Pointe-à-Pitre. Dimanche 7 novembre 2022. CCN. Je suis très étonnée que cette professeure de géographie dont j’ai pu lire l’entrefilet puisse considérer que « la pluie et la marée haute combinées » ont été un épisode de submersion fin avril 2022 en Guadeloupe.
Submersion marine ?
La submersion marine est de quatre ordres : la marée de tempête, la houle cyclonique, le tsunami ou une montée des eaux due au réchauffement climatique. Et sûrement pas un défaut d’évacuation des eaux pluviales.
En effet cette dame généralise en disant « en Guadeloupe » alors que ce phénomène de pluie et de marée haute combinées, si par hasard elle a pu le constater par elle-même, ne s’observe qu’à Pointe-à-Pitre et au niveau de la Darse plus particulièrement. Et il ne s’agit pas de submersion mais d’une accumulation d’eaux de ruissellement qui ne peuvent s’écouler dans la mer. Il faut savoir en effet ce quai Sud est au niveau 0,30, c’est-à-dire 30 cm au-dessus du niveau de la mer. Et les marées les plus hautes sont de 0,50 m.
J’ai étudié en détail le phénomène des inondations à Pointe-à-Pitre et vous pouvez en consulter les éléments dans ma thèse de doctorat qui porte sur l’agglomération pointoise face aux risques majeurs. Vous trouverez l’étude en détail en suivant ce lien, en pages 162 à 167 : https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-03095171
L’histoire de la ville
Ainsi donc si les eaux de ruissellement ne peuvent s’écouler à Pointe-à-Pitre en cas de fortes pluies, plus particulièrement au moment des fortes marées d’équinoxe, et c’est pour plusieurs raisons. La première est que la ville est peu élevée par rapport au niveau de la mer car c’est un marécage dont les mornes ont été arrasés et les marais comblés. Tout au début, en 1764, la rue Frébault était un canal qui permettait de hâler les chalands jusqu’au Morne Miquel où commençait Les Abymes. Il fut comblé le premier sans toutefois que soit aménagé un ouvrage d’évacuation sous la voie ainsi créée. Et on sait que l’eau reprend toujours ses chemins. Un busage sous chaussée pourrait améliorer les choses.
Avant 1843 « la » Pointe-à-Pitre était surnommée La petite Venise des Antilles car elle comprenait encore un canal rue Vatable et celui des boulevards Chanzy et Hanne qui l’entouraient. Ils ont depuis été comblés avec des busages partiels comme nous allons le voir.
Par ailleurs chacun peut observer que le trait de côte de Pointe-à-Pitre n’a pas varié, que ce soit celui, depuis 1843, de la Darse, pas plus celui des quais, ni du remblaiement des années 1960 où se trouve la promenade de santé et le boulevard de l’amitié des peuples de la Caraïbe. Et on peut citer aussi la presqu’île de la Marina réalisée par comblement dans les années 1970 et dont le littoral reste au même niveau.
Les canaux d’évacuation
Il faut savoir qu’il y a trois canaux principaux qui sont censés évacuer les eaux de ruissellement des bassins versants qui aboutissent à Pointe-à-Pitre : celui des Boulevards, celui de Chauvel et celui de Sonis.
Le Canal des Boulevards est supposé recueillir une partie des eaux du Canal de Sonis, à angle droit (!), pour suivre le boulevard Hanne et se jeter dans la mer : comme si l’eau allait suivre cette louable intention ! Non cela ne se passe pas ainsi. Le Canal de Sonis tourne légèrement à gauche pour aller se jeter au Carénage. Il dévie juste au niveau du Centre des Arts ! Là encore les eaux stagnent et ne suivent pas le chemin indiqué, pas plus qu’une partie n’emprunte le Canal des Boulevards. Une liaison plein Sud de ce Canal devrait être créée sous le bd Nelson Mandela et la rue Mortenol pour acheminer les eaux jusqu’à la Darse.
Le Canal de Chauvel fait lui aussi un coude : il tourne à la rue Vatable ! L’eau ne prend pas le virage et stagne devant la mairie et le Centre des Arts. Un bassin de rétention sous chaussée poreuse devant la mairie et le Centre des Arts devrait être très efficace et on doit aussi créer une liaison directe plein Ouest entre ce Canal et le Canal des Boulevards.
Par ailleurs ou en est-on du curage de ces canaux ? Est-il fait régulièrement ? Cap Excellence est en charge de l’évacuation des eaux pluviales de Pointe-à-Pitre au travers des organismes GEMAPI-GEPU. C’est plutôt GEPAPU ou GEPAVOULU, peut-être même GEMENFOU. Et la ville, de Chauvel, de Sonis et de Lacroix reçoit toutes les eaux pluviales des Abymes qui ne s’en émeut point.
Le SCOT (Schéma de Cohérence territoriale) meurtrier
Ainsi je pense qu’il est faux de dire que l’eau monte à Pointe-à-Pitre et il est effarant de voir que sur des principes globaux et à l’échelle de la planète de « la hausse des températures qui entraînent la fonte de la banquise, qui va ensuite engendrer une montée des eaux » on vienne affirmer sans avoir étudié le cas de Pointe-à-Pitre avec sérieux, en condamner l’avenir de quelques mots.
Ce qui m’inquiète par-dessus tout c’est que, conformément à je ne sais quelle étude fondée sur ces mêmes bases dogmatiques et globalisantes, le SCOT se prépare à insérer dans son rapport un plan de zones de Pointe-à-Pitre qui deviendraient ennoyées dans le futur et donc inconstructibles. Le SCOT doit légalement être intégré au PLU (Plan Local d’urbanisme) dans les trois ans qui suivent sa publication.
Les zones victimes de cette montée des eaux supposée couvrent le littoral de la ville et rendent irréalisables tous les projets de bord de mer et de littoral dont évidemment Karukera Bay !
J’espère que chacun reviendra à la raison et que l’on se gardera à l’avenir de faire du sensationnalisme non fondé.
Une ville, un pays, une île, des populations, des territoires, ne sont pas des points sur une carte, des résultats de raisonnements, de dogmes ou de généralisations. Il n’est pas acceptable que l’on puisse les rayer de la carte du monde d’un trait ou d’une phrase assassine.
Michèle Robin-Clerc
Docteur en Aménagement, Urbanisme et Dynamique des Espaces