Entre gwo ka, jazz moderne, et clins d’œil à Michael Jackson ou Amy Winehouse, dans une mise en scène collective puissante, les élèves dansaient “pour ceux qui nous ont précédés, et pour ce que nous voulons devenir” selon Maike Thomar, élève de terminale. 

Et après la scène, que se passe-t-il? Que faisons-nous des graines artistiques que nous avons semées ? Comment leur permettons-nous d’éclore et de s’enraciner durablement ?Comment transformer une passion en projet de vie, une performance en parcours artistique durable ? 

Ces questions résonnent avec force dans le paysage culturel guadeloupéen. Et elles exigent des réponses concrètes : accompagnement entrepreneurial, espaces de création, dispositifs de professionnalisation, échanges avec d’autres territoires caribéens, etc. 

1.Panorama de la danse en Guadeloupe : entre vitalité et fragilités

Aujourd’hui, la danse guadeloupéenne est à un tournant : 

• De nombreuses écoles privées portent à bout de bras la formation artistique des jeunes. 
• Les lieux d’expression sont rares, parfois précaires. 
• Le manque de reconnaissance institutionnelle est criant. 
• Les danseurs contemporains, urbains, ou caribéens hybrides, peinent à se faire une place dans les réseaux. 

La structuration du secteur devient donc un enjeu culturel et économique. Cela implique : 

• La reconnaissance de tous les styles de danse comme disciplines artistiques à part entière. 
• Des ponts avec l’international caribéen. 
• Une politique claire d’accès à la pratique pour tous (salles, équipements, accompagnement des enseignants).

2.Paroles croisées 

Au cœur de Pointe-à-Pitre, une section méconnue du grand public fait bouger les lignes : la filière S2TMD (Sciences et Techniques du Théâtre, de la Musique et de la Danse) du lycée Carnot, dont la branche danse, encore jeune, révèle de véritables vocations.

Une filière récente, Un rythme exigeant, un enseignement structurant 

“La section danse termine seulement sa cinquième année d’existence,” explique Sarah Mitanne, coordonnatrice pédagogique. “C’est la plus jeune des trois disciplines S2TMD.” Le programme s’appuie sur un partenariat inédit avec le CRR d’Aubervilliers-La Courneuve, représenté en Guadeloupe par le centre culturel de Sonis, qui aspire à devenir conservatoire à part entière. 

Les élèves bénéficient ainsi d’un double cursus : un enseignement général, et une formation artistique rigoureuse avec des modules issus du conservatoire permettant un emploi du temps aménagé et d’environ 12 heures de danse par semaine. Ils y découvrent des disciplines comme l’histoire de la danse ou l’anatomie fonctionnelle, l’analyse chorégraphique, ou encore de culture du spectacle vivant.. “On comprend comment fonctionne notre corps, et ce que signifie réellement danser.” 

Pour certains, comme Maïke Thomar, cela permet même d’accéder à des validations de fin de cycle et à une équivalence du très convoité Examen d’Aptitude Technique, sésame vers le Diplôme d’État de professeur de danse. 

 3. Et après ? Des trajectoires inspirantes, mais entre ici et ailleurs 

La réalité reste difficile : peu de débouchés post-bac dans le domaine chorégraphique en Guadeloupe, peu d’infrastructures de reconnaissance, de passerelles. 

Depuis sa création, la section a vu plusieurs de ses élèves intégrer de grandes écoles : le CNSMDP (Conservatoire National Supérieur de Paris), le Pôle Supérieur Boulogne-Billancourt, ou encore l’École Supérieure de Montpellier. 

Mais les limites locales sont criantes : absence de salle de danse au lycée, manque de lieux adaptés pour la création, peu de coordination entre les structures. 

“Il faudrait une vraie politique d’aménagement d’espaces, une coordination entre structures, et une meilleure valorisation des parcours professionnels en danse, au-delà de l’enseignement.” 

Maïke Thomas, 17 ans, élève en terminale à la section danse du lycée Carnot, en est un exemple frappant. Finaliste du programme START, il s’est formé au modern jazz dès l’enfance, avant d’intégrer La Fabrik de Léna Blou, et va partir se former à New York avec la compagnie Alvin Ailey en septembre 2025. 

Je veux partir à New York pour me former. Mais je reviendrai. Pour enseigner, créer, faire bouger les choses ici.”

C’est aussi dans cette optique qu’il participe au programme START, un tremplin offert par le Département pour accompagner de jeunes talents. Finaliste, il se produira le 29 juin, jour décisif pour le public… et pour son avenir. 

 4.Vers une vision collective de la danse guadeloupéenne 

Ce moment est peut-être l’occasion d’ouvrir une concertation élargie : artistes, institutions, enseignants, parents, médias, décideurs… pour imaginer ensemble un plan pour la danse en Guadeloupe. Il ne s’agit pas seulement de danser mieux, mais de créer un écosystème favorable à la professionnalisation, à la transmission, à l’innovation. 

Parce qu’en Guadeloupe, la danse n’est pas qu’un art. C’est une mémoire, une respiration, un avenir. 

Imane Sioudan