Guadeloupe. Pourquoi les Martiniquais veulent-ils nous entraîner dans leur naufrage ?
Pointe-à-Pitre. Vendredi 15 novembre 2024. CCN. Depuis de nombreuses semaines, la Martinique est dynamitée par un mouvement populaire citoyen qui viserait à contraindre « Maîtres Békés sur leurs arbres perchés » de bien vouloir baisser les prix, les marges de leur fromage et ainsi lâcher quelques-uns de leurs profits et gains financiers. On a tout vu : des manifestations dans les grandes surfaces et sur leurs parkings, des tables rondes avec au milieu préfet et politiques, à qui les militants demandent d’agir pour la baisse des prix dans les supermarchés. Toutes sortes de rencontres ont été diffusées en direct sur Tiktok, un chanteur est même venu soutenir la cause à plusieurs reprises. Le président de la CTM était le garant de la teneur des débats qui se sont tenus – acte politique – dans l’enceinte de la collectivité de Martinique. Les chefs du système consumériste se sont exprimés, les politiques aussi et finalement, en dépit de l’absence des représentants du mouvement populaire, un “protocole” en faveur de la baisse du prix de 6000 produits a été signé. Le énième ministre des dernières colonies françaises est passé voir ; Rodrigue Petitot arrêté. Le temps d’un week-end le « mouvement » s’est exporté en France et ses représentants ne cessent d’exhorter la Guadeloupe à les rejoindre. Mais les Guadeloupéens, qui eux ont vécu le LKP historique de 2009 et le non-respect des protocoles signés par les politiques et l’Etat colonial regardent ailleurs. Où ?
1/ Vers le SMGEAG qui continue de couper l’eau dans les robinets des Guadeloupéens, qui continue d’échouer dans la gestion de la réparation des canalisations, qui continue sa gestion désastreuse des finances de l’eau. Tous ces dysfonctionnements qui devaient miraculeusement disparaitre avec l’avènement d’un syndicat mixte, mais qui seront surement réglés avec le nouveau président qui est en fait un ex-président d’une ancienne version de ce syndicat de gestion de l’eau. Eh oui, il faut suivre, en Guadeloupe, c’est un cycle. L’eau, ça se recycle. Le dernier président du SMGEAG a fui ou démissionné, le lecteur choisira. Après que l’État ait mis fin aux subventions exceptionnelles allouées pour tenter d’arranger une situation financière provoquée notamment par les multiples scandales financiers datant notamment du SIAEAG, l’ancien président du SMGEAG ne s’est pas suffisamment expliqué sur les raisons de ce nouveau coup de semonce de l’État. Et celui qui a pris sa place n’est autre que le dernier président du SIAEAG avant sa liquidation. On refait le match.
Le SIAEAG ? On s’en souvient. C’était le faste pour certains. À l’époque du SIAEAG, on faisait des dépenses somptueuses de Cristal et de Ruinart à grande échelle, on payait des voyages sans justificatif. L’argent d’entretien des canalisations était allègrement dilapidé.
Et l’addition, c’est le Guadeloupéen qui l’a payée et continue de la payer. Une facture sans fin mais surtout, toujours sans eau potable au bout du robinet.
2/ Vers EDF-PEI où certains Guadeloupéens (bien moins à plaindre que la plupart des employés, ouvriers, djobeurs et RSAistes de l’archipel) ont décidé un soir de priver le pays, pendant plusieurs heures d’affilée, d’électricité dans les foyers, jusqu’à atteindre un jour le black-out.
Et on aura beau pointer du doigt la direction d’EDF qui refuse d’avancer sur ce dossier, le Guadeloupéen tout ce qu’il voit c’est que à cause de ce conflit qui aurait pu être évité ou réglé d’autres Guadeloupéens qui lui fendent les reins pour leurs intérêts propres, sans se soucier de la santé et de l’activité générale du plus grand nombre.
3/ Vers l’erratique gestion du réseau routier. Eh oui, en Guadeloupe, peu de chaussées, de voies, d’infrastructures routières sont correctement éclairées, gérées et entretenues.
4/ Vers les difficultés de maillage des transports dans l’archipel.
5/ Vers l’absence totale de vision des politiques pour la Guadeloupe tout simplement.
En Guadeloupe, aujourd’hui nul ne sait où on va.
La gestion du quotidien est catastrophique. On divague comme sur un radeau au gré des vagues, au gré des flots. Ainsi va la Guadeloupe.
Dans quel conflit social nos chefs se sont-ils impliqués pour le régler ?
Il faut bien le dire : les problèmes des deux colonies (Guadeloupe et Martinique) ne sont pas les mêmes.
Injurier ainsi des syndicalistes de Guadeloupe n’est pas la solution
C’est pourquoi la vidéo de 18 minutes d’une représentante du RPRAC attaquant Élie Domota notamment, passe mal en Guadeloupe.
On aura tout entendu dans cette vidéo traitant les uns de « bande de chiens et de chiennes », les autres de « malpropres » ou même de « bactéries dans une matière fécale ».
Pour décrire un des deux élus présents à la réunion, cette représentante a indiqué qu’il est « un Eurodéputé du Rassemblement National plus noir que moi » et on s’est demandé pourquoi cette précision coloriste. D’ailleurs, ce type d’explosion verbale a tendance à refroidir des personnes qui reconnaissent généralement l’intérêt de la lutte des hommes et des femmes. Élie Domota le rappelait récemment avec justesse dans un entretien radiophonique : les luttes sociales menées par les syndicats sont fondatrices en Guadeloupe. La transformation économique et sociale visée en Guadeloupe se doit d’être profonde. Il ne s’agirait pas de continuer à dépendre du versement de produits manufacturés venus d’ailleurs sur les étals de nos supermarchés, et que l’on achèterait un tout petit peu moins cher.
