Martinique. Analyse. Comment sortir de la crise politique ?

Martinique. Analyse. Comment sortir de la crise politique ?
Fort-de-France, le Mercredi 15 octobre 2025. CCN – Les Martiniquais sont profondément convaincus que leur pays est en but à une crise multidimensionnelle inédite. Certes, dans sa déjà longue traversée de l’histoire, cette colonie française a dû faire face à maintes difficultés et mutations. Elle a affronté, avec résilience (qui n’est pas « résignation ») les défis sociaux, économiques et autres catastrophes comme l’éruption de la Montagne Pelée en 1902. La Martinique est-elle en mesure de rompre définitivement avec le système colonial français ?
L’analyse de Gaston Léon Barthélemy
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L’impression qui se dégage aujourd’hui, dans l’effondrement du modèle départemental-colonial, c’est qu’il n’y aurait plus d’issue. Ce sentiment se nourrit des multiples impasses du système actuel : pauvreté, absence de perspectives pour la jeunesse, crise démographique, vie chère, violence liée au narcotrafic, silence des intellectuels qui, pour la plupart, sont devenus des courtisans des lobbys politiques ou économiques en place.
La désespérance est telle que le moindre charlatan, oint de la propagande de certains cercles religieux, devient un envoyé de dieu lui-même, presque en direct. Une magie de Tik Tok.
C’est dans ce contexte qu’il convient d’analyser les forces politiques.
1/Le courant assimilationniste
Même si certains de ses ténors continuent d’exister et de s’exprimer, à l’instar de Miguel Laventure, Montplaisir ou Lesueur, ce courant ne dispose plus de sa force de frappe et de sa capacité d’influence d’antan. Il a connu un long déclin qui a abouti à une quasi disparition du champ politique.
Son discours est cependant relayé par une Catherine Conconne, ancienne dirigeante opportuniste du PPM qui, sous couvert d’un progressisme revisité, reprend les grandes thématiques d’une droite dure, bien éloignées du césarisme. Elle est devenue un instrument politique de la caste békée et se meut suivant la direction des vents de l’opinion publique.
Plus grave est sans doute le développement de l’extrême-droite en Martinique, comme dans les autres colonies françaises de Guadeloupe, de Guyane ou encore de Mayotte. Le lepénisme trouve un écho favorable auprès d’une frange des Martiniquais qui considère que le Rassemblement (Front) National, un parti pourtant raciste, pourra, mieux que les partis de la droite classique française, défendre sa volonté de rester éternellement sous domination française.
Ce qu’ils ignorent c’est que ce qui intéresse le FN/RN est de maintenir l’empire français intact pour des considérations géostratégiques et des intérêts divers. La thèse du grand remplacement qui constitue un axe idéologique fort de ce parti est, quand au fond, l’expression d’un suprémacisme blanc que les électeurs
afrodescendants de l’empire français ne veulent pas percevoir et dont ils semblent s’accommoder.
L’arrivée probable du FN au pouvoir dans les prochaines années -ou les prochains mois- pose déjà indubitablement aux forces d’émancipation nationale de nos pays des défis particuliers auxquels il serait pertinent de répondre dès à présent.
2/Les Forces de Gauche
Le PPM, en tête de Ensemble Pour une Martinique Nouvelle qui regroupe des partis de moindre importance, se trouve aujourd’hui dans une période d’angoisse et d’effondrement. Certains de ses alliés de poids, comme David Zobda, maire du Lamentin, ont d’ailleurs fait défection.
La gestion calamiteuse de la CTM par Serge Letchimy suscite une réprobation générale dans toutes les couches de la population et contribue à l’accélération du discrédit du PPM et des ses alliés.
Au sein même du PPM, la perte de la circonscription de Fort-de-France, lors des dernières législatives, a accentué une situation de malaise et provoqué plusieurs départs. La convocation de Serge Letchimy et Didier Laguerre, maire de Fort-de-France, à la mi-novembre, devant la 32 ème Chambre correctionnelle, au tribunal judiciaire de Paris, sur l’affaire dite de la retraite de Letchimy, semble tomber au plus mal.
De nombreuses tensions se font jour et la peur de perdre la mairie de Fort-de-France s’installe dans l’appareil du parti et chez les militants. À bien considérer la situation, caractérisée par le ras-le-bol des Foyalais à l’égard du maire en place et du PPM plus généralement, une victoire de l’opposition devient de plus en plus possible voire inévitable si une stratégie unitaire prime sur les petits calculs personnels. Ce serait là un événement historique dans une municipalité dirigée par le PPM depuis 1945. 80 ans !
