Guadeloupe. Société. La question des Féminicides #1
Pointe-à-Pitre. Vendredi 7 juin 2024. CCN. Un mot nouveau définit les meurtres et assassinats de femmes dans un contexte de violences conjugales mais pas seulement. Le féminicide va au-delà de la cohabitation de la vie à deux, quand la rupture prive de pouvoirs l’homme violent, furieux de voir lui échapper l’être qu’il croyait sous emprise de sa perversion ou sous emprise de la peur. L’analyse d’Helene Migerel Psychanalyste, Docteur en sciences humaines.
1/ Le Grenelle des violences
Souvent la menace : « Je vous tuerai tous : tes parents et tes enfants », n’est pas mise à exécution pour la parentèle, mais la surveillance dont elle fait l’objet laisse craindre le pire et augmente l’angoisse de la femme qui se sent coupable d’avoir exposé sa famille à une telle situation. Quelques cas démontrent que le danger s’avère réel : un père meurt d’une rafale d’arme à feu lors de la réception de son anniversaire, la fête battait son plein. Son ex-gendre était persuadé qu’il avait conseillé à sa fille d’introduire une demande en divorce. Cet autre, après une course poursuite en voiture tue la mère, le père, son ex-compagne le jour, en pleine rue. Les 118 femmes tuées en 2022 en France, interpellent sur la multiplicité de ces passages à l’acte. La Guadeloupe n’est pas en reste avec 22 féminicides en 2022.
Face à cette évidence, le gouvernement avait décidé de porter le débat public en instituant le Grenelle des violences conjugales du 03 septembre au 25 novembre 2019, grande cause déclarée du ministère de l’égalité homme/femme dont la secrétaire d’Etat était Marlène SCHIAPPA. Son but : rassembler des propositions venant d’horizons divers afin d’édifier des réformes au plus près de la réalité du phénomène. La volonté de faire se côtoyer des associations d’aide aux victimes, des policiers et des gendarmes qui reçoivent les plaintes, les victimes et les parents de victimes, les travailleurs sociaux, ceux qui interviennent de près ou de loin quand une femme est en prise avec des violences physiques et ou psychologiques, avait pour but d’inciter les uns et les autres à prendre conscience du cloisonnement existant entre ces institutions et l’obligation de réinventer des actions de communication.
Des mesures depuis de longues années ont été mises en place et à l’observation elles n’ont pas eu grand effet et n’ont pas permis d’abaisser significativement le pourcentage d’agression envers les femmes. En Guadeloupe où le taux d’agression a augmenté de 27%, le téléphone d’urgence peu demandé a rarement été utilisé. La mise à l’abri est insupportée car vécue comme une sanction : « Pourquoi je devrais moi quitter le domicile conjugal ? » L’explication rationnelle de l’adresse connue qui implique un risque de réitération de passage à l’acte ne convainc pas. De surcroît le 3919 numéro d’écoute destiné aux femmes victimes de violences est méconnu par manque d’information ou par lassitude de constater que rien ne bouge, que le harcèlement reste permanent et les mesquineries à propos de la garde d’enfants nés de l’amour, incessantes.
En guise d’ouverture du Grenelle, le premier ministre affirme que « le déni, l’indifférence, l’incurie, le machisme séculaire, le processus d’emprise sexiste profondément ancré dans la société », ont permis que ces faits perdurent. Il suggère :
- Une mise à l’abri rapide des femmes en danger (71% des femmes cohabitent encore avec le conjoint) en créant 1.000 places d’hébergement,
- Un accueil irréprochable des victimes dans les gendarmeries et les commissariats. Le Président de la République a fait l’expérience d’un échange téléphonique entre un centre et un policier dans son refus d’accompagner une victime au domicile, d’où l’urgence d’une formation adaptée. L’innommable est arrivé à une plaignante dans un commissariat, quand le policier a demandé à son mari d’y venir, mettant face à face une victime et son agresseur. Quel était son projet ? Son rôle devait se cantonner à enregistrer la plainte et non à envenimer les choses. En vain il a été suggéré que des policières se chargent de la réception des femmes, au moins elles prendraient systématiquement les dépôts de plaintes.
- La possibilité de dépôts de plainte à l’hôpital.
- Le traitement rapide des dossiers dans les tribunaux, ceux-ci n’excédant pas 15 jours.
- La nomination de procureurs référents en matière de violences conjugales dans chaque tribunal.
- L’élargissement du recours au bracelet électronique anti-rapprochement. Pour l’heur, la violation de la mesure ne fait l’objet d’aucune sanction envers l’agresseur.
- Une nouvelle législation pour réformer l’autorité parentale (80% des victimes ont au moins un enfant). La suspension d’office de cette autorité parentale en cas d’homicide volontaire sans qu’il soit besoin d’une décision du juge.
2/ Améliorer le traitement des violences.
Des nouveautés font leur apparition dans ces énoncés, mais est-ce bien suffisant ? Septembre 2022 la première ministre a réaffirmé sa détermination à poursuivre le combat en axant l’effort sur l’hébergement ( mille places supplémentaires ouvertes sur tout le territoire dont l’Outre-Mer) sur la justice (mission parlementaire à venir pour faire le bilan et améliorer le traitement de ces violences),sur la sécurité (présence policière dans la rue, enquêteurs spécialisés) en 2023 un nouveau dispositif » pack de nouveau départ pour faciliter le départ du domicile des femmes bénéficiant de mesures de protection et en 2025 l’augmentation du nombre d ‘intervenants sociaux en gendarmerie et dans les commissariats.
La Belgique a institué une loi qui reconnaît les quatre dimensions du phénomène : féminicide intime, non intime, indirect et l’homicide fondé sur le genre. En France le féminicide est traité comme un homicide. Un constat : si le nombre de féminicides ne baisse pas significativement, les causes sont à rechercher dans la protection insuffisante des victimes, l’absence d’analyse des mesures et de leur évaluation, le manque d’accompagnement des familles de victimes. La prévention est inexistante, elle aurait pu être amorcée par la formation de brigades spécialisées, avec un effectif suffisant qui prendrait le temps d’écoute au moment du dépôt de plainte. Souvent, il se dit là des choses importantes qui nécessiteraient une mise en place de mesures immédiates de protection si elles avaient été entendues. Des femmes après plusieurs plaintes ont été tuées.
Cependant, une question primordiale de fond est à poser : Pourquoi ne partent-elles pas ?
Le taux de chômage en Guadeloupe hisse la cause économique au premier rang et constitue un obstacle majeur au départ des femmes. Engluées dans une dépendance financière, elles craignent d’avoir à affronter une insécurité qui rejaillirait sur les enfants. Leurs emplois précaires ont comme conséquences la perception des allocations familiales par le mari avec qui des dettes sont engagées : prêt immobilier, crédits de toutes sortes. La difficulté est accrue quand la maison construite l’est sur un terrain familial auquel elles ne peuvent prétendre à aucun droit. A seulement envisager laisser la proie pour l’ombre, pas seulement pour elles mais aussi pour les enfants, elles mettent au premier plan la sécurité et le confort matériel.
A suivre…..
félicitations Mme Migerel pour votre engagement
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