Doctorat Honoris Causa
Senklod Lendi 7 novanm 2022. CCN. NI on paket tan, on nonm ki Alman ka woulé é pôté bon mannèv a si tou sa ki an laliwondaja lang kreyol, boug la sa, non a y sé: Ralph Ludwig. Simenn pasé linivèsité Gwadloup é Matnik ( LGM) gloriyé‘y é fè y vin Met Doktè. Sé Michel Jofwa, prezidan LGM – la ki fè yo met wob jôn-la- si Ralph Ludwig ; Sa fét andidan zanfitéyat Wojé Toumson douvan onlo zétidyan senklod. Es a sé larel a lang Kréyol ki fè nou pa vwè pon nouvelis a RCi, Gwadloup 1 é Fwansanti. CCN trapé diskou a Michel Jofwa é ta Paskal NAnou: pwan tan li yo..
Nous sommes réunis aujourd’hui au sein de l’amphithéâtre Gerty Archimède pour célébrer la langue de Guadeloupe et de Martinique en honorant d’un doctorat honoris causa un éminent linguiste, titulaire de la chaire de linguistique romane (français et espagnol) de l’université Martin Luther de Halle – Wittenberg. J’ai l’immense plaisir de vous accueillir ici, Professeur Ludwig, au sein de la faculté des lettres Roger Toumson, au milieu de nos étudiants mais aussi entouré de vos pairs de Guadeloupe et de Martinique, qui ont bienveillamment et amicalement fait le déplacement afin de voir vos travaux et votre implication universitaires couronnés par l’enseignement supérieur français.
Vous voilà donc ici en Guadeloupe, un archipel que vous connaissez bien, et dont vous avez si profondément étudié la langue. La langue, cet élément clé de la culture, ce système de signes qui permet d’élargir notre connaissance et d’interagir avec d’autres régions du monde. La langue. Notre langue, la langue créole que vous avez analysée et dont vous avez démontré qu’elle n’était pas limitée à un territoire géographique, à un peuple ou à une communauté, cette langue créole dont vous avez patiemment et soigneusement mis en évidence les variations de sens, les nuances et qui est aujourd’hui notamment grâce à vous, enseignée en Allemagne au même titre que d’autres langues étrangères.
Monsieur le Professeur, c’est à vous que la communauté scientifique doit l’un des premiers Dictionnaire créole – français. C’est grâce aux importants travaux menés avec les éminents Hector Poullet, Sylviane Telchid et Danièle Bernini-Montbrand, que la richesse du créole de Guadeloupe a pu tenter d’être appréhendée. Je dis tenter car c’est l’épine dorsale de tout dictionnaire que de révéler des sens toujours nouveaux et ainsi que les auteurs de cet ouvrage l’ont indiqué, le créole de Guadeloupe est riche, pluriel, varié, difficile à circonscrire en un seul volume, tant il varie des Saintes à Marie-Galante en passant par Anse-Bertrand, Vieux-Fort et la Désirade. La réédition à plusieurs reprises de ce dictionnaire toujours augmenté de mots et de sens nouveaux, confirme d’ailleurs l’ampleur de cette tache inhérente à la constitution d’un dictionnaire de langue.
Parlant de la diversité des créoles, le professeur Jean Bernabé précisait d’ailleurs qu’il n’était pas possible de se référer au créole sans interroger la notion de langage, compétence innée, tout à la fois universelle et diverse, nœud de paradoxes. Selon Bernabé donc, la langue créole est une et diverse. Je le crois aussi.
Je crois que la langue offre le lien et que le créole est cette langue qui a su réaliser le rêve de la langue toute, racontée par Babel, ce lieu de la confusion des langues où les premiers hommes (ceux qui se sont violemment rencontrés au sein de ces îles à sucre) ont su trouver le chemin de la compréhension nécessaire, l’un de l’autre, à la croisée des langues africaines et européennes.
Suite du discours ci-dessous
Discours de Pascal NANHOU.
La remise d’un doctorat Honoris Causa demeure tout à fait exceptionnelle dans l’histoire de l’université des Antilles, anciennement université des Antilles et de la Guyane. Si je ne m’abuse, c’est la première fois qu’une telle distinction est décernée : vous comprendrez que je m’enorgueillisse que la faculté Roger TOUMSON accueille un tel événement, un peu moins de deux ans après sa création !
Je suis d’autant plus ravi que le récipiendaire de cette prestigieuse récompense, l’éminent universitaire que nous honorons aujourd’hui, n’est autre que Monsieur le Professeur Ralph LUDWIG ! Cher Professeur LUDWIG, si l’on se réfère au cadre législatif draconien définissant les critères d’attribution du titre de docteur Honoris Causa, on apprend qu’il peut être conféré, je cite : « A des personnalités de nationalité étrangère en raison de services éminents rendus aux arts, aux lettres, aux sciences et techniques, à la France ou à l’établissement qui décerne le titre. » Diantre ! Voilà qui en impose, mais qui, au fond n’étonnera guère ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la créolistique, tant votre nom est prononcé avec déférence par les spécialistes de la question. On reste en effet confondu par la profusion et la densité de vos admirables travaux sur les créoles, champs d’expertise auxquels on ne saurait se confronter avec dilettantisme. Aussi me contenterai-je de quelques observations liminaires très générales, avant de m’adresser plus directement à vous, si cela vous agrée.
