
Guadeloupe. Cinéma. Fanon, l’homme, la pensée, le combat
Abymes. 15 avril 2025. CCN. Un film magistral de Jean-Claude Barny. Il est des films qui ne se regardent pas seulement : ils s’impriment en nous, remuent notre pensée, ravivent des mémoires enfouies, et ouvrent des perspectives. « Fanon », de Jean-Claude Barny, est de ceux-là. Présenté comme un biopic, ce film nous plonge dans l’intimité et les combats d’un homme hors du commun : Frantz Fanon, psychiatre, penseur révolutionnaire, militant de la libération des peuples colonisés. Un récit intense porté par une esthétique marquante
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Une autre manière de soigner
Ce qui frappe dès les premières scènes, c’est l’humanité qui habite Fanon dans sa pratique de la psychiatrie. Le film nous montre comment il s’est opposé à la contention, la torture psychologique, la violence institutionnelle, à la déshumanisation, pour défendre une autre vision du soin : pour proposer une approche fondée sur l’écoute, l’altérité et la réparation de l’âme, une approche du soin qui considère l’être humain dans toute sa complexité, avec dignité et sensibilité. On assiste à un bouleversement silencieux mais profond : celui d’une médecine qui choisit l’écoute plutôt que la contrainte.
Un miroir de la pensée fanonienne
Jean-Claude Barny restitue avec finesse l’ambition radicale de désaliénation qui habite l’œuvre de Fanon, en particulier face aux logiques coloniales. Le film ne triche pas : il expose la double aliénation – celle du colonisé, et celle du colon – avec la densité nécessaire, sans lourdeur. Il met en lumière ce que Fanon n’a eu de cesse de dénoncer : l’enfermement psychique imposé par le système colonial, et la nécessité d’un combat autant intérieur que politique pour se libérer.

Un jeu d’acteurs habité, une réalisation élégante
La mise en scène est d’une beauté sobre, avec des plans élégants qui magnifient les décors sans jamais trahir la rigueur du propos. La lumière douce, les intérieurs épurés, les paysages choisis avec soin donnent une profondeur particulière à l’image. On est dans une forme de beauté retenue, qui renforce l’émotion sans jamais la forcer. Ce raffinement se retrouve aussi dans les costumes, notamment ceux du personnage principal. Alexandre Bouyer, qui incarne Fanon, est tout simplement magnétique. Par sa prestance, ses regards, ses silences, il donne à voir un homme habité par un feu intérieur, toujours contenu, jamais dans l’excès. Son jeu est d’une intensité rare, tout en finesse. À ses côtés, le personnage de sa femme émerge comme un véritable socle. Secrétaire, conseillère, miroir, témoin : elle est celle qui tient, soutient, et parfois confronte, soulignant combien les grandes trajectoires intellectuelles sont aussi des histoires d’équilibre, d’amour et de solidarité.

Une musique qui enveloppe et élève
La bande-son de Fanon mérite également d’être saluée. Entre les notes de oud, les sonorités chaâbi algériennes et les touches de jazz, la musique installe un climat délicat, introspectif et poétique. Elle accompagne les silences, les conflits intérieurs, les souvenirs, sans jamais prendre le dessus. Elle est le fil invisible de l’émotion.
Une œuvre nécessaire pour les générations futures
Plus qu’un film historique, Fanon est un film nécessaire qui établit aussi un parallèle saisissant entre la lutte algérienne et les réalités postcoloniales vécues aux Antilles, faisant écho à nos héritages, à nos silences, à nos résistances. À une époque où les formes modernes de domination et d’aliénation continuent de peser, ce long-métrage nous rappelle l’importance de la pensée critique, du soin de l’autre, et de la responsabilité collective dans la construction de sociétés justes. À travers la pensée de Fanon, le film nous rappelle que le colonialisme n’est pas qu’un fait du passé : il a laissé des traces profondes dans les esprits, dans les comportements, dans les structures sociales. Alors que le film Zion de Nelson Foix a récemment frappé fort en Guadeloupe en proposant un récit urbain ancré dans la réalité sociale antillaise, le film Fanon de Jean-Claude Barny vient à son tour inscrire un jalon majeur dans l’évolution du cinéma caribéen. En écho à Zion, qui explorait la jeunesse guadeloupéenne contemporaine et ses blessures, Fanon nous ramène à la source des fractures, en nous donnant les clés pour mieux les comprendre.
Un film à montrer, à débattre, à transmettre qui rend fier d’être Guadeloupéen. Zion, Fanon… Deux œuvres, deux visions, une même direction : celle d’un cinéma caribéen qui prend son envol avec force, authenticité et ambition.
Et ce n’est que le début.
Imane Sioudan