Guadeloupe. 1ers bilans. L'année 2022 vue et revue par Daniel Dumirier

Basse-Terre. Capitale. Samedi 7 janvier 2023. CCN. L’heure est encore au bilan de cette année fraîchement écoulée. Ainsi donc pour CCN Web Média Alternatif, ces contributeurs ponctuels ont tous accepté au filtre de leurs visions et expériences personnelles, de faire un retour sur notre Gwadloup de 2022. Ce sont : André Atallah (Cardiologue, maire de la Capitale), Teddy Bernadotte (Directeur Cabinet à la Région), Daniel Dumirier ( Directeur Cabinet au Conseil Départemental), Franck Garain (Sociologue), Loic Martol (Conseiller Régional), Michèle Robin-Clerc (architecte, adjointe de la ville de Pointe à Pitre), Frantz Succab (Dramaturge, journaliste-observateur).
2023 : année de la responsabilité individuelle et collective Auteur Daniel Dumirier
L’année 2022 s’achève dans une accélération des évènements qui renvoie le sentiment qu’elle venait pourtant à peine de commencer…et que chaque année s’avère au final plus courte que la précédente
Ce sentiment n’est pas sans questionner notre rapport à l’espace public, chaque jour davantage guidé par la dictature de l’immédiateté et du sensationnalisme, l’absence de recul suffisant et de traitement en profondeur des sujets d’actualité, et au final par une paradoxale impatience face à l’avancée des choses.
Alors qu’elle porte encore les stigmates des crises sanitaire, sociale, économique qui traversent notre archipel depuis deux ans, l’année 2022 donne en effet l’étrange sentiment que la vie reprend.
Et dans le même temps, ce « bombardement médiatique des ailleurs » auquel nous sommes quotidiennement confrontés du fait de l’omniprésence des médias de masse et de leur portabilité exponentielle, nous renvoie à la marche d’un monde tiraillé entre guerres, crises économiques multiformes, crises identitaires, et crise écologique planétaire.
Se pose dès lors le légitime questionnement sur la capacité des politiques publiques à véritablement agir pour transformer le réel.
Et il est à cet égard intéressant d’observer la proportion, quasi schizophrénique, dans laquelle un enjeu tel que la revendication d’une plus grande domiciliation locale du pouvoir de décision semble de plus en plus accepté par l’opinion publique alors que, simultanément, la défiance de cette dernière envers la classe politique ne cesse de croître.
Plusieurs tendances peuvent par ailleurs être utilement mises en corrélation sur les 15-20 dernières années :
- La forte diminution de la participation des électeurs guadeloupéens aux consultations électorales, qu’il s’agisse des élections présidentielles (avec un taux de participation qui passe successivement de 59% en 2007 à 53% en 2012, 40% en 2017 et 45% en 2022), législatives (34% en 2007, 34% en 2012, 26% en 2017, 25% en 2022), régionales (50% en 2010, 47% en 2015, 31% en 2021), municipales (64% en 2008, 61% en 2014, 46% en 2020), départementales (62% en 2008, 41% en 2011, 44% en 2015, 31% en 2021) (source Préfecture),
- La diminution, dans des proportions similaires, de la participation des salariés aux élections professionnelles à l’occasion desquelles sont désignés les représentants syndicaux des secteurs privé et public,
- L’augmentation tendancielle de la perte de confiance des élus, avec une côte de défiance qui passe de 51% de guadeloupéens sondés qui n’ont pas confiance en leurs élus en 2002 à 66% en 2021, avec un pic de défiance à 77% en 2019 (source Qualistat),
- La progression exponentielle, entre 2018 et 2022, des nouveaux médias tels que FaceBook (qui passe de 200 000 à 240 000 comptes en Guadeloupe), Instagram (de 100 000 à 130 000 comptes sur la période), Linkedin (de 41000 à 50000 abonnés), Messenger (de 120 000 à 140 000) et Snapchat (de 13000 à 35000 utilisateurs sur la période), (source PublicData)
- En 2022, alors que 80% de guadeloupéens sondés se déclarent heureux de leur vie actuelle, 55% se disent optimistes quant à leur avenir personnel, tandis que 80% des sondés estiment que la situation économique et sociale s’est dégradée au cours des 12 derniers mois et 81 % sont inquiets de son évolution future (source Qualistat)
L’année 2022 illustre donc à quel point l’un des plus grands défis de l’espace public réside dans l’acceptabilité des politiques publiques par l’opinion publique, et dès lors, du dialogue entre information, communication et mésinformation, entre « pays réel » et « pays rêvé ».
Ainsi, parce que l’information est un produit, la conjugaison des contraintes économiques, de l’accumulation des taches et du manque de temps, de la nécessaire diversification des contenus et de l’évolution des contraintes éditoriales confronte les médias de masse classiques à une profonde mutation.
Mais, pour autant, l’information n’est pas un produit comme un autre, car elle contribue à notre commune perception des enjeux de l’espace public et induit en cela nos positionnements individuels et collectifs.
Et face à des nouveaux médias/réseaux sociaux qui semblent nous connecter instantanément à l’immensité de la connaissance et du monde alors qu’ils contribuent conjointement à une relative atonie du débat public et à nous enfermer dans l’isolat de nos certitudes, la structuration de l’opinion publique (si tant est qu’elle existe pour paraphraser Bourdieu) devient un enjeu cardinal qui convoque plusieurs leviers d’amélioration.
Parmi ceux-ci, il importe en premier lieu de favoriser le pluralisme médiatique -qui diffère de la pluralité des supports d’information- pour garantir que divers courants d’opinion puissent trouver matière à s’exprimer dans les médias de masse.
L’éducation populaire et le fait de développer l’esprit critique, à tous âges et dès le plus jeune, doivent également contribuer à ce que les « fake news » ne continuent de se propager plus vite que l’information sourcée et équilibrée.
Dans le même ordre d’idées, figurent la promotion de la formation AUX médias, pour faire émerger des citoyens davantage avertis à ce que toute parole médiatique n’est pas d’évangile, et la formation DES médias pour œuvrer à transcrire davantage la complexité de l’action publique.
En dernier lieu, il importe de professionnaliser les équipes des institutions en charge de l’action publique en sorte que la parole publique regagne en crédibilité et en portée pour mieux conjuguer savoir-faire et faire-savoir, pour que les avancées des politiques publiques soient davantage et mieux portées à la connaissance de chaque citoyen, et contribuent au final à ré-enchanter le pacte qui sous-tend toute démocratie.
C’est à ces conditions, conjuguées à la prise de conscience de notre part de responsabilité individuelle dans l’évolution de nos sociétés par les actes que nous posons au quotidien, que nous renouerons avec nous-mêmes en 2023 pour cesser, chaque jour davantage, « d’être des jouets au carnaval des autres ».
Daniel DUMIRIER
Daniel Dumirier
Directeur de cabinet Conseil Départemental de la Guadeloupe
