Monsieur Yvan Juraver…

Un jour sans doute, on réalisera que le piano est un instrument à percussion…

On se dira que le Gwoka est plus puissant que certains ne le pensent…

On réalisera que la musique Guadeloupéenne qui est allée le plus loin… est le Gwoka.

On avouera que Monsieur Yvan Juraver était l’un des derniers gardiens du temple…

D’une Humilité exceptionnelle, cela le rendant quasiment mythique.

J’ai pris du temps à écrire ces mots, pour plusieurs raisons d’ailleurs. L’homme était d’une éminente discrétion.

C’est une perte immense pour la musique guadeloupéenne, pour les pianistes guadeloupéens. Cette douleur silencieuse qui m’habite depuis quelques jours ne peut être atténuée tant c’est toute la musique guadeloupéenne qui est en deuil en réalité. Quelque chose n’existe plus… l’idée de rythmes mêlés aux harmonies aux mains du pianiste le plus discret de notre Pays. Cette musique il la maitrisait, même qu’il les maitrisait toutes, mais avait fait le choix d’offrir à la Guadeloupe et au Gwoka … ce qu’il avait de meilleur, le coeur dévoué. Yvan était celui qui jouait le pays à chaque note, à chaque agrégat, à chaque silence, à chaque soupir, à chaque sourire. Ma première rencontre, prèmyé fwa nou fasadé, j’étais au lycée. Bernard Camier à l’époque nous avait offert une prestation de feu Charly Chomereau-Lamotte et Yvan Juraver… ce jour-là, j’avais compris beaucoup de choses, en premier lieu… le piano dans le Gwoka c’est … vraiment autre chose ! Un autre monde, une autre perspective. Mesi Yvan…

Je m’étais empressé plusieurs années plus tard de faire l’acquisition de son Fender Rhodes, je crois que j’ai rarement eu autant de fierté à regarder un instrument. Je me disais… » c’est le Fender d’Yvan… » comme si même éteint il devait « sonner grave » ce Fender Rhodes…

Je ne peux toutefois m’empêcher d’avoir une tristesse supplémentaire, celle d’avoir perdu un vrai repère..sans percevoir l’espoir d’une génération de musiciens ( de pianistes précisément aussi… ) ayant compris la force de la musique Guadeloupéenne et de l’apport d’Yvan, de Gérard Lockel.

Ce décalage, ce vide doit nous interpeller… on le dit, et on le redit, sans doute on devrait moins le dire et plus le faire…donner davantage de places à nos artistes dans notre paysage parfois superficiel et léger comme dirait l’autre, centré sur le dehors… oubliant l’essence même, le dernier rideau d’une véritable identité culturelle, musicale forte et admirable.

Alors oui, je pense à Gérard Lockel, à Philippe Dambury, à Philippe d’Huy, à Charly Chomereau-Lamotte… et Yvan ! Celui qui a ouvert une porte pour nous, ceux venus après… une porte que nous n’avons pas eu le courage de franchir sincèrement. Padon pou sa…

De grâce, ouvrons donc ces portes… tenons les grandement ouvertes pour ceux qui viennent …

Yvan JURAVER que ton phare demeure à jamais allumé.

Lapé Lafwa Lanmou…

Michel MADO
Pianiste