France. Cinéma : quand le cultuel soutient le culturel
Cannes. Jeudi 19 octobre 2023. CCN. Le Festival International du film Panafricain (FIFP) fête ses 20 ans cette année, avec une particularité marquée cette fois-ci du sceau de la tradition ancestrale.
Avant même la cérémonie d’ouverture, l’accueil de leurs majestés les rois Sawa (Peuples de l’eau originaires du Cameroun) à leur descente de l’avion, avec tous les honneurs dus à leurs rangs, atteste de l’importance du respect des traditions.
Sous l’influence et l’autorité des chefs de cantons, des rituels de démarrage et autres actes de bénédiction de ceux-ci ont déjà commencé à avoir lieu. Ce seront les garants de la bonne réussite de l’événement du début à la fin.
Et bien sûr un appel aux ancêtres est indispensable, comme avant toute initiative ou tout projet essentiel. Les ancêtres sont en effet toujours sollicités en Afrique, avant toute organisation et afin que chacun puisse être guidé dans ses missions, en harmonie avec sa lignée ou son clan mais aussi avec tous, et pour le bien de toute la communauté.
Offrandes, chants sacrés, musique traditionnelle et danse peuvent venir ponctuer ces rituels chargés de spiritualité.
La venue des monarques sur le sol français pour soutenir une action culturelle panafricaine est donc un symbole fort et s’annonce haut en couleurs. Au delà des bénédictions d’usage, il s’agit de donner à toute la diaspora africaine la visibilité qu’elle mérite à Cannes, ville-phare du cinéma.
L’importance de la place du Monarque, héritier du titre de ses ascendants royaux, montre la sagesse des traditions africaines perdurant dans ce monde moderne. Car les rois, reines, princes et princesses sont censés être les garants, toujours à l’œuvre, de l’équité et de la justice.
Un des Rois Sawa invités nous a confié « Un chef parle peu mais bien, car il doit cultiver à la fois l’humilité et la sagesse ».
Oui l’humilité est essentielle car le chef lui-même tire son pouvoir de ses ancêtres et des divinités protectrices de ceux-ci et de son clan. Son action, sa parole sont guidées et inspirées afin de rendre la justice dans le canton qu’il dirige. Nombre de conflits trouvent leur résolution dans la visite conjuguée des deux parties chez le roi du village. Son rôle est donc essentiel à la cohésion sociale et à la préservation des traditions.
- Pourquoi principalement des chefs Sawa ici ?
D’abord le président fondateur du festival, Basile NGANGUE EBELLE fait lui-même partie du peuple Sawa, de Douala au Cameroun. Il a donc choisi de mettre à l’honneur la tradition du N’GONDO, ainsi que la Ville de Douala, par la présence du maire d’un de ses arrondissements.
En effet le festival se combinera cette année de manière tout aussi exceptionnelle avec la fête du N’GONDO, véritable institution exportée pour l’occasion à Cannes. C’est une fête traditionnelle et rituelle des peuples Sawa du Littoral camerounais, qui a traditionnellement lieu au mois de novembre pour célébrer les divinités de l’eau.
Voilà pourquoi le programme de cette vingtième année comprend divers événements autour du thème de l’eau dans cette célèbre ville balnéaire.
Notons que cet événement, tout comme le Festival International du Film panafricain, est encadré comme à l’habitude par l’association Nord-Sud développement, qui mène par ailleurs d’autres activités culturelles.
Malheureusement, nous africains descendants des déportés réduits en esclavage dans les enclos de l’état francais, avons perdu nos repères cultuels ; et ainsi l’héritage de nos divers ancêtres monarques marqués de la protection de leurs génies tutélaires.
Nous tentons maintenant tant bien que mal de retrouver le fondement de ces repères ancestraux en les recréant à notre tour à notre manière. A nous aussi de tenter de les retransmettre, à travers la culture, en faisant écho à la dignité de nos aïeux, sous l’œil reconnaissant et bienveillant de ceux-ci dans nos îles.
Maryse Isimat-Mirin,
*membre du jury 2023, auteure de : Lettre d’une future ancêtre à ses afrodescendants.
PS.
Je dédie cet article à mon ancêtre OBA Patience déportée du Royaume du Dahomey vers Karukera, île de Guadeloupe, par la cale du bateau, et décédée sur une plantation en 1825…