En début de semaine s’est tenue une web conférence entre les présidents de différentes collectivités d’outre-mer (p.21). Ce séminaire virtuel portait en réalité sur le retour d’expérience des relations entre l’État et les collectivités à statut spécifique. Pour rappel, le projet de loi “3D”, pour décentralisation, différenciation et déconcentration, a pour ambition de transformer les relations entre l’État et les collectivités territoriales sans constituer pour autant un nouveau big bang territorial. Cette question du rapport de pouvoir entre l’Etat centralisateur et les territoires (pas seulement ultramarins) est sensible, complexe, politique, et surtout stratégique.
D’où la nécessité pour ces collectivités de faire front uni pour peser sur l’écriture de ce projet de loi. Cette web conférence fut un événement exceptionnel, passé inaperçu aux yeux du grand public, plus préoccupé par la gestion de la Covid19. Cette rencontre rassemblait non seulement les COM de la zone Caraïbe, de la Guyane à St-Barth mais également l’assemblée de Corse représentée par ses deux présidents Jean-Guy TALAMONI et Gilles SIMEONI.
Cette initiative inédite du président de la COM de Martinique Alfred MARIE-JEANNE a également associé la Région Guadeloupe représentée par Ary CHALUS. Elle a permis d’évoquer les expériences passées et de tracer des perspectives d’avenir sur la question statutaire. On a pu se rendre compte des différences notoires qui existent entre les territoires non seulement par rapport à leur statut et leurs institutions mais surtout par rapport à ce qui caractérise leurs relations avec l’État. Ainsi Bruno MAGRAS a présenté l’excellente situation de St-Barth tant du point de vue financier que du point de vue des choix statutaires (St-Barth est régie par l’article 74 comme St-Martin, mais a été plus loin en adoptant le statut de PTOM qui la place hors Union européenne).
La stratégie de cette COM qui regroupe les compétences de la commune et de l’intercommunalité, du Département et de la Région, est d’intégrer au fur et à mesure d’autres compétences. Il apparaît également que le choix institutionnel est aussi important que le choix statutaire. On se rend compte que la gestion par un seul organe comme en Guyane est plus dynamique qu’avec une structure à deux têtes (assemblée + conseil exécutif).
Mais ce qui est surtout ressorti de ces échanges ce sont les difficultés relationnelles avec l’État. Plus que l’État en tant qu’institution politique c’est avec l’État en tant qu’organisation administrative que les difficultés persistent. C’est à croire, si l’on écoute les différents présidents de COM, que l’administration française jacobine à dessein, « la République Une et Indivisible », peine à se départir de ses anciennes prérogatives au profit des collectivités.
Moult exemples ont été donnés : le PPRN à St-Martin, le code minier et la biodiversité en Guyane, les 50 pas géométriques en Guadeloupe. Seule, semble-t-il, St-Barth, grâce à mon avis à son faible nombre d’habitants (9800), son petit territoire (21 km2) et une ligne politique constamment partagée, a réussi à se débarrasser de cette emprise des administrations en ne prenant à compte que les services qu’elle peut gérer entièrement et en laissant l’Etat s’occuper des autres services en lui versant une soulte de 2,8 millions d’euros par an.
Cette relation ambivalente, fondée sur la méfiance vis-à-vis des collectivités, fut très bien traduite par les Corses qui ont vu toutes leurs demandes d’adaptation législatives traitées avec le plus grand des mépris : le silence. Ils en ont conclu qu’il valait mieux s’associer aux autres DOM pour espérer une évolution. Ce sentiment a d’ailleurs été illustré au cours de la conférence par l’intervention de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales Jacqueline GOURAULT, qui n’a pas daigné intervenir en direct mais s’est fendu d’une bien insipide intervention préenregistrée. Un ange passe !
Depuis Bourdieu, cette critique de l’État central en France, n’a jamais trouvé de réponse satisfaisante sur le terrain. De la décentralisation sans moyen de MITTERAND, en passant par CHIRAC qui était contre la répartition uniforme des compétences sur tout le territoire, à la différenciation de Macron aujourd’hui, on a appris à ne plus y croire. Car on ne vit pas qu’en théorie !
Face à cette situation, la réponse quasi unanime des participants, me semble t- il, est de travailler à l’élaboration d’une proposition commune au président de la République pour la réécriture des articles 72, 73 et 74 de la Constitution lors de sa prochaine révision. L’objectif est de renverser la donne en établissant une relation ascendante des collectivités vers l’État. « Il faut profondément changer notre vision de l’outremer » a ainsi déclaré Stéphane DIEMERT, président assesseur de la cour administrative de Paris. Encore faudrait-il pour cela que les mentalités évoluent au sein de la haute administration française, de cette noblesse d’Etat qui visiblement en est restée à une vision coloniale et infantilisante des outremers fondée sur des clichés, des préjugés et une conception fort surannée. Passer de l’universalité à la diversalité aurait dit GLISSANT.
Il faut également, a souligné le président GIBBS, qu’un travail soit fait sur nous-mêmes, élus et population des territoires, pour imposer ces changements.
Unir ses forces tout en respectant les choix de chaque collectivité et la liberté de tous, dans une relation gagnant-gagnant avec l’Etat, c’est assurément la voie à suivre.
RJC