Amerique Latine. Lundi 13 décembre 2021. CCN/Bolivarinfos/Françoise Lopez. L’une des grandes faiblesses du progressisme latino-américain est l’absence d’une culture populaire de gauche, alternative et rayonnante et cela explique ses défaites partielles, affirme Álvaro García Linera.
Pour lui, malgré les victoires aux élections et les victoires des idées progressistes dans la région, le néolibéralisme a déposé un sentiment commun qui va au-delà de qui est au gouvernement, déclare-t-il lors d’une conversation avec La Jornada sur le progressisme, la gauche, la droite et la culture populaire. A la suite, la fin de cette interview :
– Il semblerait que dans des pays comme le Chili, le Salvador et l’Equateur, la droite ait réussi à gagner non seulement les électiosn mais aussi l’imaginaire des secteurs moyens et populaires. Comment expliquer ce phénomène ?
Et pas seulement là…
« Dans les expériences progressistes, l’imaginaire néolibéral en tant que culture de masse n’a pas encore été démantelé. Evidemment, il y a eu des moments de rupture, de stupeur et d’ouverture cognitive à certains endroits mais 40 ans dé néolibéralisme ont déposé un sentiment commun qui va au-delà de qui est au gouvernement, de si l’etat doit te protéger. Cela a déposé une autre sorte d’attentes personnelles.
Le progressisme n’est pas le dépassement de la culture néolibérale. C’est un processus de lutte contre cette culture. Avec des hauts et des bas, il a avancé sur d’autres aspects mais sur celui-ci et dans d’autres encore, la bataille n’a pas encore eu lieu. Il y a des cas dans lesquels il n’est même pas présent en tant que lutte partielle contre la culture néolibérale. Là, la domination néolibérale est presque absolue.
Ce n’est qu’une prédominance ennuyeuse, ce n’est pas un axiome, il y a des doutes. Dans les années 90, le néolibéralisme a mis en plac eune série d’axiomes de vie que les gens ont assumés indiscutablement comme si c’était quelque chose de naturel. Aujourd’hui, dans les expériences progressistes, mais aussi dans des pays comme la Colombie, le Salvador, le Guatemala, en Europe même, c’est un discours qui commence à marcher à cloche pied, à faire de faux pas, il trébuche sur les marches, il est maladroit dans la montée, en marchant dans la rue ? Il commence à montrer des fissures.
Dans les pays où le progressisme a triomphé, ces fissures ont été mises à profit pour tenter de stimuler avec des faux pas, une nouvelle culture encore partielle, moyennement encouragée mais je sens que tôt ou tard, cette nouvelle culture va surgir également dans d’autres lieux.
– Où pourrait-elle surgir ?
La Colombie a été ce que fut le Chile dans les années 90. Au XXI ème siècle, il est devenu un pays dans lequel, avec les franchises de Walt Disney, la promotion de ses artistes, la présence militaire nord-américiane débordante et l’imaginaire disant que c’est la suite de Miami en Amérique Latine, les Etats-Unis ont renforcé un modèle.
C’est un modèle dans lequel oui ou oui, un néolibéralisme du sud fonctionne bien, soumis, vassal du néolibéralisme du nord dans lequel els représentants des Etats-Unis se réunissent avec des patrons det des politiciens colombiens, dans lequel les universités colombiennes sont ouvertes aux nord-américaines, dans lequel la culture populaire est reconnue par Hollywood.
Mais regarde : là-bas, il y a eu une gigantesque mobilisation de rejet de tout cela. Certainement, elle n’a pas réussi à se transférer dans le domaine politique et cela montre que l’action collective doit avoir une stratégie pour pouvoir irradier vers un fait politique. Mais dans ce qu’est le nouveau Chili des années 2020, il s’est produit un tremblement, une fissure. Je suis sûr que cela va continuer dans le reste des pays du continent.
– Dans les années 60 et 70, la gauche latino-américaine avait unepuissance culturelle formidable. Sa production lusicale, litté »raire, graphique, était exceptionnelle. Où est l’oeuvre culturelle du progressisme ?