Qu’en est-il aujourd’hui de nos créoles ? Certaines hypothèses hardies font remonter leur origine à l’ancienne Égypte et à la Mésopotamie : le béotien que je suis se gardera bien de discuter du bien-fondé scientifique de ces théories. Cependant, qu’on puisse leur allouer une provenance immémoriale atteste que les langues créoles demeurent par certains aspects terra incognita, et que des pans entiers restent à explorer… Langues créoles qui, par ailleurs, vivent et évoluent, subissant notamment les assauts de l’anglais, à l’instar de la langue française… En tout état de cause, pour les nouveaux arrivants, les langues créoles constituent encore un outil non négligeable de socialisation, toujours dans l’acceptation de la différence.
Liberté, égalité, fraternité : Aimé le Grand (vous me pardonnerez de parler de Césaire comme on parle du Roi-Soleil ou d’Alexandre !) Aimé le Grand disais-je, considérait qu’il fallait rajouter au triptyque fondateur de la nation française le vocable « identité », au sens de reconnaissance d’une altérité souvent récusée dans l’histoire tragique qui est la nôtre. Voilà qui fait curieusement écho au concept de la « diversalité » cher à Jean BERNABE. De fait, la dédicace de Raphaël CONFIANT dans son ouvrage Ravines du devant-jour, ne dit pas autre chose : l’auteur en effet s’adresse je cite : « A tous les petits chabins de la terre », c’est-à-dire à tous les sang-mêlé, autrement dit, à l’ensemble des habitants du globe, peu ou prou.
Langue à la fois du colon, de l’opprimé, de l’immigré, il faut reconnaître au créole une sorte de plasticité ethnologique. Il instaure aussi dans les rapports humains une convivialité presque immédiate en nivelant subtilement toute hiérarchie sociale. Cette volonté assumée d’embrasser le genre humain dans son ensemble nous permet d’esquisser une définition grossière de la langue créole, dont la fonction première est d’inclure, mais pas d’assimiler : le créole n’est pas uniquement, contrairement à ce d’aucuns ont pu affirmer, un espéranto avec une dimension historique ou anthropologique… il est bien plus que cela : le créole est l’exacte antithèse du mythe de Babel, c’est une utopie langagière fonctionnelle, en action, mais c’est avant toute chose la traduction d’une résilience, d’un refus de la rancœur et de la désespérance : nos créoles, Mesdames et Messieurs, sont l’expression linguistique d’un humanisme triomphant ! Là est leur force ! Là est leur grandeur !
Ainsi, la créolisation du monde – que d’aucuns appellent mondialité ou mondialisation- est dans l’ordre des choses ; que nos archipels en soient les épicentres n’est que justice. À cela, enfin, il y a une explication qui, pour audacieuse qu’elle soit, reste plausible.
Il y a dans l’histoire littéraire, je ne vous apprends rien, un courant lié à nos territoires : c’est la littérature des antipodes, littérature des îles bienheureuses. Dès lors qu’on la débarrasse de son exotisme de pacotille et que l’on fait fi des projections fantasmatiques dont elle était l’objet, cette représentation de nos territoires, essentiellement romanesque ou poétique, conservait cependant un fond d’authenticité, notamment dans ses aspects descriptifs d’une topographie extra-ordinaire. De fait, je doute que l’athée le plus farouche n’ait pas ressenti comme un frisson de religiosité, même fugace, à la vision d’une aurore tropicale à la magnificence byzantine ! La beauté surréelle de nos îles nous invite à penser qu’elles sont probablement des reliques terrestres de l’Éden originel ; du Paradis perdu, de modernes avatars où le Créateur aurait pris ses quartiers ; Dieu d’éternité à la splendeur métisse, dispensant à tous sa bonté rédemptrice, montrant à chacun la voie du pardon et non pas de l’oubli, un Dieu dont le créole est la langue maternelle !
Revenons à présent à vous, Cher Professeur LUDWIG.
