Martinique. Avec 130 prix pour OPAL, Alain Bidard est le réalisateur le plus récompensé
Fort-de-France. Mercredi 12 avril 2023. CCN. Le jeune réalisateur martiniquais Alain Bidard a récemment participé au Festival de Nigata (Japon) des films d’animation avec sa dernière œuvre “OPAL” son film qui traite de l’inceste, sujet encore quasiment “tabou” au Japon. Bien que très apprécié pour la qualité de la réalisation, OPAL ne pouvait aucunement remporter les faveurs d’un jury encore frileux la question abordée par ce film : l’inceste. Mais Alain Bidard n’est pas à son coup d’essai. L’an dernier (octobre 2022), il a raflé le prix de la révélation au festival Cinestar en Guadeloupe. De plus OPAL a déjà reçu 130 prix dans le monde entier et plus de 175 nominations. Interview CCN.
CCN. Comment êtes-vous venu au cinéma d’animation ?
Alain Bidard (AB). J’ai grandi avec une grande quantité de dessins animés japonais à la télévision. A l’âge de 15 ans, j’ai découvert Akira de Katsuhiro Otomo. C’est ce film qui m’a montré les possibilités illimitées de l’animation et convaincu que l’animation était le mode d’expression à travers lequel je souhaitais m’exprimer.
La grande plage de genres et la grande maturité du cinéma d’animation japonais m’ont montré que le cinéma d’animation était suffisamment riche pour me permettre d’exprimer toutes mes idées. Durant mes années d’étude artistique, l’art symboliste (Klimt, Khnopff, Redon, Kubin, Munch, etc), mais aussi l’Art Nouveau (Alfons Mucha, Horta, etc), vont commencer à fortement influencer mon imaginaire et leur adaptation à la culture afro caribéenne va façonner mon style de mise en scène actuel.
CCN. Ça signifie que dans votre enfance vous avez été très BD et Manga ?
AB. Je suis un grand passionné de comics, de mangas et d’anime, depuis l’enfance. Je lisais les comics Strange, Special Strange, Titan, Nova, mais aussi des albums comme les albums de Moebius, Jodorowsky, Caza, Bourgeon, Hugo Pratt, les magazines A suivre, Metal Hurlant, etc.
Adolescent, j’ai commencé à lire une grande quantité de mangas tels que Akira, Domu, Crying Freeman, Appleseed, etc… Du coup, mon imaginaire et mon expression se sont construits à partir du melting pot de tous ces médiums.
J’ai commencé à créer des BD dès l’âge de 11 ans. Et j’ai perfectionné mon art au fil des ans et de mes lectures.
A 15 ans, j’ai aussi rencontré Régis Loisel qui m’a donné pas mal de conseils à l’époque. Et tout cela m’a motivé à suivre la voie de la création artistique.
CCN. Pour ceux qui n’ont pas encore vu “Opal”, comment expliquez-vous votre démarche de création ?
AB. Je ne suis pas inspiré par d’autres films en général car j’aime créer des choses nouvelles mais je suis, par contre, très influencé par le mouvement symboliste, l’Art Nouveau, l’impressionnisme et l’expressionisme. J’aime traiter de problématiques sociales ou psychologiques sur lesquelles mes films vont apporter un nouveau regard et une nouvelle lumière.
Et toujours avec des personnages principaux qui nous ressemblent, un univers afrofuturiste et un traitement graphique des personnages en lignes et en aplats basé sur le folklore et la mythologie afro caribéenne.
Pour Opal, j’ai souhaité m’intéresser au tabou de l’inceste dans notre société. Je souhaitais aider le grand public à comprendre ce que vit une victime, comment ce crime la détruit au fil du reste de sa vie, et comment il est peut-être possible de s’en sortir. Il y a plusieurs films sur l’inceste dans le cinéma mais aucun ne peut être montré à des enfants. Or je souhaitais faire un film qui permette aux enfants d’identifier une situation anormale et leur montrer quoi faire dans ce cas. J’ai donc cherché à créer un film qui parle différemment aux enfants et aux adultes et qui les aident tous à comprendre et se prémunir contre ce fléau qu’est l’inceste.
