Basse-Terre-Capitale. Vendredi 15 Novembre 2019. CCN. C’est devant une salle comble et un public intergénérationnel que le slameur, poète et essayiste, Abd Al Malik a présenté son nouveau spectacle « le jeune noir à l’épée », jeudi soir sur la scène de l’Archipel. Il était accompagné de ses deux musiciens et de ses 4 danseurs.
Au moment où le MACTe présente « Le modèle noir de Géricault à Matisse », exposition dans laquelle on peut retrouver l’œuvre du peintre Pierre Puvis de Chavannes intitulé « le jeune noir à l’épée », l’ Artchipel scène nationale a reçu le jeudi 7 novembre Abd al Malik avec son spectacle éponyme, inspiré de l’œuvre picturale. En solo, il a eu le plaisir de conter quelques lectures au Mémorial Acte le mardi qui a précédé son spectacle.
Quelle coïncidence me direz-vous ?
Point du tout !
Invité par le Quai d’Orsay à créer l’évènement autour de l’exposition et en découvrant l’œuvre de Puvis de Chavannes, l’artiste reçoit en pleine figure tous les symboles de la construction racialisée et racisée du regard de l’autre.
Se crée alors dans son imaginaire, un parallèle entre le monde de ce jeune modèle noir, et sa propre histoire émergeant du monde des cités HLM.
Ce récit ou plutôt devrions-nous dire cette rébellion poétique, illustrée par une chorégraphie absolument envoutante, signée du burkinabé Salia Sanou, met en lumière de nombreuses scènes vécues par l’artiste et la diaspora noire d’hier à nos jours.
Ce spectacle est une narration sur le questionnement de l’identité.
Dès son premier slam accompagné de ses musiciens Mattéo Falkone et Bilal, Malik pose les
premiers jalons : « A l’époque je me disais, comment pourrais-je m’aimer Si sans cesse je dois lutter ? Et comment pouvais-je t’aimer ? »
L’homme noir est un éternel combattant ! Face à l’adversité que renvoie sa couleur de peau, face aux préjugés infondés et insensés, face à sa condition sociale, culturelle et sociétale, face à son histoire passée et présente, celle des banlieues, et d’ailleurs… face à la situation politique gangrénée des pays dont il est enraciné, et qui ont subi la colonisation.
En introduisant son propos avec un extrait du poème de Baudelaire « Bénédiction », où la mère maudit son enfant parce qu’il est poète, l’artiste s’interroge de façon allégorique et nous demande si être noir est une malédiction.
Pourquoi tant de peine, tant de haine ? À qui profite le crime ?
La couleur n’est-elle pas une réfraction de la lumière ? L’Etre noir n’est-il pas un homme, juste comme Vous ?
Même si dans « La vida negra » il évoque les traumatismes des populations qui traversent en radeaux de fortune le détroit de Gibraltar, en quête du leurre Eldorado supposé, l’artiste se veut malgré tout positif au regard de la scénographie qu’il nous offre.
Ses quatre exceptionnels danseurs Salomon Asaro, Washko, Vincent Keys Lafif et Bolewa Sabourin jouent avec toute la grâce de leurs déplacements sur scène et toute la puissance de leurs corps musclés, la difficulté de l’épreuve imposée par la traversée de la Méditerranée, le tout sur des sonorités latines et métissées, offrant une lueur d’espoir pointée vers la liberté et la rencontre avec l’autre.
Il emprunte ce tremplin et en profite pour dénoncer la victimisation personnelle, à travers un texte qui s’intitule « Les Autres », en affirmant que nous sommes tous maîtres de notre destin et qu’il nous sera toujours possible de changer. Un peu plus tard en décrivant son enfance strasbourgeoise mouvementée, au milieu des bandes et des gangs des cités HLM, on conçoit aisément qu’il en est la preuve vivante.
Il n’oublie pas de rendre hommage à sa Maman dont on comprend le rôle de pilier central qu’elle a pu jouer dans sa vie.
Soucieux de ne pas se laisser enfermer dans un discours que certains pourraient appeler anti-blanc, il évoque avec justesse, combien tous, nous sommes des enfants des gens du voyage.
Il fait un clin d’œil à Joseph, cet acrobate noir venu d’Haïti qui devint le modèle noir attitré de Géricault (Le radeau de la méduse) et qui se fit remarquer pour sa musculature.
Le chorégraphe Salia Sanou en joue de provocation quand, pour rappeler cette fascination du corps noir très étudiée par les peintres du 19ème siècle, ses danseurs assis côte à côte, présentent leurs dos au public en ondulant huit omoplates indécemment musclés, comme une série de vagues finissant leurs courses sur le sable mouillé.
Autre clin d’œil aux tirailleurs sénégalais dont la bravoure et la fidélité à la France a longtemps été oubliée. « Peut-on dire que le monde a changé, si ta couleur de peau te met toujours en danger ? »
A l’inverse des autres artistes, c’est à la fin de son spectacle qu’il se présente en épelant son nom.
C’est ainsi que démarre son dernier Slam « Eux ».
Il y dénonce la haine, le racisme, le fascisme, le populisme, le capitalisme et tous ces maux qui se terminent en -isme fourbes et pourvoyeurs d’autodestruction.
C’est un cri du cœur à l’amour, à la tolérance, à la bienveillance, au dialogue et à l’écoute de l’autre, car Eux … c’est finalement Nous !
Abd al Malik prône universalité, paix et vivre ensemble même si certains de ses détracteurs le trouvent trop consensuel.
D’un verbe haut et audible, habile, agile avec la langue française, il est capable de nous faire tressaillir d’émotions tant ses textes sont profonds et imposent la réflexion. C’est à la jeunesse qu’il s’adresse, celle qui construira le monde demain.
Un spectacle d’une grande qualité dans lequel on retrouve parfois la touche musicale du pianiste Gérard Jouannest. Une représentation attendue des petits et des grands, qui incite à vouloir en savoir beaucoup plus sur cet artiste dont la pensée s’est inspirée de grands hommes tels que les Glissant, Césaire, Senghor, Confiant et autres, et qui a déjà plusieurs albums et livres à son actif et reçu de nombreuses distinctions.
D. V.