Tout à la joie de notre célébration, je m’en voudrais cependant d’éluder l’ampleur colossale de la tâche qui fut la vôtre. Est-il besoin de le rappeler ? Est-il besoin de rappeler la sinuosité du sentier et l’âpreté des combats ? Certes, tout cela semble bien lointain aujourd’hui, à l’heure du CAPES et de l’agrégation de créole, mais nous conservons tous en nous quelque réminiscence de ce temps où nous subissions les affres d’une diglossie radicale, écartelés entre acrolecte et basilecte, pour reprendre la terminologie propre à la sociolinguistique …
Mémoire collective, mémoire intime : les deux s’entremêlent à l’évocation nostalgique d’une mélodie familière : « Adieu foulards, adieu Madras » et notre enfance réapparaît… C’est l’époque où les créoles martiniquais et guadeloupéens sont déconsidérés, mis au ban d’une société « francophilâtre » passez-moi l’expression. Alors même que la langue créole avait été un puissant vecteur d’intégration sociale pour plusieurs générations d’immigrés de tout horizon, elle était désormais honnie. Mais elle n’avait pas rendu les armes : comme une belle endormie, la langue créole attendait patiemment son heure, espérant qu’on la sorte de sa gangue et qu’on pénètre ses arcanes ! Ce fut à ce moment-là que survint le Groupe d’Etudes et de Recherches en Espace Créolophone, le GEREC, en cette glorieuse année 1975. Savants, érudits, intellectuels, passionnés, patriotes : tous poursuivaient le même but : structurer grammaticalement la langue ! En fixer la syntaxe, en accroître le lexique et, ce faisant, en souligner la complexité. Tout ce labeur se fit dans la durée et se heurta à des oppositions endogènes et exogènes, les plus virulentes n’étant pas celles que l’on croit ! Vos compagnons d’armes se nommaient Jean BERNABE, Raphaël CONFIANT, Hector POULLET, entre autres. Jean, Raphaël, Hector : je note à cet égard que l’onomastique, déjà, prédisait vos succès. Un prophète inspiré ayant baptisé le Christ, un archange guérisseur de l’humanité, et un prince troyen mythique : excusez du peu ! Toujours est-il que vous rejoignîtes le GEREC avec enthousiasme, respect et presque dévotion, sans doute conscient de la solennité et de l’ambition du projet devenu vôtre entre-temps ! Une mue lente s’opéra : nos créoles, que l’on qualifiait trop hâtivement sans doute de baragouin, de pidgin, assignés aux frontières linguistiques les plus fangeuses, devinrent des langues régionales suffisamment dotées pour la didactique, les sciences, la recherche… On songe naturellement au vers de Baudelaire : « J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or ». Cette merveilleuse transmutation fit de vous et de vos confrères des thaumaturges, ou peut-être les dignes héritiers de Nicolas FLAMEL. Aviez-vous découvert la Pierre philosophale ? Nous ne le saurons jamais !
Que l’on ne mésestime pas la haute portée symbolique de votre démarche scientifique, ni son caractère sacré, quasiment mystique : l’expansion du GEREC est consubstantielle à une revendication identitaire lancinante, éperdue, douloureuse… Mais – et vous me pardonnerez je l’espère ces poncifs – comment faire peuple sans un idiome commun ? Comment se targuer d’être dépositaire d’une culture, sans véhicule adéquat ?
Oserais-je rappeler ici l’importance de la parole ? Songeons à Césaire : « Ma bouche sera la bouchedes malheurs qui n‘ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. » Songeons également au texte biblique, et au Prologue fameux de L’Evangile selon Saint Jean :
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. »
Ainsi, Cher Professeur LUDWIG, en restituant leur langue à nos peuples aphasiques, vous nous avez grandis ! A la barbarie de l’Histoire coloniale vous avez opposé vos armes lumineuses brandies pacifiquement !
Et vous avez ainsi versé un onguent bienfaisant, puissant viatique, sur nos âmes tuméfiées, nos cœurs endoloris, à nos corps moribonds rendant force et vigueur !
Mais, par-dessus tout, vous avez insufflé à notre langue créole, à notre Excalibur, une légitimité nouvelle ! À présent que nous voilà dessillés, les choses prennent tout leur sens ! Pour celui qui croit en la métempsycose, (c’est le cas de votre serviteur !) vous n’êtes pas le Professeur Ralph LUDWIG ! Sous les oripeaux du très honorable universitaire, linguiste émérite, philologue hors-pair, je vois, moi, Perceval, Gauvain ou Galaad !
Je vois l’un de ces preux du temps de Charlemagne ! Aussi, tout chevalier mérite cérémonial :
Je vous adoube donc au nom de CHAMOISEAU, de GLISSANT, de TELCHID !
Au nom d’Eugene MONA et de Marcel LOLLIA !
Au nom de MACKANDAL, d’IGNACE et de PEPIN ! Au nom de NAINSOUTA, de Bettino LARA !
Au nom de PAREPOU et de tous ses émules !
Au nom de LOUVERTURE et de DELGRES, enfin !
Cher Professeur LUDWIG, vous voilà adoubé : votre confrérie, grandiose et infinie, c’est celle du genre humain ! Votre Graal : la noble reconquête de notre dignité bafouée !
À vous, paladin des créoles, notre immense gratitude ! Pour avoir, de nos peuples, sondé le grand mystère, pour avoir, au monde, révélé sa beauté, recevez nos hommages, chaleureux et sincères !
Et pour sceller ce pacte d’honneur et d’amitié, plus qu’un cousin germain, devenez notre frère !
Je vous remercie !