Cette culture de gaucha a limenté la force politique, les cadres et la connaissance de la réalité des progressismes. La gauche des années 60 n’a pas été à l’origine du progressisme mais l’a alimenté et lui a donné un calme intérieur, une espèce de tendeurs intérieurs, petits mais très solides.
Je prends l’exemple de la Bolivie. L’émergence de l’indigène-paysan n’a rien à voir avec la gauche des années 60. Rien. Pire, pour elle, ce osnt des acteurs de second rang, une petite bourgeoisie qui allait voir comment les ouvriers faisaient la révolution. L’émergence paysanne est issue d’autres secteurs, d’autres expériences.
Au moment des grandes insurrections collectives, cette gauche matérialisée par le néolibéralisme avec la présence urbaine, puissante dans les années 60, 70 et 80, 90 , ressurgit. Et elle est appelée par le progressisme comme faisant partie de ses cadres, dans le domaine des moments réprimés des batailles idéologiques avant les victoires électorales.
Je suis convaincu qu’avant de gagner les élections, on gagne toujours dans le domaine des idées bien que ce soit de façon partielle. Et là, la vieille gauche, les vieux cadres ont aidé à un moment précis. Ils ont su comprendre que c’était le moment, ils n’ont pas attendu. Certaisn l’ont fait et sont restés dans leur cubiculum, en attendant l’arrivée du socialisme ou du communisme mais une autre partie s’est engagée. Ils ont compris que là, se trouvait le peuple et ces cadres ont aidé à penser et à enrichir aussi bien la gestion que la discussion politique.
Mais le nouveau progressisme n’a eu ni le temps ni la regard lucide pour élargir cette culture de gauche. Il l’a fait très lentement ou dans certains cas, le l’a pas fait du tout.
Je ne sais pas si la Bolivie est un exemple assez extrême. Paradoxalement, dans les année 60 et 70, elle possédait une culture de gauche de la classe moyenne. Mais ce sont les Indiens qui ont fait la révolution dans les années 2000, pas la classe moyenne. La classe moyenne s’y est jointe. Cela indique la radicalité du processus, une émergence indigène et populaire bien plébéienne, bien d’en bas.
C’est comme un autre monde dans lequel le marchand de tacos devient minsitre et ensuite retourne vendre des tacos. Ce n’est pas le type qui deient rupin et vit dans le Pedregal dans un manoir parce qu’il est dirigeant social.
– Une nouvelle culture de gauche est-elle née ?
L’une des erreurs du progressisme, qu’a faite la Bolivie est de ne pas avoir eu assez de temps pour produire une nouvelle culture de gauche avec cette empreinte indigène. Maintenant, pas la précédente. Ça ne peut pas être la précédente en provenance de ce regard radical de la classe moyenne parce que maintenant, le plébéien est dans la rue. Mais même ainsi, on n’a pas eu le temps et la capacité de créer une culture.
C’est pourquoi je disais que la culture néolibérale n’a pas été vaincue. Nous lui avons fait des fissures, elle est fêlée, elle a des fentes mais elle n’a pas été remplacée par une nouvelle armature culturelle.
Quand vas-tu pouvoir désarmer l’armature culturelle néolibérale ? Quand tu as une culture populaire de gauche, alternative et rayonnante avec de nouveaux axes d’organisation de la vie quotidienne.
C’est l’une des grosses faiblesses du progressisme et cela explique ses défaites partielles parce que si on y avait réussi, on aurait eu un cycle de longue haleine, de 3 ou 4 décennies au moins mais on a eu une vague de 15 ans et maintenant, une autre revient. Je ne suis pas sûr qu’elle durera encore 15 ou 20 ans. Non.
Le grand débat sur les nouvelles structures culturelles d’organisation dce la vie quotidienne n’est pas encore de ton côté. Tu n’as pas encore sur le continent une culture de gauche, une culture populaire, radicale avec des récits de gauches triomphantes.
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos