Etre indépendantiste n'est pas un crime
Pawol Lib (Libre Propos) est une nouvelle rubrique de CCN. Notre rédaction propose donc à tous les progressistes qui le souhaitent un espace de communication, une tribune dont le but principal est de porter une contribution au débat d’idées qui fait cruellement défaut dans notre pays. Les points de vue exprimés dans « Pawol Iib » n’engageront pas nécessairement la ligne éditoriale de CCN mais il nous semble indispensable que les intellectuels, la société civile aient la possibilité de pouvoir très librement opiner dans nos colonnes.
Le cas de Christian Tein et la révolte kanak de 2024 soulèvent des questions sur la gestion des opposants politiques dans les dernières colonies françaises.
À la suite de la révolte kanak du 13 mai 2024, plusieurs membres de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) ont été interpellés et font l’objet d’une enquête judiciaire. Le leader de la CCAT, Christian Tein, a été arrêté puis déporté à Paris, puis à Mulhouse. Joël Tjibaou, fils de Jean-Marie Tjibaou, a également été arrêté et transféré hors de Kanaky. Certains membres ont été libérés sous contrôle judiciaire. Depuis cette arrestation, Christian Tein a été élu président du FLNKS, l’un des principaux mouvements politiques luttant pour l’indépendance de Kanaky. Cette élection constitue à la fois un symbole fort et une réponse directe au gouvernement français, qui doit désormais traiter avec un ancien prisonnier politique comme représentant du FLNKS.
Il est crucial de noter que les militants indépendantistes subissent régulièrement des arrestations dès lors qu’ils expriment leurs opinions politiques. En Martinique, qui traverse actuellement une crise sociale historique, le gouvernement a rapidement cherché à identifier des responsables pour la révolte du 9 octobre 2024, en mettant en avant le passé judiciaire de l’instigateur du mouvement contre la vie chère. À ce jour, aucune poursuite n’a été engagée à l’encontre des membres de l’association à l’origine du mouvement, que je considère comme des militants « assimilés » et non indépendantistes. C’est ici que réside toute la différence avec les membres de la CCAT, clairement identifiés comme indépendantistes. Ainsi, la France semble prendre l’habitude d’emprisonner ses opposants politiques, principalement issus de ses dernières colonies.
La Répression des Indépendantistes Kanak : Entre Prison et Résistance
Après avoir ignoré les revendications kanak, le gouvernement français a voté, le 13 mai 2024, le dégel du corps électoral. Rappelons que le gel de ce corps électoral avait été instauré pour protéger le peuple kanak, la Nouvelle-Calédonie Kanaky étant inscrite à l’ONU comme territoire non autonome à décoloniser. Ce processus de décolonisation, toujours inachevé, a vu une nouvelle impasse en 2021, lorsque le « non » à l’indépendance a été majoritaire. Le gouvernement français, au lieu de négocier avec les élus de Kanaky pour élaborer un nouvel accord global, a voulu forcer le passage, provoquant ainsi la colère des Kanak qui se sont sentis trahis par un vote tenu à des milliers de kilomètres de leur terre. Cependant, un retournement s’est produit avec l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République, redistribuant ainsi les cartes politiques. Aujourd’hui, le gouvernement n’envisage plus de présenter cette loi devant le Congrès, bien qu’elle soit de nature constitutionnelle et devait être soumise à Versailles pour adoption définitive.
Pendant cette période de tensions politiques, Christian Tein a été privé de sa liberté de circulation. Il n’est pas le premier militant indépendantiste à subir ce sort. Jean-Victor Castor, actuel député de Guyane, fut incarcéré en 1997 avant d’être déporté en Martinique à bord d’un bateau, un symbole fort rappelant le passé colonial de la France et ses traversées maritimes forcées. Être indépendantiste en France a toujours été risqué ; il est communément admis que les services de renseignement fichent ces militants. Les opposants politiques des Kanak les qualifient souvent de « terroristes ». Récemment, Karine Mousseau, engagée politiquement en Martinique, a qualifié les membres du RPPRAC d’association terroriste, un langage destiné à instiller la peur face aux militants indépendantistes. Cependant, il est important de noter que les membres du RPPRAC ne se positionnent pas aujourd’hui du côté indépendantiste, mais plutôt parmi les militants « assimilés ».