Parmi ces forces de gauche on retrouve « Péyi-a ». Ce parti, né d’une scission du MIM, et d’un rapprochement entre Nilor et Nadaud, ex-MODEMAS, a du mal à définir une ligne idéologique claire. Il pratique la navigation à vue, en fonction des opportunités du moment. En tous cas, il ne semble plus avoir grand-chose à voir avec le mouvement patriotique. La présence du maire de droite de Rivière-Pilote au sein de cet attelage est une illustration de ce renoncement au patriotisme.
Que des militants qui se réclamaient du combat nationaliste soient allés dans cette cacophonie politique montre en réalité toute la faiblesse idéologique et le sens de l’opportunité de ces derniers. Le flou-isme politique semble, à leur avis, plus confortable et prometteur que le dur combat pour la souveraineté nationale. « Péyi-a » joue en fait sur le même terrain que le PPM et veut profiter du déclin du césairisme pour, espère-t-il, prospérer. Les fissures politiques de plus en plus béantes entre ses deux co-présidents, le positionnement parfois passionné des membres en faveur de l’un ou l’autre (Nilor ou Nadeau) laissent présager d’inévitables turbulences.
L’historique Parti Communiste Martiniquais (PCM), qui s’en tient toujours au mot d’ordre de l’autonomie pour la nation martiniquaise, s’est depuis longtemps démarqué du PPM et participe à la dynamique du Gran Sanblé initié par Alfred Marie-Jeanne.
3/Le Courant Patriotique : Une section du F.I.D
Le retrait politique d’Alfred Marie-Jeanne, dû à son âge, contribue largement à l’affaiblissement du MIM. La personnalité d’AMJ a profondément marqué les 50 dernières années de vie politique en Martinique et a été un facteur décisif dans le rayonnement du MIM. Ce retrait qu’il faut ajouter à la scission organisée par le dauphin-requin, la perte de structures de masse comme la CSTM, tout cela pose de nouveaux défis au MIM. Il devra les relever au plus tôt pour continuer à jouer un rôle important au sein du mouvement patriotique.
Au-delà du MIM, le mouvement patriotique comporte plusieurs autres organisations dont le PKLS de Jean-Pierre Etilé, le CNCP-APAL d’Edmond Mondésir ou encore le P ALIMAde Francis Carole. Ces organisations se sont progressivement rapprochées au cours des dernières années et constituent aujourd’hui une section du Front International de Décolonisation. (FID)
Une des questions qui se pose est de savoir si cette dynamique conduira , à un moment donné, à un Front de Libération Martiniquais incluant d’autres forces patriotiques. ?

- Il reste que dans l’ensemble du mouvement anticolonialiste martiniquais la question de l’unité constitue une urgence. La création du Krey Mouvman Popilè Matinik (KMPM) en constitue l’illustration la plus nette. Depuis en effet deux ans, ce mouvement a initié un certain nombre de luttes sur la question foncière, l’école, le soutien à la Kanaky pour ne citer que ces quelques thématiques. Il a aussi, à travers des séminaires, entamé un travail de réflexion globale pour mieux définir son cadre conceptuel et son programme populaire d’actions.
- L’une des tâches centrales du mouvement patriotique dans la période actuelle devra consister à clarifier le débat théorique et politique sur l’émancipation nationale et ses objectifs. En effet, durant la dernière période, toutes sortes de théories fantaisistes sont apparues sur les concepts de nation martiniquaise, de « race » et de souveraineté du peuple martiniquais.
Il appartient aux forces de libération nationale et aux intellectuels qui leur sont proches de contribuer à la clarification de ces concepts qui déterminent les objectifs, le programme, les stratégies, le discours et les méthodes du camp patriotique.
L’autre tâche centrale consiste à réorganiser le mouvement de masse autour d’orientations à la fois patriotiques et de lutte de classes, tout en amplifiant les capacités de communication en direction du peuple et en cherchant activement à résoudre les difficultés concrètes auxquelles celui-ci est quotidiennement confronté.
La crise multidimensionnelle que traverse la Martinique trouvera une voie de résolution à travers cet effort du mouvement patriotique pour poursuivre sa reconstruction, clarifier son programme d’édification d’une Martinique nouvelle, convaincre et mobiliser le peuple martiniquais autour d’une ambition collective.
La pensée et l’action structurée restent les points cardinaux de la remobilisation de l’énergie martiniquaise.
Gaston Léon Barthélémy
Martinique