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Guadeloupe. Des pistes pour atteindre la souveraineté alimentaire
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Pointe à Pitre. Vendredi 28 février 2025. CCN. Les derniers mois de contestation en Martinique avec le mouvement RPRAC (Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens) ont mis en exergue les limites de notre système alimentaire. En effet, le choix d’une alimentation importée massivement de l’extérieur nous appauvrit considérablement. Pour CCN l’analyse de Pamela Obertan, universitaire et spécialiste des questions alimentaires.
Par Paméla OBERTAN
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Cet article s’inspire en partie de travaux de recherche qui ont été publiés
Angeon, Valérie, Obertan, Paméla et Vairac, Muriel, (2025) « Quelles politiques publiques en faveur de l’agriculture guadeloupéenne ? Éléments de réflexion à partir des petites agricultures » dans Destouches Didier dir, Statut constitutionnel et politiques publiques. Quel avenir pour la Guadeloupe ? Presses Universitaire des Antilles. Cet article s’inscrit dans le cadre du projet Cambio-Net (Caribbean and Amazonian Bioeconomic Network) financé par le programme de coopération territoriale européenne (Interreg). Convention FEDER n°7629.
Paméla OBERTAN et Jean Luc Edom, « Les citoyens et la politique régionale de transition : l’exemple de l’agriculture en Guadeloupe » dans Nicolas Kada, dir, Interventions Publiques locales et mobilisations
A titre d’exemple, le prix des denrées alimentaires dans nos territoires insulaires est passé de 0,99 € à 1,53 € entre 1995 à 2005. En janvier 2020 les prix sont en hausse de 2,0 % sur un an et en 2023, l’Indice des Prix à la Consommation (IPC) a augmenté de 3,9 %. En 2023, les prix à la consommation ont subi une hausse de 4.2% sur un an alors que les prix avaient déjà augmenté les années précédentes. Or nos salaires restent les mêmes. Par conséquent, dans des territoires dépendants à plus de 80% de l’extérieur pour se nourrir, cette hausse des prix peut être vraiment catastrophique et constitue un véritable problème de société.
Il nous importe aussi de tirer des leçons de l’attitude du gouvernement français. Nous avons bien vu qu’avec la chute du gouvernement Barnier la baisse des prix annoncés ne tient plus alors que cela aurait été possible avec le principe de la continuité de l’Etat.
Dans ce cas, que faire ?
Demander encore des négociations avec un État embourbé dans une instabilité ministérielle et dont les dernières colonies semblent être le cadet des soucis. Nous avons bien constaté que le gouvernement français n’intervient que lors de fortes mobilisations populaires. Faut-il encore descendre dans les rues, manifester notre mécontentement, bloquer les grandes surfaces et demander que nos produits alimentaires soient alignés au même prix qu’en métropole ? Doit-‘on encore convoquer l’Etat, la grande surface, les grands importateurs et distributeurs des îles qui n’ont aucun intérêt à ce que les choses changent ?
1. Changer de cap, mawoner : quitter ce systéme.
A mon humble avis, nous avons déjà essayé ce processus en 2009, puis ensuite récemment avec le mouvement RPRAC de la Martinique et les résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances.
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De plus, l’alignement des prix avec la France n’est peut-être pas aussi juste qu’il y paraît, notamment si on adopte une approche sur le long terme. En effet, le risque avec cette mesure si séduisante soit elle, c’est qu’elle risque de renforcer notre dépendance à l’extérieur, par ricochet de pénaliser notre agriculture locale déjà sévèrement concurrencée par le secteur import, tout en faisant augmenter les émissions de gaz à effet de serre (transport, conservation, climatisation). Ainsi, en cas de chocs rapides et permanents qui auraient un impact sur les importations, nous aurions de la difficulté à nourrir notre peuple. Pis ce modèle qui renforce notre dépendance aux importations pourrait achever notre agriculture, rendant impossible ce métier. Les conséquences pourraient être désastreuses et conduire à la vente et la perte de nos terres agricoles, déjà en proie à de fortes spéculations financières. Or sans terres, pas d’agriculture et encore moins une possibilité d’atteindre la souveraineté alimentaire.
Face à tous ces problèmes, il serait alors peut-être temps de changer de cap et de « mawoner », quitter ce système qui nous conduit à une impasse et surtout qui est construit pour les puissants. Mais comment faire ?
Nous ne sommes pas démunis face à cette crise, encore faut-il être en mesure de voir dans chaque problème rencontré des opportunités de changement.
Et là nous avons une véritable opportunité de tracer un autre chemin pour notre population et les générations futures : celui de développer la production de notre pays
En effet, il est impératif de se doter d’un véritable plan d’action. En premier, lieu, nous devons plus que jamais nous devons nous fixer des objectifs ambitieux tel que :
-produire plus de 80% de notre alimentation
-bannir à terme toute utilisation d’intrants chimiques pour ne plus polluer notre terre, nos cours d’eau et la mer
-soutenir massivement nos agriculteurs et préparer la relève
-Retrouver et utiliser des semences endémiques et locales mieux adaptées à notre climat et au milieu.
2. Se doter d’une gouvernance claire et efficace.
Dans un second temps, il faudrait recenser et réunir les différents acteurs intervenants dans le domaine agricole et se mettre d’accord sur un objectif final avec un calendrier ambitieux.
