La civilisation Nubienne est-elle à l'origine de la civilisation Egyptienne
L’historien grec Diodore de Sicile (vers 90-20 av. J.C.) écrit :
“Les Ethiopiens disent que les Egyptiens sont une de leurs colonies qui fut menée en Egypte par Osiris. Ils prétendent même que ce pays n’était au commencement du monde qu’une mer, mais que le Nil entraînant dans ses crues beaucoup de limon d’Ethiopie, l’avait enfin comblé et en avait fait une partie du continent. Ils ajoutent que les Egyptiens tiennent d’eux, comme de leurs auteurs et de leurs ancêtres, la plus grande partie de leurs lois ; c’est d’eux qu’ils ont appris à honorer les rois comme des dieux et à ensevelir leurs morts avec tant de pompe ; la sculpture et l’écriture ont pris naissance chez les Ethiopiens
Citons maintenant Cheikh Anta Diop :
“Nous avions écrit dans Nations nègres et Culture et dans nos publications ultérieures que, d’après le témoignage quasi unanime des Anciens, la civilisation nubienne est antérieure à celle de l’Egypte et lui aurait même donné naissance. Cela est tout à fait logique si l’on se place dans la perspective d’un peuplement de la Vallée du Nil par une descente progressive de peuples noirs depuis la région des Grands Lacs, berceau de l’Homo sapiens sapiens. Mais les faits archéologiques probants manquaient pour démontrer cette hypothèse. La lacune, semble-t-il, vient d’être comblée, grâce aux fouilles de Keith Seele, de l’Université de Chicago, faites au cimetière de Qostul en Nubie “.
En effet, l’archéologue américain Bruce Williams qui a étudié les objets provenant de ces fouilles effectuées dans les années soixante (le rapport a été publié en 1986) écrit dans le Courrier de l’UNESCO :
“Grâce au témoignage fourni par le cimetière L, la période qui précède juste la première dynastie devient, pour la première fois, une époque historique… Un fait étonnant se dégage, absolument contraire à toutes les idées antérieures sur la question : pendant neuf générations au moins, de 3500-3400 à 3200-3100 avant J.C., la Nubie du groupe A fut un Etat unifié, possédant tous les attributs d’une civilisation : un gouvernement, un pharaon, des fonctionnaires, une religion officielle, une écriture et des monuments, un Etat assez fort pour unir des peuples qui n’étaient pas de même origine. C’est ainsi que les habitants du Ta-Seti, “Le Pays de l’Arc”, nom par lequel les anciens Egyptiens désignaient la Nubie, participèrent pleinement et sur un plan d’égalité que personne n’avait jamais soupçonné, à l’irrésistible essor de la civilisation des rives du Nil”.
L’ouvrage collectif Egypt and Africa, Nubia from Prehistory to Islam est très riche en résultats de diverses recherches archéologiques entreprises au Soudan. En introduction, Jean Vercoutter dresse un tableau de l’investigation archéologique au Soudan depuis le 18ème siècle, avec les descriptions des ruines de Nubie faites en 1738 par le voyageur danois Frederik Norden. Dans la dernière section de son texte, l’auteur procède à une brève analyse prospective de “l’archéologie nubio-soudanaise” dans laquelle il écrit :
“Les récents travaux au Ouadi Kubanieh et dans les “Playas” du désert occidental comme ceux entre Ve et VIe Cataractes : de Kadero, Saggai, Kadada, el-Ghaba, devraient être étendus aux déserts ouest et est, si l’on veut discerner l’une des composantes essentielles de la civilisation pharaonique naissante, celle qui est venue du Sud”.
Le matériel mis au jour, en particulier celui relatif aux pratiques funéraires, permet à Bruce Williams de caractériser les cultures anciennes de la Nubie et d’apprécier leurs relations avec celles de l’Egypte dans un article intitulé “A Prospectus For Exploring The Historical Essence of Ancient Nubia”, initialement publié dans l’ouvrage collectif Egypt and Africa, Nubia from Prehistory to Islam et reproduit, dans la revue ANKH.