Les opposants politiques de la France sont indépendantistes et anti colonialistes
Un militant « assimilé » est une personne qui milite pour l’égalité entre la France et ses colonies. La lutte contre la vie chère est un exemple pertinent. Historiquement, l’assimilation signifie pour une personne de perdre son identité pour adopter les normes sociales et culturelles de son pays d’accueil. En juillet 2024, certains militants dont les membres du RPPRAC ont exigé un alignement des prix, prouvant ainsi leur volonté d’obtenir une égalité avec la France. Comme je l’ai déjà mentionné dans les colonnes du CCN, cette égalité est impossible à atteindre, car la réalité des colonies françaises diffère de celle de la France.
Les autonomistes, pour leur part, ne cherchent pas à quitter le système français, mais souhaitent la reconnaissance de leur différence. Ils prônent une plus grande autonomie politique, tout en restant dans le giron de la République. Les indépendantistes, quant à eux, veulent une véritable rupture : une monnaie, une nationalité, une sécurité publique et des relations internationales propres à leurs territoires. C’est cette volonté de souveraineté qui distingue fondamentalement les autonomistes des indépendantistes.
Les véritables opposants à la République française sont les indépendantistes et les anti-colonialistes. Dès lors qu’une personne est catégorisée comme indépendantiste, les risques de répression sont démultipliés. Je pense à Éloi Machoro, à Jean-Marie Tjibaou, ou encore à de nombreuses figures historiques comme Malcolm X, Martin Luther King ou Patrice Lumumba, qui ont payé de leur vie leur lutte pour la libération de leurs peuples. En France, l’appareil judiciaire et policier s’acharne également contre les militants indépendantistes et anti-colonialistes, comme en témoigne l’arrestation de Kémi Séba, président de l’ONG Urgence panafricaniste. Ce dernier a brûlé son passeport français le 16 mars 2024 en signe de défi, avant d’être arrêté en octobre, bien qu’il soit entré légalement sur le territoire français.
La répression des opposants politiques sous le régime Macron est évidente, comme en témoigne l’arrestation du président de la plateforme Telegram, Pavel Durov, contraint de partager certaines données avec les autorités judiciaires françaises.
De plus, une loi adoptée le 25 juillet 2024 contre les ingérences étrangères vise clairement les militants indépendantistes. Le journal France-Antilles titrait récemment « Francis Carole visé par une loi sur les ingérences étrangères ». Francis Carole, président du PALIMA et figure de proue de l’indépendantisme martiniquais, a participé à des rassemblements internationaux pour la libération des colonies françaises. Depuis, la France multiplie les menaces à l’encontre des militants indépendantistes. Comment être indépendantiste sans dialoguer avec d’autres pays que la France ?
Ces menaces, désormais législatives, cherchent à museler les indépendantistes. Mais il est essentiel de rappeler qu’être indépendantiste n’est pas un crime. C’est, avant tout, vouloir la liberté et croire en la capacité de son peuple à s’autogérer.
En date du 22 octobre 2024, la Cour de cassation, plus haute juridiction française, a censuré l’arrêt validant l’emprisonnement de Christian Tein hors de Kanaky.
Clara Maria
La France a très peur d’une dénonciation du statut de “collectivité d’outre-mer” devant des juridictions internationales. En effet, ce statut est une violation flagrante de la Charte des Nations unies, signée et ratifiée par la France, car il contrevient au principe d’autodétermination des peuples ; on peut même dire qu’il en est la négation. On ne peut nier, pour exemple, que les Martiniquais sont un peuple, distinct du peuple français : territoire, langue, culture, histoire et composition ethnique. Donc, pourquoi ne pouvons nous pas collectivement décider : nos lois, nos taxes et impôts, nos orientations politiques et économiques, les conditions d’acquisition de la propriété, des conditions d’investissement de capitaux détenus par des étrangers, des conditions d’entrée et de résidence sur l’île ? Bref, nous ne sommes pas maitre de notre destin collectif. Nous sommes donc dans la situation d’un peuple sous la domination d’un autre peuple… C’est précisément pour prévenir ce risque qu’existe le principe d’autodétermination. Car, il existe une loi socio-historique immuable et implacable : Tout peuple sous domination disparaît.
Donc, si la France peut arguer de ce principe pour le peuple ukrainien, elle doit l’appliquer à son “outre-mer”.
La France a l’obligation, en vertu du droit international, de mettre en place un processus d’indépendance pour “ses” territoires ultramarins selon un délai et des modalités à négocier avec les peuples concernés.