Pawol Lib (Libre Propos) est une nouvelle rubrique de CCN. Notre rédaction propose donc à tous les progressistes qui le souhaitent un espace de communication, une tribune dont le but principal est de porter une contribution au débat d’idées qui fait cruellement défaut dans notre pays. Les points de vue exprimés dans « Pawol Iib » n’engageront pas nécessairement la ligne éditoriale de CCN mais il nous semble indispensable que les intellectuels, la société civile aient la possibilité de pouvoir très librement opiner dans nos colonnes. Cette fois, c’est Jean Pierre Krief qui nous soumet sa lettre adressée aux membre de la commission CNC-Etat-Région
Durant ces deux précédentes années, tous ensemble au sein de cette commission, nous nous sommes attachés à faire valoir quelques principes fondamentaux : le professionnalisme dans l’approche des projets, l’importance de l’analyse critique des contenus, l’équité dans le traitement des dossiers et l’impartialité dans les jugements que nous avions à rendre. Quelques règles essentielles à appliquer, que nous devions aux efforts des acteurs de la filière locale Cinéma-Audiovisuel et, plus largement, à une certaine idée de la conscience professionnelle et de la démocratie.
Parallèlement à notre rôle, nous découvrions les conditions d’existence d’un 2ème Fonds régional d’aide au cinéma et à l’audiovisuel, tenant de facto jusqu’à présent le rôle de Fonds gris.
Par la partialité de son fonctionnement, l’arbitraire de ses décisions et le clientélisme qu’il a déployé, celui-ci a eu pour effet de court-circuiter le travail et les valeurs posées au sein de notre commission, jetant aussi un doute sérieux sur la probité des pratiques développées par la région au titre du soutien financier au secteur. Il faut rappeler que les subsides distribués par ce 2ème Fonds ont souvent bénéficié à des tournages de passage aux thématiques peu glorieuses et pour des montants fortement disproportionnés. Il importe aussi de souligner que l’abondement financier dont a profité ce Fonds a été de 3 à 5 fois supérieur, voire plus, à celui du Fonds de Coopération CNC-Etat-Région dont nous dépendons, finalement réduit à une peau de chagrin.
Une telle disparité dans le fonctionnement des mécanismes de soutien à l’audiovisuel et au cinéma a évidemment deux conséquences négatives : elle brouille et empêche tout développement cohérent de la filière tel qu’il revient à la Région de l’assurer ; elle soumet les acteurs locaux du cinéma et de l’audiovisuel à un assujettissement où règne le bon vouloir de quelques-uns, le copinage, les prébendes, la débrouille individuelle, la partialité et l’opacité. De telles pratiques sont inquiétantes par leur pérennité et leur ampleur systémique. Notons qu’elles ont fait l’objet d’une critique sévère de la part de la Cour régionale des comptes dans son dernier rapport du 10 juillet 2019, qui dénonce dans de telles modalités de gouvernance « une organisation opaque, tournée vers elle-même »(Rapport, P.66). Le Fonds gris de soutien au cinéma et à l’audiovisuel en est, hélas, un exemple éloquent.
Or, malgré les attentes, malgré les alertes fortes et salutaires lancées sur la place publique par Frantz Succab dans sa lettre ouverte au président de la région dès octobre 2018, il y a donc maintenant un an, aucun changement réel et de fond ne s’est profilé à l’horizon. Il est apparu et il se confirme, hélas, que les effets de communication lancés au travers des médias l’ont finalement emporté sur tout autre exigence : les déclarations floues, le jonglage verbal, le brassage de formules générales et les éléments de langage de fabrication technocratique ont fini jusque récemment par suppléer à l’absence de tout engagement concret et précis. Alors même que les enjeux avaient été pourtant clairement désignés et qu’ils concernent en premier lieu ce fameux 2ème Fonds gris.
La conséquence directe de cette situation sur la commission CNC-Etat-Région, dont nous avons fait partie depuis octobre 2017, est que nous en sommes réduits à une fonction, voire une posture, de commission alibi.
Dans les conditions d’un contexte figé et d’un jeu biaisé, nous avons pris pour notre part la décision de refuser de continuer à siéger au sein de cette commission, son rôle se trouvant évidé, minoré par l’inaction intéressée ou irresponsable des décideurs concernés, à divers échelons des mécanismes de la région. Observons que le budget qui nous est affecté prend des dimensions dérisoires et que, peu à peu, le Fonds CNC-Etat-Région est déserté de toute demande (5 dossiers pour la commission du 25 octobre 2019 !…) C’est plus qu’un signe, c’est le symptôme d’une anomalie profonde laissée à l’abandon, fruit amer d’une sorte de surdité volontaire malgré la clarté de la lettre ouverte évoquée plus haut et le large écho dont elle bénéficia.
Notre geste de refus est symbolique. Si l’on veut une commission vide de sens et d’effet, on ne pourra compter sur nous pour meubler le vide. Chacun sait combien nous nous sommes battus avec d’autres pour changer les choses dans les faits et dans le réel du travail que nous avions à assurer, en bonne entente avec tous les membres de la commission. Dans un seul esprit : défendre l’intérêt général sans nous méprendre sur les priorités de notre rôle, sans croire ni faire croire que la confusion entre paysages et pays est une bonne affaire pour tous.
Après une longue séquence de déclarations médiatiques sans suite dans les actes ou à vocation purement autos justificatrices opérées à plusieurs niveaux de l’instance régionale, nous ne saurions maintenant feindre de croire au rôle dénaturé qui nous est assigné.
Nous comprenons tout à fait que les membres guadeloupéens de la commission puissent agir autrement, nous savons le sens éthique qui les porte incontestablement. Nous mesurons aussi ce que leur jugement doit à leur enracinement et en quoi le nôtre s’en trouve différencié.
Merci très chaleureusement à tous nos collègues commissaires pour tout ce que nous avons pu partager en débats, en échange de convictions, de réflexions, de sincérité et de lucidité sur le fond des enjeux qui nous mobilisaient, des enjeux qu’on ne saurait réduire à quelques débats savants autour du cinéma et de l’audiovisuel.
Jean-Pierre Krief – Camille Ponsin