Il s’agirait plutôt de bâtir un système qui tendrait enfin vers l’autonomie alimentaire, cette souveraineté alimentaire, dont l’ambition est parfaitement explicitée notamment par l’universitaire Paméla Obertan sur CaraibCreoleNews.
https://caraibcreolenews.com/guadeloupe-2eme-episode-transformer-le-plomb-en-or/
Que l’on soit d’accord avec ses idées ou que l’on ne partage pas ses méthodes, aucun Guadeloupéen ne peut cautionner une agression verbale de Domota parce qu’il a décidé en tout conscience de ne pas suivre Rodrigue Petitot.
Le Guadeloupéen n’est pas un suiveur. C’est un meneur de luttes sociales et syndicales profondes.
Dans le secteur de la pêche, de l’agriculture, du BTP, de l’enseignement ou autre, le Guadeloupéen a l’habitude se battre pour obtenir des avancées.
Car ce qu’il veut c’est le progrès véritable et en finir avec le système colonial installé depuis près de 4 siècles. Un système qui perdure aussi car les élus actuels n’ont pas le courage et la détermination nécessaires pour l’affronter
Celui qui ferait qu’on ne serait plus des clients toujours parés à négocier au comptoir de ceux dont les ancêtres nous achetaient et à accepter les coupons de réduction qu’ils nous tendent. Ce que l’on doit viser, c’est l’émancipation véritable, concrète, qui pourrait délivrer des fers abrutissants du système des autres.
Le Guadeloupéen le sait : son propre système, il est encore à bâtir.
Rappelons que l’un des objectifs des empires coloniaux était de trouver des populations à qui vendre la production industrielle. En réalité le pacte colonial institué dès les débuts de la colonisation n’a jamais été aboli. Nous avons été installés dans ce système globalisant. À nous de nous creuser les méninges pour en sortir. Au lieu d’injurier, on s’arrête, on réfléchit. Voulons-nous réellement cesser d’être ces clients, mécontents mais accros, qui tentent désespérément de marchander avec des capitalistes assumés ?
Sommes-nous capables d’inventer un modèle économique, social et politique juste et réaliste ?
Sommes-nous véritablement prêts aux sacrifices qui accompagnent la liberté de décider avec qui nous commerçons ?
Sommes-nous prêts à reconsidérer notre manière de vivre ? À tourner le dos au système capitaliste consumériste ?
En Guadeloupe, les “responsables” politiques n’inspirent pas confiance.
Corruption et folie des grandeurs : voilà ce que le Guadeloupéen craint. C’est pourquoi quand on lui parle d’autonomie, d’indépendance ou de domiciliation du pouvoir, il se ferme, rentre dans sa coquille de « souda », car il ne voudrait pas se retrouver aux mains de ses semblables, parfois jugés dangereux. Bizarrement, et c’est ainsi. Le plus grave, est que L’état colonial français, lointain, qui vient de temps à autre remettre de l’ordre dans les agissements des petits chefs jouisseurs corrompus, le rassure d’une certaine façon.
Et puis, comment les deux îles-sœurs pourraient-elles s’inscrire, de manière identique, dans ce même mouvement alors même que leur actualité et leur histoire sociologique ne sont pas les mêmes ?
« La Martinique ayant été livrée aux Anglais par les grands planteurs pour échapper aux effets destructeurs de la Révolution de 1789 sur le système esclavagiste, l’île n’a pas connu la première abolition de la servitude qui a eu lieu en 1794 en Guadeloupe avec la quasi-élimination des propriétaires esclavagistes.
Il en est résulté en Martinique une permanence du pouvoir de la plantocratie créole mais aussi, quand le temps de l’abolition finale et totale est venu en 1848, le développement relatif d’une petite et moyenne paysannerie “de couleur” à l’écart de la grande propriété blanche béké créole.
Tandis qu’au même moment, la Guadeloupe passait sous la domination, presque sans partage, d’un capitalisme agro-financier “expatrié” et devenait alors une colonie classiquement structurée par l’opposition farouche de ce capitalisme et d’un prolétariat agricole autochtone. » (Giraud, Dubost, Calmont, Daniel, Destouches, Marie-Luce, https://journals.openedition.org/hommesmigrations/252)
Espérer que les prix baissent, c’est continuer à adhérer au système en place.
Le vrai projet pour notre Gwadloup c’est nous qui pouvons le fonder, le créer, sans injures ou esprit de division et de chiraj, mais avec des têtes pensantes, de tous horizons et surtout avec notre peuple. Car il a besoin pour se mettre en mouvement d’être rassuré, car a trop souvent été baladé par des politiques soumis et sans consistance. Nous n’avons plus aucun autre choix que de trouver ce dénominateur commun pour enfin nous fédérer et sortir de cette trop longue nuit coloniale.
Quand saurons-nous si nous sommes prêts ? Le jour où nous cesserons de nous nourrir de l’accumulation de capital. Le jour où nous cesserons de penser qu’il nous faut plus de biens pour être heureux. Le jour où nous choisirons les circuits courts (la vente directe du producteur au consommateur, la vente sur les marchés, etc.) et le locavorisme. C’est dans notre esprit que le premier changement doit venir.
Danik I. Zandwonis
NDLR. Le pacte colonial est un système par lequel une “métropole” maintient un monopole commercial avec ses colonies. Le territoire dépendant est ainsi contraint de vendre la totalité de ses productions de matières premières au pays auquel il est soumis.
Ce système donnait à la France l’exclusivité du transport transatlantique aux colonies, leur interdisait de commercer entre elles et avec les pays étrangers, et les obligeait à orienter leur activité vers des produits agricoles de haute qualité [épices, sucre, coton, café, etc…)