D’autres auteurs révèlent aussi l’histoire de la Nubie et son importance dans l’Afrique ancienne comme Aminata Sakho-Autissier dans son article “Soudan Royaumes du Nil”. L’ouvrage collectif Soudan, Royaumes sur le Nil, recèle également de nombreuses pièces archéologiques concrétisant différents aspects des cultures de la vallée du Nil (art, architecture, artisanat, écriture, spiritualité, etc.) et leur évolution sur plusieurs milliers d’années. L’ouvrage de Babacar Sall, Racines éthiopiennes de l’Egypte ancienne, restitue le rôle capital joué par la Nubie dans l’émergence des civilisations nilotiques. Théophile Obenga, dans la préface, souligne trois aspects majeurs développés par l’auteur :
“- L’éclaircissement des relations diverses qui ont existé entre l’Ethiopie, l’Egypte et la Libye, c’est-à-dire entre la Nubie (ancien Soudan), la Vallée égyptienne du Nil et le plateau Nord de l’Afrique avant la période dynastique pharaonique, c’est-à-dire avant 4000 ans avant notre ère ;
– l’unité géographique, ethnique et culturelle des pays nilotiques ou des contrées du Nil que sont l’Abyssinie, le Soudan et l’Egypte, Ð ce qu’affirmaient déjà les auteurs grecs, notamment Diodore de Sicile et Strabon, après Hérodote, sur la base de la tradition orale pharaonique et des faits de civilisation examinés sur place ;
– l’influence fondatrice de l’Ethiopie (Nubie-Soudan) sur l’Egypte et le monde saharo-maghrebin : ce point capital est la “thèse” même du professeur Babacar Sall qui démolit, pièce par pièce, les spéculations, franchement gratuites, sur l’origine sumérienne ou proche-
orientale de la civilisation pharaonique.” Babacar Sall, écrit dans sa conclusion :
“La monarchie pharaonique a dé se constituer à partir d’un stimulus éthiopien. D’abord parce que l’encensoir de Qostul datant d’avant Narmer porte en décor maints attributs de la monarchie d’Egypte. Parce que Narmer a appartenu à un clan de métallurgistes, en décidant du site de Memphis, il y consacrait un temple au dieu Ptah connu à l’époque dynastique comme dieu des forges et des métiers. La métallurgie du cuivre a été introduite en Egypte par le type stéatopyge puisque leurs tombes contenaient des épingles de cuivre. Ce caractère primordial de Ptah explique qu’il débute la liste des pharaons. Il a gardé ce statut jusqu’à la basse époque puisque les dodécarques avaient fait de son culte le fondement de leur co-régence. Le lien entre Ptah et Narmer permet de concevoir la monarchie de Hiéraconpolis comme une monarchie technologique d’émanation éthiopienne.
On comprend alors que les auteurs de cette institution aient connu Pount très tôt.
“On comprend alors la préséance du Sud en tant “qu’en soi”, que dans les tombes de Abadiyeh qui contenaient la poterie de la classe B, le mort ait la tête orientée vers le Sud. Cette direction correspondait au Début. Au Nouvel Empire, dans la phraséaologie triomphaliste du pharaon idéal, on écrit que l’empire s’étendait de la “corne de la terre” au Sud jusqu’aux “marais d’Horus” au Nord. Tel est l’ancrage de l’Egypte dans l’Ethiopie qu’il fallait circonscrire. L’approche comparatiste qui découle de cette donnée fait que des auteurs jettent un regard vers l’univers Dogon. Mais cette perspective doit être comprise comme englobant à la fois la dimension du caractère Néo-pharaonique de l’Afrique noire post-pharaonique et celle d’un retour d’une forme raffinée, épanouie à partir d’un substrat pan-africain”.
Se trouve donc pleinement confirmée l’existence de ce lien ombilical entre la Nubie et l’Egypte ancienne. L’ensemble de ces travaux ont pour conséquence salutaire, entre autres pour la recherche historique, de supprimer cette frontière factice et stérilisante traditionnellement érigée entre l’Egypte ancienne et le reste de l’Afrique noire.
Photo : brûle-parfum provenant des fouilles menées par Keith Seele à Qustul en Nubie et étudié par Bruce Williams. Cet objet par son ancienneté et le lieu de sa découverte témoigne de l’antériorité de l’Etat Nubien. En particulier, on distingue au centre les attributs royaux repris plus tard par l’Etat pharaonique égytien.
Passé-présent: De l’esclavage des Blancs et du martyre des Irlandais… https://gmetech.info/passe-present-de-lesclavage-des-blancs-et-du-martyre-des-irlan
Jean Marie Nol