Port-au-Prince. Lundi 21 novembre 2022. CCN. Depuis le début de l’année, près d’une dizaine de journalistes ont été tués, blessés ou kidnappés. Haïti est le pays avec l’Ukraine, le plus dangereux pour exercer la profession de journaliste. Notre confrère V.L a accepté pour CCN de faire un focus sur cette dramatique situation.
Oui, pour les journalistes haïtiens, les risques sont très élevés en raison de la dégradation du climat sociopolitique et de l’insécurité qui prévaut en Haïti.
Il devient en effet difficile d’exercer le métier de journaliste en Haïti ces derniers temps. Pour la première fois dans toute l’histoire de la presse haïtienne, huit journalistes ont été assassinés au cours des 11 premiers mois de l’année 2022. Entre assassinat, tentative d’assassinat, actes d’agressions, de menaces… Les travailleurs de la presse subissent de plein fouet la loi d’individus malintentionnés et de bandes armées dans le pays.
1. Un accès difficile à l’information
Les journalistes haïtiens ne sont pas libres d’accéder à divers endroits du pays où les gangs sèment la terreur. Des journalistes tués dans l’exercice de leur métier… alors qu’ils recherchaient des informations crédibles pour informer.
Ainsi au début de l’année 2022 John Wesley Amadi , travaillant pour la station de radio Écoute FM et Wilguens Saint-Louis, collaborateur dans différents médias numériques ont tous les deux été assassinés le 6 janvier à Laboule 12 (commune de Pétion-Ville) par le gang de Ti Makak, qui “contrôle” la zone.
Le 23 février , c’est au tour de Maxiben Lazare du “Roi des infos”, d’être touché par des projectiles tirés par les forces de l’ordre alors qu’il couvrait une manifestation d’ouvriers réclamant de meilleures conditions de travail sur la route de l’aéroport.
2 autres journalistes sont assassinés le 11 septembre à Cité Soleil par des groupes armés, dans le cadre d’un conflit opposant G9 et GPEP, il s’agit de Tayson Latigue de “Tijèn Jounalis” et Frantzsen Charles de “FS News” dans l’exercice de leur métier.
Le cadavre de Tess Garry, qui co-animait une émission socio-politique sur Radio Lebon FM des Cayes, dans le sud du pays, a été quant à lui retrouvé sous un pont.
Récemment, des journalistes ont été témoins de l’assassinat d’un confrère au sein même du commissariat de police de Delmas 33,Il s’agit de. Romelson Vilcin, Correspondant de “Génération 80”, une station de radio basée dans la ville de Port-de-Paix, département du Nord-ouest. Il a été abattu dans la cour du commissariat alors qu’il était venu apporter son soutien à un autre journaliste, Robest Dimanche, qui lui a été bastonné et arrêté par la police, sous prétexte qu’il troublait l’ordre public au moment où il couvrait un évènement
. Le confrère a été gardé à vue illégalement durant la journée pour être libéré après plusieurs démarches de ses avocats et la mobilisation de plusieurs confrères et consœurs de la presse. Cette situation a occasionné l’assassinat du journaliste Romelson VILCIN à l’intérieur même du commissariat de police alors qu’il était sur place avec d’autres confrères et consœurs de la presse pour exiger la libération du confrère arrêté illégalement.
Une autre victime…le journaliste Fritz Dorilas qui coanimait l’émission à caractère juridique « Le droit, la loi et la justice » diffusée sur la radio Mégastar, est tombé sous les balles assassines d’individus armés qui s’affrontaient dans la zone de Caradeux située dans la commune de Tabarre, dans la soirée du samedi 5 novembre 2022, alors qu’il rentrait chez lui.
Le 25 octobre dernier , le journaliste de Magic 9 et du quotidien Le Nouvelliste, Roberson ALPHONSE, a failli laisser sa peau lors d’une tentative d’assassinat à Delmas 40B. Ce journaliste qui est très respecté dans le milieu était en route pour se rendre à l’émission Panel Magic. Le confrère a reçu deux projectiles au niveau du bras. Son véhicule a reçu une dizaine de projectiles de calibre T65 selon la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ). Il a subi trois opérations chirurgicales.
Le journaliste reporter d’images de Télévision Nationale d’Haïti Michaud Joseph travaillant également pour un média en ligne a été victime de brutalités policières le 25 octobre dernier alors qu’il filmait une scène où un militant a été arrêté par la police puis bastonné au niveau du Champ-de-mars non loin du Palais présidentiel. La caméra du JRI a été touchée par des balles des forces de l’ordre, heureusement, il n’a pas été atteint.
2. Les années 2018 et 2019 ont aussi été fatales pour les journalistes
Vladimir Legagneur, photojournaliste est porté disparu depuis le 14 mars 2018. Il était parti en reportage à Grand Ravine, entrée Sud de la Capitale haïtienne bloquée depuis environ trois ans suite à un conflit armé entre des gangs pour obtenir plus de territoires.
Le 10 juin 2019, Rospide Pétion a été assassiné quelques heures après avoir laissé la Radio Sans Fin (RSF) dont il était copropriétaire. La victime animait une émission socio-politique très prisée « Ti bat bouch ».
Quelques mois plus tard, soit le 10 octobre, à Mirebalais le journaliste correspondant de Radio Méga ,a été lui aussi assassiné. Il faisait l’objet de menaces de la part d’un sénateur de la république, selon des sources concordantes.
