Guadeloupe-Martinique. Etre universitaire en pays colonisé c'est un combat sans relâche !
Pointe-à-Pitre. Lundi 17 avril 2023. CCN. Depuis 40 ans qu’elle existe, l’université des Antilles a concouru à l’affermissement d’une intelligentsia en Guadeloupe Guyane*, et en Martinique et a permis l’élévation sociale de nombreux Antillo-Guyanais de milieux modestes. Depuis l’élection en mars 2O22 du nouveau président de l’UA, le mathématicien Michel Geoffroy, l’on ressent une volonté de l’université des Antilles de s’ouvrir davantage à la culture de nos pays, de proposer des réponses aux problématiques des deux îles mais surtout de permettre à toutes les tendances, tous les courants de pensées, y compris les plus affirmés, de s’exprimer suivant le débat contradictoire. S’il était encore là, le poète Sony Rupaire dirait sans doute : cette igname brisée… qu’est notre université. L’analyse de CCN.
Quelques exemples : Lorsque Jacqueline Cachemire-Thôle vient présenter le fruit de ses 30 années de réflexions sur la danse traditionnelle, sa démarche didactique et artistique, lorsque l’artiste engagé Keros-N vient échanger, à Fouillole avec le procureur de la République, sur la problématique des armes à feu en Guadeloupe mais aussi de notre confiance dans la justice française, ou encore lorsque le Préfet vient répondre aux questions des étudiants hardis du Camp Jacob, on a envie de croire que le dialogue entre les Guadeloupéens et les représentants de l’Etat français pourrait être placé sous le signe très franco républicain de la : liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Il était donc important de savoir ce qu’il en était réellement, dans la vie de tous les jours sur les campus.
On sait bien que depuis des décennies, certaines “zones d’ombres”, mais particulièrement claires, persistent encore à l’UA. Nul n’ignore la situation d’une Faculté dédiée au sport (le STAPS) qui, en Guadeloupe, ne recruterait guère de Guadeloupéens alors que notre pays est connu pour être une fabrique de sportifs et de champions.
Que l’on se rappelle que les rares recrutements de non-caucasiens ont toujours fait l’objet d’âpres luttes au conseil d’administration (CA) de l’université. L’élu du CA de l’époque, Jack Molinié, était d’ailleurs en première ligne sur le champ de bataille. Aujourd’hui, et grâce à ces combats musclés, qui se sont déroulés sous l’ère du Président Saffache, il n’y a que deux enseignants-chercheurs guadeloupéens dans cette Faculté et aucun martiniquais. Les Guadeloupéens ou Martiniquais sont plutôt positionnés sur des emplois considérés comme étant sans enjeu particulier.
La phrase magique : « À compétences égales nous sommes prêts à recruter des Antillais » ne recouvre aucune réalité. Car les Antillais sont ici chez eux mais ceux qui décident de l’égalité des compétences sont majoritairement caucasiens.
On se souvient aussi que nombre de collègues Guadeloupéens (comme la professeure Stéphanie Mulot, Georges Calixte, Harry Mephon, pour ne pas les nommer) ont été violemment écartés de cette faculté alors qu’ils étaient compétents. Récemment encore un guadeloupéen, diplômé, a candidaté, et il lui a été signifié que la porte est déjà close.
Il faut le souligner certains Franco-Français, lorsqu’ils sont recrutés à l’université des Antilles débarquent comme en pays conquis, l’attitude de colon chevillée au corps.
À l’université des Antilles, les franco-français compétents et respectueux des autres ne sont hélas qu’une petite infime minorité. En effet, la plupart de ces enseignants-chercheurs étrangers à notre pays sont en poste à l’université des Antilles parce qu’ils n’ont pas réussi, en raison de leur niveau, à être recrutés dans les universités françaises. Mais grâce au lobby de soutien des caucasiens déjà sur place et à celui de quelques Antillais, ils parviennent toutefois à être recrutés à l’Université des Antilles.
Force est de constater que ces éléments étrangers qui arrivent ex abrupto dans notre pays, sont totalement inadaptés à l’enseignement supérieur et la recherche aux Antilles. En effet, Ils débarquent à la manière des jésuites, missionnaires de l’époque coloniale venus “ apporter la parole divine et leur civilisation”, – c’est- à dire la Bible et le fouet – aux indigènes sauvages attardés qu’il leur fallait de plus assujettir.
