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Guadeloupe. La violence des jeunes : entre explications et excuses

Guadeloupe. La violence des jeunes : entre explications et excuses

Petit Bourg. Samedi 2 Août. CCN. A deux reprises au mois de juillet  la ville de Petit Bourg a été a la une de l’actu pour violences: Un homicide et une agression armée. Mais ce qui s’est passé à Petit- Bourg est loin d’être une exception. L’autre semaine, un guadeloupéen, de 33 ans, venu passer une semaine dans son île natale a été abattu de 6 balles Saint François. CCN, une fois de plus, s’est adressé à Ary Broussillon sociologue et donc expert   nous propose  une analyse  rigoureuse “sans excuses”  de  la situation  de la Gwadloup..Il nous a promis d’y revenir dans une prochaine édition de CCN. C’est à lire, c’est à suivre

by Ary Broussillon , Sociologue, Consultant en Relations Sociales

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Ce mercredi soir 30 juillet 2025 vers 20h, je reçois l’appel téléphonique d’un ami qui me dit : « Ou tann sa ki rivé ankò ? A vieux-bourg Abymes, en plein après-midi ; une nouvelle fusillade. Ka lé sosyolog ka di ? Et moi de répondre : « Tu sais, tant qu’on n’aura pas pris le temps d’inventorier les causes de ce déchaînement de violence pour l’expliquer, on continuera à s’émouvoir et à proposer de fausses solutions ». Woy papa, ka ki té di mwen di sa ? Voilà mon ami qui rétorque vertement : « Il faudra qu’un jour, vous-la, sociologues, psychologues et autres « logs » vous cessiez d’excuser. Comme disait Sarkozy il faut terroriser ces délenkan-la-sa. Mwen an ka di qu’il faut braquer ces braqueurs.

Je me suis alors rappelé ces propos de l’actuel ministre d’État, ministre des Outre-mer, Manuel Valls qui en 2015, alors qu’il était Ministre de l’Intérieur et suite à l’attaque de l’Hyper Cacher avait déclaré : « J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé …Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser ». Nombre de sociologues lui avaient sévèrement répondu en expliquant que « la sociologie n’est pas la culture de l’excuse ».

Je sais que mon ami n’est pas le seul à penser ainsi, de cette façon simpliste dont ne peut se satisfaire le sociologue, quoiqu’il lui en coûte dans ce contexte d’insécurité particulièrement anxiogène, où l’émotion prévaut sur la réflexion

Plus que jamais le Sociologue se doit d’EXPLIQUER et en la circonstance, expliquer, c’est politiser la violence, et c’est ce qu’on veut nous interdire de faire

Quand on cherche à expliquer la violence, on nous rétorque que notre discours est idéologique et notre positionnement politique. Mais bien sûr ! Nous ne faisons pas  que produire un discours savant.

Nous pointons  du doigt si nécessaire :

  • Un État qui gère le péyi-Guadeloupe comme un corps étranger,
  • Une République qui n’investit pas là où l’espoir a disparu,
  • Une société qui condamne ce qu’elle a contribué à produire.

Alors oui, expliquer, c’est politique.

Mais le refus d’expliquer l’est tout autant surtout quand il vise à occulter et à nier les rapports de domination, les héritages coloniaux, les failles institutionnelles, le rôle et la responsabilité de l’Etat

L’État ne fait pas que manquer : il organise l’abandon

On nous dira que les politiques publiques existent. Oui : quelques postes de policiers et de magistrats supplémentaires, quelques appels à projets, quelques réunions de CSLPD, des mesures de couvre-feux, des appels à déposer les armes, quelques subventions ;  loin d’être une vraie politique sé lélé pou gaga vwè, du saupoudrage.

On ne peut ignorer que les syndicats ainsi que certains élus locaux, n’ont cessé d’articuler et de corréler la problématique de la violence à la question essentielle  du développement économique.

La vérité, c’est que l’État français n’a jamais conçu la jeunesse guadeloupéenne comme une priorité stratégique.
Il la surveille. Il la discipline. Souvent, il l’enferme. Mais il ne l’accompagne pas. Il ne l’écoute pas. Il ne la respecte pas. Il ne la considère pas comme pleinement sienne.

Qui pourrait affirmer avec certitude que les préfets qui se sont succédé soient réellement préoccupés par la situation des jeunes et des problèmes de violence. Qui pourrait valablement penser que cela les empêche de dormir. Ils viennent et puis s’en vont, le plus souvent satisfaits.

Alors n’ayons pas peur de le dire : pour le sociologue que je suis, expliquer c’est aussi, en la circonstance, dans le contexte de violence en Guadeloupe, accuser l’Etat. Accuser l’Etat de démission voire de complicité de fait face à la prolifération des armes et de la drogue en Guadeloupe. Et à ceux qui disent « trop d’explications », je réponds « trop de silences sur les responsabilités profondes. Trop de dissimulation sur l’essentiel ».

Oui, il faut expliquer, pas pour excuser, je l’ai dit et répété, mais très justement pour accuser au besoin et si nécessaire, pour dévoiler, pour pointer les responsabilités en remontant aux véritables causes. Expliquer pour accuser l’Etat français  de manquements graves et répétés.

40000 armes à feu circuleraient aujourd’hui en Guadeloupe : une île de 1628 km2 avec une population d’environ 380000 habitants ! Comment un tel arsenal a-t-il pu se constituer sur une si petite île ? Sur un territoire où, en principe et avec les moyens nécessaires, quasiment chaque entrée et sortie pourrait être surveillée ? Où les ports et les aéroports sont sous contrôle de l’Etat, de la Douane, de la Police aux frontières ?

