Débat Politique : Quel avenir pour la Guadeloupe ?
Pointe à Pitre Vendredi 6 Septembre 2024.CCN. La Rédaction de CCN a souhaité avoir le point de vue et l’analyse de 3 contributeurs sur l’avenir politique de notre pays.
Nous débutons avec l’article Christelle Nanor, auteure du livre « Le Rêve Guadeloupéen ». Suivront sur CCN, 2 autres contributions. Après la publication de ces 3 articles nous retrouverons les 3 contributeurs lors d’un débat télévisé le mardi 24 septembre dans le ZCL NEWS diffusé sur CANAL 10. C’est à suivre…
L’avenir politique de la Guadeloupe by Christelle Nanor
Bienheureux ceux qui pensent savoir ce que l’avenir politique nous réserve tant au niveau national que localement en Guadeloupe.
L’actualité politique de ces dernières semaines a été un festival extraordinaire de rebondissements. Commençons par le national. De manière succincte, faisons un rapide tour d’horizon des récents grands évènements. Les élections européennes les 6 et 9 juin 2024 ont donné une furieuse envie à notre président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée
Nationale dès l’annonce des résultats. S’en sont suivies les élections législatives du 29 juin et du 6 juillet dernier qui ont changé le visage du Parlement français.
Depuis cette décision le président fait couler beaucoup d’encre. Je le compare à Dick Cheney, ancien vice-président des États-Unis. Ces deux hommes font tout ce qui n’est pas attendu ou habituel de la part d’hommes ayant leur position sur l’échiquier politique. Ce président pousse l’utilisation de son pouvoir au plus loin, c’est cela « son style ». La compréhension de ce style semble ne pas être à la portée des experts dont la réflexion est basée sur les apprentissages de la politique classique ou leurs connaissances de l’histoire politique de la France.
De ce fait, chaque spécialiste politique qui tente de disséquer ou d’expliquer la stratégie de gouvernance du président prend un grand risque de se tromper. Le formatage politique actuel mène les politologues à être constamment surpris de chaque intervention ou décision présidentielle.
La pensée émanant entre autres de la NFP (Nouveau Front Populaire) consiste à dire que le pays est sur le point de sombrer car aucun premier ministre (de leur camp) n’est nommé, aucun gouvernement n’est en place. La France n’avait jamais connu un moment de flottement aussi long entre deux gouvernements, d’où ce sentiment de panique palpable. Rappelons qu’il a été possible de gérer, malgré cela, un événement international comme les JO 2024.
Le gouvernement démissionnaire a le droit de gérer les affaires courantes même si ce terme n’est pas juridiquement clair. Il semblerait que la création et le vote de budget par exemple, ne fasse pas partie des affaires courantes, ainsi, cela signifie que l’augmentation de la dette sera, durant encore quelque temps, stoppée.
Il est possible de voir les conséquences des résultats des élections européennes comme un message envoyé par le président à la nation : « quand vous êtes trop nombreux à voter pour l’extrême droite, le monde politique dysfonctionne » ou encore « c’est votre faute population française si je suis contraint de mettre la pagaille ».
Localement rien n’a profondément changé dans le paysage à l’issue de ces élections. Les campagnes ont donné la possibilité à de nouvelles personnalités d’émerger, de se faire connaître. D’autres déjà connues ailleurs ont profité de cette opportunité pour augmenter leur visibilité médiatique.
Le principal problème que nous rencontrons localement à l’issue de l’élection législative concerne le ralentissement dans les propositions de projet de loi portés par nos députés avant l’élection, qui restent en attente.
Durant cette campagne, nous avons à nouveau pu constater que la connaissance de la population sur le rôle des élus, et singulièrement sur celui des députés, n’était pas toujours au rendez-vous.
Cette élection a prouvé, une fois de plus, que sous nos latitudes, le vote est malheureusement encore trop dirigé vers des personnes plutôt que vers des idées. Tant que cette manière de considérer la politique n’évoluera pas, notre Guadeloupe n’évoluera pas non plus vers la résolution durable de nos problématiques.
En parlant d’évolution, nous ne pouvons pas passer à côté de celle proposée par le président de l’institution départementale. A l’issue du dernier congrès, nos élus se félicitent d’être tombés d’accord sur 4 résolutions. La première veut accorder à notre territoire un pouvoir normatif (décider des normes en vigueur) sur l’aménagement du territoire, le développement économique, le droit au travail, la fiscalité, l’éducation et la recherche ainsi que la création d’établissements publics. La seconde porte sur la possibilité de revoir la répartition des compétences entre le pouvoir chez nous et en France. . La troisième propose la création d’une collectivité unique gouvernée par 60 élus provenant de l’ensemble de l’archipel. La quatrième résolution quant à elle souhaite nous offrir la liberté de choisir notre drapeau et notre hymne.
Tout cela est très bien, car il fallait après 17 congrès infructueux que des avancées soient soumises à la population guadeloupéenne. Il reste à voir, quand l’heure sera venue de rentrer dans le détail de ces résolutions, ce que ces promesses apporteront au quotidien à la population en termes d’efficacité dans les prises de décisions locales et en résultats concrets.
Le problème majeur pour la Guadeloupe, de mon point de vue, reste le manque de perspectives et de visions globales d’avenir.