Dans certaines facultés ou certains laboratoires, ils sont suffisamment nombreux pour imposer leur loi. Sans retenue aucune. Sans même prendre le soin d’enfiler leurs masques.
Distinguer ces caucasiens aux attitudes colonialistes, des autres franco-Francais à l’esprit sain est d’une grande facilité. On les reconnaît aisément par ces quatre critères très significatifs
- 1- Besoin affiché de favoriser la venue massive d’autres caucasiens et d’empêcher le recrutement ou la promotion de collègues afro-descendant
- 2- Mépris vis-à-vis des afro descendants qui exercent une responsabilité quelconque, en contestant, ou en niant leur autorité, à chaque fois que cela est possible.
- 3- La volonté manifeste de piller sans vergogne les ressources de l’université ou de nos collectivités sans aucun retour tangible pour l’établissement ou les collectivités en question.
- 4- Développement affirmé de thématiques d’enseignement ou de recherches sans grand intérêt pour notre pays mais correspondant à leurs intérêts particuliers : sujets souvent relatifs aux régions européennes sans applications aucune pour les Caraïbes et attrait pour les sujets induisant des activités marines et sous-marines. Le besoin d’être sur les plages est leur préoccupation première.
On n’a pas non plus oublié le scandale en 2016, autour d’un recrutement d’un maître de conférences en fac de droit où un docteur spécialiste des enjeux sur les forêts d’Europe avait été préféré à une brillante docteure guadeloupéenne spécialiste des pays en voie de développement. Heureusement, grâce à l’engagement du doyen de l’époque, la situation a été rétablie depuis au sein de cette faculté.
Un autre point d’attention a été observé en biologie. Jusqu’à cette année, depuis le départ à la retraite d’une professeure guadeloupéenne, il n’y avait aucun professeur des universités autochtone au département de biologie, un peu comme si ce haut grade ne pouvait être octroyé ni à un Guadeloupéen ni à un Martiniquais.
Face à cette obstruction, face à ce refus manifeste de mettre au concours un emploi de professeur correspondant au profil d’une afro-antillais dont les compétences scientifiques sont reconnues jusqu’en France, l’actuel président de l’université a usé du nouveau dispositif de la promotion interne et a permis qu’une professeure des universités afro-descendante soit enfin nommée à l’UA.
L’année dernière, Célia Jean- Alexis l’actuelle vice-présidente du pôle Guadeloupe avait été jetée en pâture médiatique sur la Radio de l’Etat colonial, suite à cette volonté ostensible de détruire les afro-antillais en responsabilité dans leur pays.
Ce mépris insupportable quasi naturel pour les afro-descendants et les indo-descendants nous renvoie à ces heures sombres de l’université quand un historien du droit, évidemment caucasien, à peine recruté à l’université des Antilles vantait publiquement et sans vergogne les « bienfaits du code noir ». Face à cette dérive insupportable, à l’époque CCN avait lancé une alerte. C’est alors qu’il s’est trouvé qu’un historien “guadeloupéen” qu’on avait cru “patriote”, avait volé au secours du ”néo propagandiste franco-français du Code Noir. Nous l’avions alors fort justement qualifié de “révisionniste tropical”. Il avait traîné CCN devant la justice coloniale, qui ne l’a pas suivi.
Alors face à cette situation particulière, à l’UA des questions se posent et avec insistance
- Que font les nationalistes qui sont à l’UA ?
- Pourquoi certains de nos universitaires s’éloignent-ils des véritables réalités de nos pays , délaissent la recherche dans leur spécialité , pour se transformer en artistes d’un jour ou en “mercenaires-coaches ” des politiciens ?
Pourquoi depuis des années le SPEG syndicat de feu Sonny Rupaire, de Lucien Gayadine, de Lucien Perutin, é ki la pou sèvi lékol Gwadloup a-t-il confié sa représentation à un caucasien ?
Force et de l’admettre, la situation tant économique, politique ou culturelle exige que nos universitaires soient à minima de véritables éclaireurs ou alors des soldats au service du combat de nos pays – Guadeloupe et Martinique – pour leur émancipation. L’UA telle qu’elle existe aujourd’hui est le fruit de très longues luttes qui ont débuté dans les seventies. Mais le combat est loin d’être achevé.
Alos, asé jwé kannik,lè rivé pou zot konpwann péyi la bizwen zot !
Danik Ibrahim Zandwonis