nou, nonm, nou pa dakò èvè enjistis a lavi é prèmié enjistis-la sé kè pon moun pa savé ki sans vi an nou tini.
La littérature s'insurge contre l'absurdité de notre existence. Elle est devenue une bouée dans un monde où Dieu est mort et où de faux prophètes parlent à sa place.
"Tambou-Babel", tu résonneras pour toujours dans nos cœurs et nos têtes ! Woulo ba'w, ernes !