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Guadeloupe. Justice coloniale. Les vraies raisons du procès  d’Elie Domota

Guadeloupe. Justice coloniale. Les vraies raisons du procès  d’Elie Domota

Paris. samedi 9 mars 2022. CCN. Quelques jours après le procès intenté par Gérard Cotellon (ex DG du CHUG) c’est au tour d’ Elie Domota(LKP- une autre grande figure de la résistance syndicale guadeloupéenne, qui a été convoquée par la justice française. Si au plan national Gwadloupéyen, les politistes habitués de la scène médiatique et la classe politique  traditionnelle (PS,  GUSR, PPDG) sont resté muets sur cette affaire, au niveau international (France, Martinique, Guyane Haiti, Mexique), Domota a été très soutenu. Que nous révèlent ces procès successifs de l’attitude du système colonial à l’égard des militants ? Depuis Paris, Dimitri Lasserre, jeune  intellectuel français,  engagé, bien informé de la  situation de Gwadloup a proposé à CCN son analyse.

Le 7 avril 2022, Elie Domota a été sommé de rendre des comptes devant la justice de la république. Quelles en sont les raisons ? « Violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique » et « refus de se soumettre aux prélèvements obligatoires », rapporte la presse locale. Ces faits caractérisés constituent en eux-mêmes un motif légal suffisant pour justifier d’un traitement judiciaire. De jure, les institutions de l’Etat ont le pouvoir de demander des explications à Domota. Ce faisant, après tout, elles ne font rien de plus que rappeler la loi, et la nécessité sociale de s’y conformer.

Mais alors, comment se fait-il que cette convocation au tribunal suscite, dans les milieux militants guadeloupéens, une réaction épidermique ? Il se lit, dans un tract diffusé par l’UGTG, que la « justice coloniale française » décide de « s’attaquer » non pas tant à Domota en tant que citoyen français, duquel quiconque est en droit d’attendre qu’il se conforme à la loi, mais comme « symbole de la résistance du peuple guadeloupéen contre la domination et l’exploitation capitaliste et coloniale ». C’est là une toute autre histoire.

Pourtant, si l’on s’en tient aux faits, c’est bien sur une base légale qu’est fondée la convocation de Domota. La justice ne s’en prend pas à des symboles. Elle s’en prend à ceux qui ne respectent pas la loi. Et elle relaxe les autres. Du moins en principe. Cela se comprend d’autant mieux que le tribunal n’aurait eu aucun moyen de convoquer Elie Domota au motif qu’il est un symbole de la résistance anticolonialiste et anticapitaliste ; et pour cause, la loi ne donne pas à la justice ce genre de pouvoir. Ce qu’implique le tract de l’UGTG, alors, c’est que derrière les raisons explicites de la convocation de Domota siègeraient des raisons implicites, qui dépassent les seules questions légales. La justice n’interpellerait pas Domota pour des raisons légales, mais pour des motifs politiques. C’est une idée intéressante, mais elle reste à prouver.

La meilleure méthode, en vue d’examiner l’hypothèse des soutiens de Domota, est peut-être de soumettre à la question les hypothèses qui sous-tendent les affirmations de leurs adversaires. S’il se trouve, dans ces hypothèses, matière concrète à protestation, alors la version légaliste ne tiendra plus. A tout le moins, elle sera insuffisante pour expliquer à elle seule la convocation de Domota devant les tribunaux. Pour montrer qu’on dit le vrai, il est souvent pertinent de prouver que les autres disent faux.

La thèse du système judiciaire est simple : Domota est convoqué pour que le tribunal évalue la gravité des infractions supposées qui lui sont imputées. Il revient à la cour de décider, à cet égard, s’il mérite ou non des sanctions. La première des choses à faire, en conséquence, est d’interroger les griefs qui sont reprochés à Domota. S’il est assuré par de nombreuses évidences qu’il est coupable de ce pour quoi il est inculpé, alors la question est tranchée, et il n’y a plus matière à débat. Dans le cas contraire, les conclusions peuvent être tout autres.

Le premier motif de la convocation au tribunal de Domota, s’il faut le rappeler, est le chef d’accusation de « violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique ». Les « violences » en question se seraient déroulées en décembre 2021, quand Domota, lors d’une manifestation, franchit, les bras en l’air, désarmé, face à la police, armée, une barrière qui entravait la marche du Kollectif. C’est alors que les policiers s’en prirent à lui non sans véhémence, le plaquèrent au sol, le menottèrent et l’embarquèrent à bord d’un fourgon à destination de sa garde-à-vue sans autre forme de procès. Ce n’est une nouvelle pour personne. Les images montrant l’événement, relayées par Canal 10, ont fait le tour des réseaux sociaux.