3. Des journalistes dans la ligne de mire des bandits armés.
À côté des journalistes victimes physiquement soit par balles, de bastonnades ou d’arrestations illégales, de nombreuxconfrères font l’objet des menaces de mort et de viol.
C’est le cas par exemple du journaliste correspondant permanent de Radio Méga à Petite-Rivière de l’Artibonite, Désir Venes. Ce dernier est la cible du chef de gang « Gran Grif » de Savien. Ce puissant chef de gang estime que le journaliste ne doit pas donner des informations sur les actions commises par ces bandits au sein de la communauté rivartibonitienne.
Le journaliste Éloge Milfort qui travaillait pour Radio Métropole depuis une dizaine d’années s’est trouvé dans l’obligation de s’exiler aux États-Unis d’Amérique. C’est le cas également pour le photojournaliste Dieu-Nalio Chéryqui a lui aussi pris la fuite vers les Etats Unis avec sa famille, en raison des menaces
L’ancienne journaliste de Radio Vision 2000, Lovelie Stanley Numa, depuis 16 juin 2019 vit une situation très difficile. Elle ne cesse de subir des menaces de toutes sortes,,à cause de son implication dans des mouvements de protestation en vue d’exiger justice notamment pour le journaliste Rospide Pétion assassiné.
Elle se trouve dans l’obligation de vivre en totale clandestinité, arpentant des demeures différentes pour protéger sa famille. Depuis 2020, après avoir lancé son émission écologique pour l’éducation environnementale de la population, elle n’est plus libre d’exercer son métier en raison de la limite de ses déplacements.
On compte également le journaliste culturel Rodly Saintin. Il est producteur, présentateur d’une émission radiophonique sur AlterRadio, correspondant culturel pour RFI et enseignant en journalisme. Depuis le 20 juin 2021 le confrère vit caché , à la suite des menaces de mort émanant des groupes armés de Cité soleil , le quartier où il habitait.
La liste qui semble très longue, des journalistes contraints de vivre cachés ou de fuir le pays contre leur volonté.
4. Certains journalistes se font complices des bourreaux pour atteindre leurs propres confrères et consœurs.
« Au niveau de la corporation on trouve certains journalistes en complices avec le pouvoir en place, soit avec des membres de l’opposition ou du secteur privé des affaires pour entraver le travail d’autres confrères et consœurs de la presse. Il y a des personnes qui se disent journalistes et qui travaillent comme de véritables agents doubles. “C’est pour cela que les bourreaux circulent en toute impunité parce que la presse haïtienne est divisée à tous les niveaux et la justice est contrôlée par les secteurs précités », nous a déclaré une consoeur qui a préféré garder l’anonymat.
La liste des journalistes subissant des menaces de façon quotidienne soit par le pouvoir en place pour avoir dénoncé leur ingérence, soit par la police, soit par des bandits ou d’autres politiciens…. n’est pas exhaustive puisque beaucoup d’autres confrères et consœurs de la presse haïtienne sont contraints de rester cachés ou prendre le chemin de l’asile vers un pays d’accueil pour tenter de rester en vie
‘’Oui, il ne fait pas bon d’être journaliste Haïti en ce moment. les risques sont élevés, parce que la population n’accorde pas trop d’importance au journaliste sinon que par besoin, certains policiers nous considèrent comme ennemis;, des politiciens, les gangs armés, certains hommes d’affaires, des membres du gouvernement peuvent nous considérer comme ennemis si vous traitez des sujets qui les dérangent ou qui ne sont pas en leur faveur’’.
Être journaliste en Haïti c’est comme porter un fardeau d’après plusieurs journalistes interrogés à ce sujet qui ont voulu garder l’anonymat.Pour la PDG du média en ligne haïtien Impulse Web Medias, les risques du métier augmentent davantage surtout pour les journalistes indépendants qui travaillent pour les médias en ligne et les photojournalistes.
D’ailleurs la majorité de journalistes “cachés” dénoncent l’absence de l’unité qui n’existe presque pas entre les confrères et consœurs.
« Vous pouvez être menacé ou victime en tant que journaliste, cela ne fait pas de bruit. Cela va dépendre de votre notoriété, de la position de votre média pour lequel vous travaillez, qui est votre patron ? Si vous faites partie d’un média en ligne, non seulement la société vous juge mais la corporation journalistique vous juge également. Ils osent même questionner pourquoi vous étiez à tel ou tel endroit ? C’est une question de clan dans les médias ».
Plus loin, la porte-parole de l’Association Haïtienne des Médias en Ligne (AHML) déplore le fait que les associations de journalistes n’ont pas de moyens pour soutenir les journalistes en difficulté même s’ils sont membres de l’organisation qui prétend défendre les droits des travailleurs-euses de la presse.
Pour des organisations de médias en ligne comme l’AHML, le CMEL et le RENAMEL, ces modes opératoires des forces publiques rappellent une triste période de leur histoire. Elles traduisent les velléités de ceux qui ne rêvent que de museler la presse et piétiner la démocratie en Haïti. En ce sens, les membres de ces organisations exigent une enquête judiciaire sur les cas des journalistes victimes des dérapages de la police au sein même d’un commissariat de police.
Ces associations appellent à préserver la vie des journalistes car ces agissements témoignent d’une volonté claire de supprimer la liberté de la Presse en Haïti.