CCN. Dans la production cinématographique de nos pays (Gpe/Mque) le cinéma d’animation reste assez marginal : pourquoi ?
AB. Dans beaucoup de régions du monde et aussi dans nos régions, le cinéma d’animation est souvent considéré comme un genre pour enfants qui n’a pas l’aura et le prestige du cinéma en prises de vues réelles qui est, lui, considéré comme du “vrai cinéma”.
Il y a une sorte de snobisme dans le cinéma. Alors que le cinéma en prises de vues réelles démontre la vision d’un réalisateur et la maestria des acteurs, le cinéma d’animation est perçu, lui, comme un média qui a uniquement une fonction divertissante pour enfants au même titre que n’importe quel jouet de Noël.
Si on doit ajouter à cela la grande difficulté et le très haut niveau technique requis pour créer de l’animation, on a tous les ingrédients en place pour marginaliser ce fantastique médium d’expression artistique.
Ce qui est très dommage, car en termes de budgets, seul le cinéma d’animation permet de créer des films qui passent pour des films à gros budget alors qu’ils n’ont quasiment rien couté. Car en animation, c’est d’abord le talent visuel qui détermine la qualité du film, avant même le budget.
CCN. Comment avez-vous (techniquement) réalisé Opal” (studio d’animation en Martinique, en France ?)
AB. OPAL a été réalisé dans le studio PAGOD Films en Martinique, à Saint Joseph. C’est un long métrage en cellshading 3D. Il s’agit d’une technique consistant à créer le film en 3D avec un résultat visuel final qui ressemble à de l’animation 2D. Pourquoi ? Par rapport à mon amour de la ligne et du trait, car, à l’origine, je dessine et toutes les images d’Opal sont basées sur mon propre style de dessin et aussi par rapport à mon désir de conserver cette patte graphique et humaine dans le résultat final.
Le film a été créé avec le logiciel Lightwave 3d et Blackmagic Fusion, et aussi Affinity Photo, Affinity Designer et Davinci Resolve.
Pour créer Opal, il a fallu créer tous les personnages et les décors en 3D lors du processus de modélisation, une sorte de méthode de sculpture virtuelle. Ensuite, tout a été colorisé et éclairé. Les personnages ont reçu des contrôleurs et un squelette virtuel, aussi appelé rig, et qui ont permis de pouvoir leur permettre de se mouvoir. Après ce processus, vient le long processus d’animation de personnage car tout est animé à la main dans OPAL. Pas de motion capture. Ensuite, les personnages et les décors sont calculés à part et assemblés dans un logiciel de compositing, Blackmagic Fusion, afin de nous donner le plan final qui est ensuite inclus dans le montage du film.
OPAL est une coproduction entre Pagod Films (Images et musique) et Ciné Woulé Company (Casting, logistique, diffusion) compte un peu moins de 1000 plans. Le film est réalisé en 2K, le format cinéma standard. Et les images, l’animation et la musique sont conçues par un seul artiste. Les voix sont interprétées par 8 acteurs locaux qui ont dû jouer en anglais dont la très brillante Dawn-Lissa Mystille, responsable de 8 personnages dont la voix d’Opal, ainsi que Heather Mystille (la reine) et Kaori Ravi (le chouval twa pat).
CCN. vous continuerez dans l’animation, ou pensez-vous changer de registre pour vos futurs projets ?
AB. Je souhaite continuer à faire des films d’animation. C’est pour l’instant le médium qui m’offre le plus de liberté pour donner vie à mes univers imaginaires sans alourdir le budget du film. Néanmoins, des coproductions de documentaires avec Ciné Woulé Company sont aussi en projet, et permettront de mélanger prises de vues réelles et animation.