C’est donc un fait. Elie Domota est convoqué pour s’expliquer au sujet de violences qu’il n’a pas commises. Le Kollectif le sait, la police le sait, le tribunal le sait. Malgré cette réalité incontestable, le porte parole des militants guadeloupéens est sommé de rendre des comptes. Cette situation, pour le moins kafkaïenne, n’est pas sans rappeler les mots de Foucault qui, lorsqu’un journaliste lui demande à quoi servent les juges, répond : « A quoi ils servent… euh… Si j’étais méchant, bon, comme je ne le suis pas, alors je le dirai tout de même : ils servent, au fond, à la police de fonctionner. La justice, elle n’est pas faite pour autre chose que d’enregistrer […] ces contrôles, qui sont essentiellement des contrôles de normalisation, et qui sont assurés par la police. La justice est au service de la police ; historiquement, et de fait institutionnellement ». Domota convoqué par la justice pour des méfaits supposés à l’encontre de la police, mais dont on sait qu’ils n’ont pas eu lieu, voilà qui ressemble plus à une opération d’intimidation qu’à un désir authentique d’oeuvrer pour ce qui est juste. Intimidation d’autant plus que nul n’ignore, à condition de bien vouloir s’informer, que c’est bien Domota qui a été l’objet de violences physiques.

En ce qui concerne le deuxième motif de sa convocation, il est impossible d’en dire a priori quoi que ce soit, dans la mesure où les informations font ici défaut. Cependant on peut s’étonner qu’un tribunal convoque un citoyen pour « refus de se soumettre aux prélèvements obligatoires » lors d’une garde-à-vue qui pourrait être a minima qualifiée d’arbitraire. Cette garde-à-vue est motivée par des faits qui n’ont pas eu lieu ; à savoir les violences dont Elie Domota se serait rendu coupable à l’endroit de la police. Il aurait donc fallu que Domota se soumette aux décisions arbitraires d’une police qui, pour justifier ses actions à la limite de la légalité, invente des violences imaginaires. Aujourd’hui, on peut être jugé  dans un tribunal français pour avoir refusé de coopérer avec une police qui nous maintient emprisonné sans aucune raison valable et en toute illégalité. Voilà une bien curieuse manière de rendre justice.

Que Domota n’ait commis aucune violence à l’égard des policiers est un fait établi et indubitable. Qu’il ait été placé en garde-à-vue arbitrairement, sans aucune autre raison que le désir de la police de l’emprisonner en est un autre. Le tribunal ne découvrira pas les images, largement diffusées, de l’incident, le jour de la convocation de Domota. Alors, pourquoi Elie Domota est-il convoqué ? Pourquoi doit-il passer quatre heures devant un juge pour rendre compte de ce qui est connu de tous depuis plusieurs mois ? En quoi une telle opération s’apparente-t-elle à de la justice ?

Juges, policiers, votre version ne tient pas. Le but de cette convocation ne peut être l’établissement de faits déjà connus. Vous ne faites pas venir Domota pour qu’il s’explique, puisqu’il n’y a rien à expliquer. Le respect de la loi est, dans ce cas, la dernière de vos préoccupation. Vous ne pouvez plus vous cacher. Nous vous voyons. Nous voyons ce que vous faites, et nous comprenons ce que vous voulez. Si vous vouliez assurer le règne de la loi, ce n’est pas à Elie Domota que s’en prendrait votre tribunal. Ce n’est pas la loi que vous voulez. C’est Domota. Et avec lui, les militants qui sont déterminer à résister.

La criminalisation des adversaires politiques est une stratégie somme toute classique des régimes politiques autoritaires – ou qui s’autorisent des dérives autoritaires. Il est plus simple d’écarter un opposant en recourant à la machine policière et judiciaire que de l’éliminer par d’autres moyens.

Nul besoin de s’insurger ici contre le fameux « deux poids, deux mesures », qui est désormais la règle de notre système judiciaire. Le problème est plus profond encore. Domota est l’incarnation d’une opposition politique crédible. Le pouvoir politique capitaliste néocolonial est la cible concrète de Domota et des militants qui cheminent avec lui. Quand on se fixe pour ennemi l’Etat et la caste békée, et qu’on agite un peu trop les foules contre cet ennemi, on ne peut s’attendre à d’autres réponses que la coercition et la répression. Or Etat et békés, afin de sauvegarder des intérêts communs, des intérêts de classe, répriment avec les moyens qui sont les leurs. Ces moyens, quels sont-ils ? La police et la justice.

Dimitri Lasserre, Paris, le 7 avril 2022

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