Ensuite pour mener à bien le projet, il est nécessaire de se doter d’une gouvernance claire et efficace. Il nous faut un pilote à bord, voir un copilote pour donner le cap mais non une myriade de pilotes. C’est un problème de taille, car sur un petit territoire comme la Guadeloupe, nous nous trouvons avec un grand nombre d’acteurs institutionnels qui interviennent sur l’agriculture. Il est parfois difficile d’y voir clair dans cet enchevêtrement de compétences entre les différentes institutions et agences locales, nationales et européennes. Certaines étant même en concurrence entre elles. Il en résulte que les mesures sont illisibles pour le monde agricole mais surtout que nous stagnons. C’est le monde agricole qui pâtit de ce manque d’efficacité. Afin de pallier cette gouvernance parfois nébuleuse, les principaux acteurs du monde agricole pourraient se rencontrer et confier le pilotage à un ou deux acteurs. Cela permettrait d’être plus efficace et de se mettre ensemble pour définir les grands objectifs à atteindre dans un délai imparti. Il est fondamental de développer les complémentarités entre toutes les agences mais avec une ligne et des rôles bien définis.
3. Cela ne sert à rien de faire de grands discours sur la souveraineté alimentaire
Une fois les objectifs et la gouvernance décidés, il est nécessaire de se doter de moyens techniques, humains et financiers pour mener à bien ce projet de société. Il sera judicieux d’avoir un personnel compétent et formé pour mailler le territoire et aller à la rencontre des agriculteurs. Cela ne sert à rien de faire de grands discours sur la souveraineté alimentaire ou l’autosuffisance alimentaire avec un service de moins de 5 personnes pour arriver à cet objectif. Il faut donc investir massivement dans l’embauche de personnel mais aussi bien les former.
Ainsi avec un personnel dynamique, compétent et plus nombreux, il sera plus aisé de recenser les besoins des agriculteurs, commune par commune quartier par quartier. En effet, les besoins d’un agriculteur du Moule ne sont pas les mêmes qu’un agriculteur de Saint Claude ou de Marie Galante. Il n’est pas utile d’avoir la même politique pour chaque territoire. L’agriculture d’aujourd’hui a besoin de sur-mesure et non de prêt à porter ou de modèle imposé depuis l’Europe.
Ce type d’objectif ne peut fonctionner que si l’on implique et mobilise le monde de la recherche et de l’enseignement afin de répondre aux problématiques rencontrées par les agriculteurs, mais aussi d’accompagner ces acteurs vers une transition agro-écologique pour renforcer notre souveraineté alimentaire et ne pas dépendre de l’extérieur pour les intrants (semences etc).
4. Les petits agriculteurs trop souvent écartés des financements.
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Forcément ce type d’approche invite à une plus grande territorialisation des politiques publiques relatives à l’agriculture. Celles -ci doivent être élaborées au plus près des besoins des acteurs du territoire. En effet, nous avons noté qu’il existe plusieurs dispositifs d’aides pour les agriculteurs notamment au niveau européen, tels que le POSEI (Programme D’options Spécifiques à l’Eloignement et à l’Insularité) mais les critères d’éligibilité favorisent plutôt les gros producteurs et les monocultures de canne et de banane qui se voient alloués près de 80% du budget annuel de soutien des productions locales du FEAGA POSEI. Les petits agriculteurs qui représentent plus de 70% de la population agricole, et qui produisent pour la plupart du vivrier et du maraîchage se retrouvent trop souvent écartés des financements pour plusieurs raisons (précarités financières, charges sociales non à jour, non affiliation à l’AMEXA (l’Assurance Maladie des Exploitants Agricoles), manque de structure manque d’organisation en filière). C’est peut-être le signe tout simplement que ces critères ne sont pas adaptés à la majorité de notre tissu agricole.
Afin de répondre à ce besoin de proximité et de légitimité, il nous faut d’autres politiques qui mettent l’emphase sur la co-construction avec tous les agriculteurs mais aussi avec d’autres acteurs du système alimentaire. Cela permet d’éviter de laisser un certain nombre d’acteurs de côté, notamment les petits agriculteurs que l’on entend peu. Il est donc important de créer des espaces ouverts et inclusifs pour que les agriculteurs, les politiques, les administratifs, les chercheurs, les agro-transformateurs, les associations, la distribution et autres acteurs puissent se rencontrer et trouver des solutions ensemble.
5. Se pose la question de notre statut.
Fatalement à terme se posera la question de notre statut pour bien mettre en œuvre ce type de politique. En effet, la politique agricole est depuis plusieurs années décidée par l’Europe et ensuite déclinée en France et par la Région Guadeloupe. Le statut de département/région permettra-t-il de mener de telles politiques visant à développer et favoriser la production locale ?
Cela semble difficile à première vue pour avoir les coudées franches et faire une politique sur mesure pour nos agriculteurs, mais cela n’est pas impossible. Il importe déjà de commencer avec les outils existants qu’offre la législation et qui peuvent être intéressants comme les projets alimentaires territoriaux. Ces projets ont le mérite de mettre tout le monde autour de la table pour relocaliser l’agriculture et l’alimentation et encourager les circuits courts.
C’est aussi une belle opportunité de développer des habiletés, de l’expérience et de monter en compétences. De même, en ayant identifié les verrous et les leviers, il sera alors plus facile de mieux définir ce que l’on veut et ce qui est possible de faire.
Enfin et pour conclure, il est impossible d’augmenter la production locale sans agriculteurs. Nous avons donc besoin de changer de regard sur ce métier. Celui-ci est souvent relégué à un travail ingrat, de basse échelle de nos jours. Or l’agriculture est une activité noble qui a permis le développement de la civilisation humaine. Pour ce faire, il importe de modifier notre conscience et de voir aussi l’agriculture comme cette activité nourricière, ce pont de réconciliation entre l’homme et la nature. Les formations aux métiers d’agriculteurs devront s’intensifier et une importante campagne de sensibilisation et d’éducation devra être réalisée pour redonner au métier d’agriculteur toutes ses lettres de noblesse.
La liste des tâches à réaliser n’étant pas exhaustive, nous n’avons pas une minute à perdre.
Alors on s’y met ?