L’intelligence artificielle  a commencé avec des tâches limitées et très spécialisées. Elle reconnaît des visages, traduit des phrases, recommande des contenus et, parfois, compose de la musique. Ces systèmes dits “IA étroites” ont marqué les premiers pas de l’ère numérique.

Mais les laboratoires souhaitent pousser la recherche. Ils rêvent de créer une intelligence artificielle qui est capable de comprendre et de raisonner sur n’importe quel sujet.  Si cette étape est franchie, la super intelligence pourrait s’améliorer et se transformer seule, en apprenant seules et plus vite que n’importe quels cerveaux humains. Le simple fait d’imaginer ce scénario provoque un vertige et des angoisses pour la survie de l’humanité. 

1. Le spectre de l’incontrôlable 

Plus de mille personnalités ont lancé un appel pour mettre fin au développement de la super intelligence artificielle. On compte parmi elles, Jeffrey Hilton, lauréat du prix nobel de physique en 2024, Stuart Russell, professeur d’informatique à l’université de Berkeley en Californie, et Steve Bosniaque, cofondateur d’Apple. 

D’un point de vue politique, Ted Cruz, représentant du Texas, et Marsha Blackburn, originaire du Tennessee, ont appuyé une initiative visant à instaurer un moratoire de dix ans. Ils craignent que les avancées technologiques ne deviennent incontrôlables et posent une menace pour la sécurité humaine. Maria Cantwell, sénatrice démocrate de Washington, appelle à une réglementation internationale plus sévère plutôt qu’à une interdiction totale. Ces actions indiquent une importante prise de conscience politique : l’humanité pourrait rapidement perdre le contrôle. 

Quelques chercheurs et spécialistes de l’IA se défendent, en précisant que cette nouvelle IA super intelligente pourrait révolutionner le domaine médical en élaborant des thérapies sur mesure pour chaque individu et en accélérant l’identification de traitements pour des affections jusqu’à présent résistantes. Elle pourrait contribuer à anticiper précisément les effets du changement climatique et à élaborer des solutions appropriées. Elle pourrait se transformer en un collaborateur créatif dans le secteur culturel. Visualisez un scénario cinématographique coécrit par l’humain et l’intelligence artificielle, une composition musicale où les influences se mêlent, ou une création artistique numérique qui convertit les données en sentiments palpables. Selon Refik Anadol, un artiste distingué pour ses œuvres numériques, l’intelligence artificielle ne représente pas une menace, mais plutôt une amplification de la créativité humaine. 

2. Quand l’imaginaire perd son aspect humain 

Cependant, l’émerveillement cède bientôt la place à l’anxiété. Quand l’intelligence artificielle reproduit des styles, crée des voix, génère des images d’une fidélité remarquable ou compose des textes sophistiqués, quelle est la part de la créativité humaine qui demeure ? L’artiste, jadis souverain de son propre univers créatif, pourrait se transformer en un simple organisateur d’idées produites par une machine. Le professeur Fei-Fei Li, qui enseigne à Stanford, parle d’une créativité hybride où l’émotion humaine interagit avec la force du calcul. Cependant, cette association, attrayante en théorie, pourrait standardiser la pensée et convertir l’unicité de l’homme en simple information manipulée par des algorithmes.

Le développement de la super intelligence artificielle ne posera pas uniquement un défi technologique, mais soulève également des enjeux de pouvoir. Qui détermine comment cette IA va être utilisée ? Les États, les entreprises et la société civile ? 

L’Europe tente d’anticiper avec son règlement AI Act, mais face à la concurrence internationale, les gardes-fous semblent encore bien fragiles. Dans les universités, les studios et les écoles de création, une génération doit apprendre à dialoguer avec des machines, à comprendre leurs logiques. L’éducation devient un champ stratégique pour que l’humain ne soit pas relégué au rôle d’observateur. 

3. L’emploi menacé ?

L’intelligence artificielle avancée ne constitue pas uniquement un défi sur le plan culturel ou scientifique, elle pose également un danger immédiat pour l’emploi humain. Des recherches récentes indiquent que près de quatre-vingts pour cent des postes pourraient être affectés dans les décennies à venir. Il ne s’agit plus uniquement de tâches répétitives ou physiques, mais aussi de professions intellectuelles et de création. Le rôle des comptables, des analystes financiers, des rédacteurs, des juristes et d’un grand nombre de cadres pourrait être réduit, modifié ou complètement éliminé. Les machines qui peuvent traiter, analyser et prendre des décisions plus rapidement que l’homme feront disparaître certains emplois, et cette disparition pourrait survenir très rapidement. Les répercussions sur le plan social et économique pourraient être catastrophiques. Des millions de travailleurs pourraient se trouver sans travail.

Si la machine devient capable de tout faire mieux que nous, quelle va être la place de l’homme dans le monde du travail ?

Marilène Ferdy