Guadeloupe-Martinique. L'Université des Antilles, puissant lieu de savoir
Auteur : Danik Zandwonis
Pointe-à-Pitre – Fort-de-France. Vendredi 31 décembre 2021 CCN. L’événement, 3 présidents la mano en la mano : Michel Geoffroy (U.A) Ary CHalus (Région Guadeloupe). Serge Letchimy (CTM) L’université a fêté cette année ses 40 ans d’existence aux Antilles sous le signe de l’unité ”. Un anniversaire célébré par 2 temps forts ; en Guadeloupe et en Martinique, autour d’une même problématique : « Que peut apporter l’université des Antilles à ses territoires ? ».
1/ Lundi 12 décembre 2022 : Campus de Fouillole, amphithéâtre Alex Méril
Parmi les personnalités présentes : les anciens administrateurs de l’université, dont certains « vétérans » de renom comme le co-fondateur et ancien secrétaire général de l’UGTG, Rosan Mounien, l’ancien proviseur Jean Alice et l’ancienne maire de Pointe-à-Pitre, Josiane Gatibelza, mais aussi des représentants du monde socio-économique comme Tony Morvan pour le MEDEF, le président du comité des pêches Charly Vincent, le directeur de l’IEDOM Thierry Beltrand, des chefs d’entreprises comme Riko Debs, le chimiste Damien Bissessar, la chargée de mission et cheffe de cabinet du procureur de la république Ségolène Bellemare, la chanteuse lyrique Carole Vénutolo, des hommes et femmes politiques comme le député Olivier Serva, la conseillère régionale Chantal Lerus, les conseillers d’Ary Chalus : Teddy Bernadotte et Ruddy Blonblou, des personnalités du monde associatif, etc.
Tout ce beau monde était réuni autour des étudiants et des enseignants-chercheurs de l’université.
2/ Fouillole, Un puissant lieu de savoir
L’allocution d’accueil du président de l’université, le Professeur Michel Geoffroy, a immédiatement posé le cadre engagé de cet anniversaire. Le nouveau président a présenté l’implication farouche de tous ceux qui se sont battus afin que l’enseignement supérieur, en Guadeloupe, ne dépende plus des universités de l’hexagone : « Il y a 40 ans des femmes et des hommes, se sont battus afin que nous ne soyons plus ni un institut Vizioz ni un centre universitaire dépendant de Bordeaux ».
Il a aussi rappelé l’importance affective, historique, ancestrale de Fouillole pour tous les Guadeloupéens.
« Sur ces terres de Fouillole, où 150 compagnons d’Ignace, après avoir livré leur dernier combat pour la liberté à Baimbridge avaient été fusillés sur les rivages, sur ces terres de Fouillole, nous avons érigé un puissant lieu de savoir. Fouillole notre mémoire et notre avenir à la fois. Fouillole ce lieu chargé d’Histoire où tant de Guadeloupéens se sont formés. Fouillole, ce nom, ce lieu est lourd de sens pour tous les Guadeloupéens. »
Le président Geoffroy a ainsi insisté sur l’importance de Fouillole pour la mémoire et la jeunesse guadeloupéenne, sans doute parce que différents services de l’état essayent de trouver toutes sortes d’excuses et de prétextes pour récupérer le site de Fouillole où se trouve l’université. Alors que la direction de la Mer s’étend sur le littoral, sans qu’il soit question qu’elle se déplace ou que les services de la douane arrivent, l’État voudrait récupérer ce site en bord de mer, à la vue si plaisante.
« Certains voudraient nous en chasser et récupérer ce lieu de beauté et de savoirs pour s’y déployer, profiter de la vue et du cadre idyllique. Ma position est claire : Fouillole appartient à la mémoire et à la jeunesse de Guadeloupe. Nous ne bougerons pas. » (Michel Geoffroy)
L’anniversaire de l’université était également l’occasion de rappeler l’œuvre des premiers bâtisseurs, avant de se tourner vers l’avenir.