En effet, quand nous faisons l’analyse, pour exemple, des investissements de l’institution régionale dans le développement économique de la Guadeloupe, nous constatons une enveloppe de plus de 68 millions d’euros en 2022 contre un peu plus de 47 millions d’euros en 2023. Cette baisse donne le sentiment d’un manque de considération de l’urgence de créer de l’activité économique et de créer des emplois qui maintiendraient les talents locaux sur place ou favoriseraient leur retour.
Dans mon ouvrage « Le Rêve Guadeloupéen, Vers un Meilleur Avenir », après la réforme sur la fiscalité et un ensemble d’autres évolutions, je prouve la possibilité d’injecter dans le développement économique et l’innovation près de 250 millions d’euros par an.
En écoutant certains spécialistes politiques, j’ai appris des choses nouvelles sur le premier président de Région feu Félix Proto. Il est souvent présenté comme un visionnaire et un bâtisseur. Nous lui devons un développement des infrastructures significatif. Selon ses proches, il aspirait à effectuer un second mandat afin de changer ses priorités de développement, passant ainsi d’un rattrapage de développement d’infrastructures vers une priorité de développement économique. Je pense, en observant les choix politiques de ces 30 dernières années, que, du fait que Félix Proto n’a pu faire ce second mandat, les élus qui lui ont succédé n’ont cessé de s’inspirer de ses réalisations et ont ainsi manquer d’exemples, de repères dans le but de développer l’économie de notre territoire comme il se doit.
La colonne vertébrale de l’action politique locale consiste à ne faire que ce qui se voit durant le temps du mandat. Or, certaines décisions politiques sont comme des arbres fruitiers, elles prennent du temps à porter des fruits.
Ainsi, aujourd’hui nous manquons de visionnaires, de leaders politiques capables d’être plus que des représentants de partis de Droite, de Gauche, du Centre ou des extrêmes.
Nous manquons d’humilité, de sagesse, de respect, de confiance mutuelle pour mettre en priorité de toute démarche politique la satisfaction de la population guadeloupéenne.
Devons-nous pour autant être défaitistes et démissionnaires ? Bien sûr que non.
Celles et ceux qui ont déjà eu le privilège de gouverner ont prouver ce qu’ils étaient en mesure de réaliser avec les résultats que nous connaissons. Il ne tient qu’à nous de savoir si nous préférons le statu quo dans le développement de notre territoire, auquel cas il ne faut rien changé au paysage politique local, ou, le changement et le risque de nous ouvrir à de nombreuses opportunités.
Il est temps pour notre génération de choisir entre l’observation passive de la dégradation de la qualité de vie de notre population ou l’action, source potentielle de succès et de réussite pour l’avenir.
Je terminerai avec une phrase par laquelle j’ai commencé mon livre empruntée à Frantz Fanon pour dire : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ».
Christelle Nanor
Guadeloupéenne, Femme politique et Auteure
27/08/2024 (article redigé avant la Nomination du nouveau Premier Ministre Francais)
J’ajouterai au regard d’une expertise de 45 années de présence active au sein de ce merveilleux pays que je continu d’entretenir à près de 70 ans, que le “manque” au sens large que vous évoquez est aussi et surtout le manque de formation, de professionnalisme, d’une trop grande partie des acteurs que composent les actifs de l’île, et dont les composantes et attributs sont à la fois visibles dans les univers politiques, mais aussi économiques et autres, au constat flagrant de manque d’organisation, de rigueur, de réactivité, de responsabilité et de sérieux. Je fais impasse sur ce manque d’éducation fort présent aussi, cette omni présence dans les milieux de pouvoir, de considérer toujours “les femmes jolies” comme des objets de distraction légère, sans qu’aucun mouvement digne de ce nom n’est encore vu le jour pour dénoncer pareilles ignominies, et pour finir ce positionnement de racisme inversé qui se développe et se répand dans toutes les strates médiatiques et politiques de l’île. Ces mêmes individus qui n’ayant rien fait de concret pour faire avancer ni même aider leur compatriotes, mais qui prétendent et avancent avec leur gros sabots des inepties qui feraient pâlir nos râcounes. Bien à vous lire,
Superbe publication d’actualité !
Je vais bien entendu me procurer l’ouvrage de Christelle NANOR, écrivain, essayiste des temps modernes tournée vers les temps du futur, pour quel futur ? La présentation du livre face aux “marches” démontre qu’une recherche de liberté est toujours présente. On retrouve d’ailleurs ce souhait dans la plupart des régions de l’Hexagone qui ont connues, jadis, des périodes difficiles de privation de liberté. Le volet sensible du “normatif délocalisé” devient une préoccupation générale, alimenté par une culture latine européenne ayant une certaine faiblesse dans le respect des règles en général, notamment celles des obligations, accentuées à l’épreuve des risques d’évolution climatique et de fait économique.
La Guadeloupe, mon territoire de résidence alternée de métro guadeloupéen depuis 40 ans n’échappe pas à ce besoin, tout en ayant la chance d’occuper géographiquement une place privilégiée sur la planète, offrant des perspectives de qualité de vie exceptionnelles si les acteurs politiques et économiques parviennent à en maîtriser les registres.