Qui laisse faire ? qui regarde ailleurs ? qui profite du chaos pour affirmer son autorité par la peur ?

La prolifération des armes n’est pas une coïncidence. C’est le signe d’une faillite sécuritaire sinon organisée du moins tolérée.

Et la drogue ? Elle arrive en Guadeloupe en valises, en cargos, en bateaux de pêche. Des tonnes de cocaïne transitent chaque année par la Guadeloupe, arrivant sur le port de Jarry dans des containers. Oh c’est vrai qu’il arrive que lors d’un « contrôle de routine » on intercepte la « marchandise », ce qui permet de faire croire que « le boulot se fait ». Mais pour une seule saisie, combien de tonnes de cocaïne arrivent à passer ? Et puis, « contrôle de routine » donc de temps en temps et aléatoire ? Pourquoi pas plus systématique quand on sait que la Guadeloupe est un point de passage stratégique entre l’Amérique du sud, les Antilles et l’Europe ?

Alors les guadeloupéens, des familles en subissent les conséquences : des jeunes embarqués dans des trafics, contaminés par l’argent sale, détruits par les drogues dures, tués par balles à 13 ans, à 17 ans.

Le sociologue guadeloupéen qui repère les causes de tous ces dégâts doit-il en parler avec du sucre dans la bouche, des mots doucereux, une plume serve ?

La violence que l’on voit c’est celle des jeunes. Mais la violence que l’on ne veut pas voir et que le sociologue ne peut refuser de voir et de dénoncer, c’est celle des complicités, des systèmes de blanchiment, des circuits logistiques protégés, des interpellations de « gens bien » qui, après quelques heures de garde à vue, retournent à leurs occupations liées au narcotrafic ou au commerce d’armes à feu.

Ce que l’on ne veut pas voir, c’est la violence d’en haut, dissimulée derrière des discours d’ordre et de sécurité.

Mais le sociologue – comme tout individu ki tini on konpwinèt – a compris aussi que lutter contre la violence, ce n’est pas militariser les rues. C’est couper le robinet. C’est remonter la source.

Alors, expliquer pour moi sociologue, c’est par « décence », respect de ma science, loyauté envers les Guadeloupéens, amour de la jeunesse de ce Péyi, et en toute responsabilité, prendre le parti d’accuser l’Etat de lâcheté, de cynisme et d’aveuglement volontaire.

Expliquer ce n’est pas excuser. C’est refuser d’être complice du mensonge. Refuser que l’on fasse les Guadeloupéens prendre des vessies pour des lanternes, dlo mousach pou lèt ; les tromper sur les causes profondes, en centrant par exemple la responsabilité principale sur les familles et encore plus les femmes élevant seules leurs enfants, comme si la monoparentalité était une pathologie, une anormalité, une carence et que sais-je encore.

Ceux qui disent « assez d’explications, il faut des réponses fortes » sont ceux qui cachent les vraies responsabilités sous les corps des jeunes abattus.

Alors je dis :

Assez de diversion. Assez de dissimulation. Le premier acte de justice c’est de nommer la vérité. Et la vérité, c’est que cette violence armée ne pousse pas toute seule, ni uniquement dans les foyers (où certains germes existent néanmoins). Cette violence-là est importée, tolérée et à certains égards organisée.

Nous n’arrêterons pas d’expliquer, car nous refusons d’abandonner notre jeunesse

En tant que sociologue et militant guadeloupéen, je continuerai de dire : Expliquer, c’est un acte de résistance.
C’est refuser que l’on résume notre jeunesse à ses échecs ou à ses délits.
C’est affirmer qu’elle a été laissée de côté, mais qu’elle peut encore être relevée : redressée, accompagnée, soutenue.

Nous  ne voulons pas pour notre jeunesse d’un avenir enfermé. Parce qu’un peuple qui n’investit pas dans ses jeunes investira dans ses prisons. N’est-ce pas ce que fait l’Etat français, en France même et aussi en Guadeloupe, où on augmente le nombre de places en prison et dans le même temps on ferme des classes, où on jette hors l’école chaque année plus de 1000 jeunes sans qualification, où l’on saccage la formation professionnelle et pour compenser tout cela, on ouvre grand le Péyi à la drogue et aux armes, on promeut l’alcool pour les jeunes sur des panneaux 4×4.Victor Hugo écrivait il y a longtemps : « Ouvrir une école, c’est fermer une prison » ; alors nous savons que fermer une école c’est pousser des jeunes en prison.

Le vrai problème, ce n’est donc pas qu’on explique trop.
C’est qu’on agit trop peu.
Et ceux qui crient au laxisme pour éviter la réflexion sont les premiers responsables de l’inaction.

La Guadeloupe mérite mieux que ça.
Notre jeunesse mérite des repères, pas des matraques.
Des perspectives, pas des centres fermés.
Du respect, pas du mépris déguisé en fermeté.

Expliquer, ce n’est pas excuser.
C’est comprendre pour reconstruire.
C’est résister pour mieux agir.
C’est croire en notre propre capacité à nous relever, ensemble.

1 réflexion sur “Guadeloupe. La violence des jeunes : entre explications et excuses”

  1. Laila Cassubie

    bonjour Ary
    Très beau plaidoyer pour la jeunesse
    .Merci
    Mais il serait peut être nécessaire de analyser de plus près qui est tel ou tel jeune victime ou auteur. Voir comment il a gra di, dans quelle famille, quel quartier. ses liens avec “le milieu”, les bandes s il y a, Bref faire un vrai travail de recherches qui permettrait de savoir où mieux accompagner et comment accompagner
    Voilà ma proposition
    La

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