« Nous saluons le passé parce que c’est grâce à des Alex Méril, des Jacques Adélaïde-Merlande, des Roland Thesauros, des Jacques Portecop, des Roger Toumson, des Alain Yacou, des Eric Edinval, des Christian Thérésine, que l’université des Antilles s’est renforcée. » (Michel Geoffroy)
3/ L’Université et le développement caribéen
Après les allocutions, il s’agissait de répondre à cette question lancinante : Que peut apporter l’université à la Guadeloupe et à la Martinique ?
Les questions du développement économique ont été abordées dans un panel animé par le maître de conférences en économie Sébastien Mathouraparsad. Le député Olivier Serva a évoqué le modèle économique qu’il conçoit pour la Guadeloupe en s’appuyant sur les promesses de richesses contenues dans la géothermie, les potentiels géothermiques présents à Bouillante, à Vieux-Habitant, la recherche de gisements pouvant être effectuée par les chercheurs.
Tony Morvan a indiqué que le MEDEF se considérait comme un co-constructeur d’une économie insulaire dynamique et a affirmé l’importance de la recherche, de la maîtrise des langues étrangères, de la mobilité des étudiants dans la Caraïbe et de l’université comme lieu de transmission des savoirs, lieu d’échanges avec qui le MEDEF espère avoir davantage d’interactions.
Rosan Mounien a indiqué avec émotion avoir « été de tous les combats qui ont présidé à la construction de l’université, depuis l’époque du centre universitaire des Antilles-Guyane où il représentait le monde du travail comme personnalité qualifiée au conseil d’administration de l’université » et a proposé des pistes de réflexion sur un « développement permettant l’épanouissement du plus grand nombre ». Après avoir décrit « l’économie de comptoir » dans laquelle s’inscrit malheureusement la Guadeloupe et les « limites atteintes par les modèles politiques actuels », Rosan Mounien a présenté comme des atouts les terres agricoles sanctuarisées et a proposé de repenser avec ambition l’agriculture afin de tendre vers la souveraineté alimentaire ; puis il a évoqué les ressources minières comme moyens permettant d’atteindre la souveraineté énergétique. Souverainetés alimentaire et énergétique ont ainsi été décrites comme étant les clés d’un développement véritable. Enfin, l’importance des dispositifs de formation, donc de l’université comme outil majeur, a été soulignée. Affirmant son ambition d’un « nouveau modèle », Rosan Mounien a placé le numérique au cœur de nos préoccupations et a recommandé de ne pas tourner le dos à l’économie sucrière mais plutôt de réfléchir à des moyens de retrouver la maitrise de ces secteurs.
Citation de Rosan Mounien qui a marqué les esprits :
« En Guadeloupe, on voit souvent ce qui ne fonctionne pas. On s’appesantit sur les échecs, les difficultés, mais il y a des dizaines, des centaines de personnes qui créent, qui entreprennent, qui inventent dans tous les domaines. L’économie ça n’est pas seulement la production de biens matériels, c’est aussi la production de biens immatériels, c’est la culture, c’est l’économie culturelle également. »
Ensuite, dans un panel conduit par la maître de conférences en science politique Paméla Obertan sur « la souveraineté alimentaire », le président du comité des pêches Charly Vincent a présenté les différents acteurs de la pêche, côté administratif et côté production, mais aussi la caractérisation des importations par espèce (et notamment les difficultés crées par la concurrence du vivaneau de Guyane), la répartition de la production locale par commune et par communauté d’agglomération, l’état de la flotte et la production locale. Il a alors évoqué la nécessité que l’université se positionne sur les questions liées à la mer et à l’économie bleue, indiquant être prêt à travailler en ce sens avec les universitaires.
Ce jour-là, à Fouillole, à l’occasion de son anniversaire, l’université s’est positionnée comme lieu nouveau où les Guadeloupéens pourraient penser leur propre développement, leur autonomie de pensée et d’action.
4/ Jeudi 15 décembre 2022 : Campus de Schoelcher, amphithéâtre Michel Louis
Un cadre digne des 1001 technologies. Dans un amphithéâtre flambant neuf, équipé de la technologie numérique la plus pointue, étaient réunis en aréopage, les anciens présidents de l’université (Philippe Saint-Cyr, Georges Virassamy, Pascal Saffache), la direction du groupe Bernard Hayot, le titulaire de la chaire outre-mer de Sciences po et son secrétaire général, l’écrivain lauréat du prix Goncourt 1992 Patrick Chamoiseau, le président du MEDEF, etc.
Aux côtés du président de l’université, Michel Geoffroy, deux présidents ont fait une entrée remarquée : le président du conseil exécutif de la CTM, Serge Letchimy et le président du conseil régional de Guadeloupe, Ary Chalus.
5/ La valeur symbolique des deux présidents de Guadeloupe et de Martinique autour du président Geoffroy
C’est une grande première qui a eu lieu à l’UA. Les deux présidents des collectivités majeures de Guadeloupe et de Martinique étaient réunis pour la première fois à l’université. La réconciliation entre l’université et la Collectivité territoriale de Martinique a ainsi eu lieu sous l’œil ravi de la Région Guadeloupe. Le président de l’université a pu ainsi acter la fin des divisions stériles.
« Nous pouvons, à l’occasion de notre anniversaire universitaire, revenir aux temps mémoriaux et mémorables où le président de l’université Philippe Saint-Cyr œuvrait sereinement avec les présidents de région, Camille Darsières et Félix Proto »
L’affirmation du président Geoffroy selon laquelle le développement des deux îles-sœurs passera par la fin des querelles qui amusent ou arrangent la mère-patrie a été approuvée par toutes les personnes présentes :
« Le fait colonial a longtemps œuvré à distinguer les anciennes colonies alors que notre trajectoire est résolument commune. Nos Histoires, notre langue partagée et nos résistances attestent de la force que peut avoir le rassemblement de nos voix, de nos opinions, de nos manières de nous tenir debout, de nos manières de vivre (pour reprendre les bons mots de notre conteur Chamoiseau) » (Michel Geoffroy)
La célébration solennelle de cet anniversaire a donc été l’occasion d’apporter la preuve que si les forces intellectuelles antillaises s’unissent au sein de la Caraïbe, nous pourrons mieux assurer notre place sur l’échiquier d’un monde globalisant et en mouvement.
6/Martinique Guadeloupe : Fin des querelles, retour à l’unité, au dialogue et à la co-construction
Le président du conseil régional de Guadeloupe, Ary Chalus a tenu à souligner l’importance que la Région accorde à l’employabilité des jeunes, dans une démarche de développement durable et a rappelé que de nombreux cadres régionaux ont été formés à l’UA :
« C’est le rôle de l’université et peut-être le plus important : organiser la mise en valeur de nos ressources endogènes, au premier rang desquelles notre ressource la plus précieuse : notre jeunesse ».
Ary Chalus a ainsi pu rappeler qu’une région qui réussit est une région qui assure la formation de ses jeunes :
« L’université des Antilles répond aux besoins de qualification d’excellence de notre jeunesse. C’est une mission que l’UA remplit avec détermination, et ce depuis sa création, pour que la jeunesse des territoires français d’Amérique dispose d’une institution universitaire structurée et efficace »
L’ambition de l’UA de se positionner comme lieu-monde tourné vers la Caraïbe permet d’envisager un dialogue régional plus équilibré avec les états de la Caraïbe.
« L’université des Antilles est notre premier partenaire pour garantir le respect de notre principal engagement : construire sereinement nos territoires à la Guadeloupe et à la Martinique, en apportant une contribution significative à la Caraïbe, voire plus loin »
L’université des Antilles et la Région Guadeloupe ont pu afficher leurs rapports fusionnels, bien connus depuis de très longues années. De Michaux-Chevry à Ary Chalus, la région Guadeloupe s’est toujours investie pour développer l’université en Guadeloupe, comme en témoigne la réussite du campus du camp jacob à Saint-Claude et tous les travaux de rénovation aujourd’hui en cours à Fouillole. Ary Chalus a confirmé l’alliance solide UA/Région Guadeloupe cimentée par des ambitions partagées avec le président de l’université :
« On parle à tort de l’absence de volonté des politiques de s’appuyer sur l’université. Je remercie le président Geoffroy d’avoir souligné notre implication et notre présence à ses côtés et aux côtés de l’université des Antilles »
7/ Maintenir l’unité de l’UA !
La réconciliation entre l’université et la Collectivité Territoriale de Martinique a été actée, comme un cadeau d’anniversaire particulièrement attendu :
« M. le président Geoffroy, je voudrais vous remercier, de manière très spontanée, après une rencontre hasardeuse dans un aéroport, on a pris rendez-vous parce qu’il y avait à se dire des choses très clairement et on s’est dit des choses très clairement et vous avez devant vous un président de la collectivité de Martinique totalement déterminé à vous accompagner et à accompagner l’université »
Serge Letchimy, a poursuivi en rappelant son amitié de longue date avec Ary Chalus et a annonçé que c’est dans l’unité que les collectivités majeures continueront d’accompagner l’université des Antilles. Considérant que l’université est « un lieu où un pays pense le monde mais aussi se pense dans le monde », le discours du président Letchimy a fait sensation au sein de l’amphithéâtre, où il a été applaudi à plusieurs reprises, notamment pour avoir affirmé :
« Il faut absolument maintenir l’unité de l’UA parce que si on ne maintient pas l’unité de l’UA, Martinique Guadeloupe, nous allons affaiblir l’université, au nom d’égos personnels, alors que nous n’avons qu’un seul objectif : servir le peuple martiniquais et servir la jeunesse martiniquaise »
Le président du conseil exécutif de la CTM a indiqué que l’attractivité et le développement socio-économique et culturel de la Martinique et de la Guadeloupe passeront par l’efficience et le rayonnement de l’université :
« C’est à travers l’université que les forces vives participent à la vie d’un pays de la manière la plus déterminante et la plus profonde »
Devant tous les universitaires rassemblés, Serge Letchimy s’est fait le porteur d’une puissante vision clarifiée pour nos territoires et a adressé un discours très politique au sens noble du terme :
« La formation de l’université inculque, donne l’esprit d’initiative, donne l’esprit de science, nous attribue la capacité de la connaissance nécessaire à différents degrés et nous permet d’exprimer dans toute son extension la critique positive, la critique d’une manière générale et cela nous permet de contribuer à deux éléments qui sont essentiels dans la vie : à la fois l’émancipation individuelle de chacun dans sa liberté, mais aussi l’émancipation collective mais surtout et aussi notre capacité à rayonner et à exister dans le progrès. Nos deux pays sans université forte, unie, nos deux pays sans université performante, risquent de se livrer aux errances du hasard et pire que cela, à la dépendance intellectuelle, mentale et psychologique. C’est dans ce sens que nous devons construire cette université »
Le président Letchimy a déployé un projet partagé avec les présidents Chalus et Geoffroy qui permettra d’éclairer les domaines de la médecine donc de la santé, de la mer donc de l’économie bleue, de l’urbanisme donc de l’aménagement de nos villes, etc.
Alors en chœur avec le président (repenti ?) de la CTM nous avons hâte de voir nos deux peuples réunis relever les défis climatiques, énergétiques, les défis du développement économique, culturel, infrastructurel, en lien avec les intelligences, l’audace et l’esprit d’innovation des chercheurs de l’université des Antilles.
DZ