Guadeloupe. Éducation. L'École favorise-t-elle encore la réussite de tous ?
Basse-Terre-Capitale. Vendredi 3 mai 2024. CCN. En France, Le rapport de la Commission du débat sur l’avenir de l’École remis en 2004 au ministre français de l’Éducation nationale rappelait la nécessité de « motiver et faire travailler les élèves, mieux appréhender leur diversité et leurs difficultés scolaires, lutter contre la violence et les incivilités, améliorer la concertation entre les enseignants et les parents, définir les contenus que les élèves doivent absolument acquérir ». Toutes ces préoccupations avaient pour « seule ambition : faire réussir tous les élèves »[1]. En Guadeloupe et dans les dernières colonies françaises, où chaque année des milliers d’élèves sont “décrochés”, il faut s’interroger sérieusement sur cette école française qui est elle-même totalement “décrochée” au regard de nos réalités. Les syndicats et les assos de parents d’élèves en ont conscience, mais les politiques demeurent silencieux. En France même l’école se porte de plus en plus mal et notre système éducatif comme tout le reste est dépendant. Quelles solutions ?
Les résultats du Programme International pour le suivi des acquis des élèves (PISA) évalue les connaissances et les compétences des élèves de 15 ans, en mathématiques, en compréhension de l’écrit et en sciences. Les tests évaluent la capacité des élèves à résoudre des problèmes complexes, à faire preuve d’esprit critique et à communiquer efficacement. Cela permet de savoir dans quelle mesure les systèmes éducatifs préparent les élèves à relever les défis de la vie réelle et à réussir dans l’avenir.
Presque 20 ans après, le constat est là ! La France n’échappe pas à la baisse de performance observée dans la plupart des pays de l’OCDE sur la période 2018-2022. Elle est classée au rang 26 en 2022 et perd 6 points dans cette période. Plus précisément, parmi les 38 pays de l’OCDE, la France est ainsi classée 22ème en maths, 24ème en compréhension de l’écrit et 22ème en sciences. Des résultats “parmi les plus bas jamais mesurés”, selon l’OCDE. En mathématiques, elle connaît entre 2018, date de la dernière étude Pisa, et 2022 “une baisse historique du niveau des élèves”, soulignait en décembre Éric Charbonnier, spécialiste de l’éducation à l’OCDE.
Pourquoi l’école française va-t-elle si mal ?
Les réformes et les ministres se succèdent sans pouvoir apaiser le malaise et les difficultés de l’école. Oui l’école va mal si on se réfère aux grands indicateurs internationaux. La France baisse régulièrement sur les indicateurs de capacité en mathématiques, sur les savoirs fondamentaux, sur le bien être à l’école. La comparaison avec les systèmes éducatifs en Europe et dans le monde nous démontre les faiblesses du systèmeéducatif français.:des enseignants moins bons, des conditions d’exercice difficiles, une mobilité géographique contrainte pour les primo-entrants, des salaires trop bas, un réel manque de reconnaissance de la société… Le métier d’enseignant n’attire plus, aux concours de l’enseignement, de nombreuses places ne sont pas pourvues… Les notes requises pour l’admission baissent.
Pourtant, l’école devrait protéger nos jeunes, assurer la transmission d’un certain nombre de savoirs mais peine à le faire, malgré des progrès sur les équipements, l’ouverture sur le monde extérieur ou les révisions des programmes scolaires.
Le délitement du système des valeurs, la baisse des savoirs fondamentaux, inquiètent les communautés éducatives et en premier lieu les familles qui confient leurs enfants à l’école.
Dans une société complexe et de plus en plus fracturée, la relation entre l’école et les familles se fragilise. Les parents refusent généralement un nivellement par le bas et sont de plus en plus exigeants avec les enseignants. Certains portent un regard négatif sur l’institution, car ils estiment que cette dernière ne développe pas chez les jeunes la confiance en eux, en l’école, et les préparent insuffisamment pour leur avenir ou la découverte des métiers. Ils sont demandeurs d’un enseignement d’excellence, qui ne se limite pas à la transmission des savoirs mais qui embarque une série de valeurs comme le respect de l’autre, le sens de la discipline, le goût de l’effort. Ils redoutent les mauvaises fréquentations et craignent le harcèlement scolaire dont peut être victime leur enfant au sein des classes et pointent alors les dangers des écrans et leurs difficultés à les contrôler. Parfois, dans certains établissements, ils sont tenus à l’écart et n’ont de contact avec l’école qu’en cas de difficulté rencontrées par leur enfant ; dès lors, comment concevoir le développement d’un véritable contrat éducatif basé sur la confiance pouvant conduire à la réussite scolaire du jeune ? car rappelons-le si besoin est, que la réussite scolaire devrait s’inscrire dans un dialogue constructif et apaisé entre les parents, principaux éducateurs de leur enfant et les enseignants.
Les enseignants ne peuvent pas tout faire certes, mais leur rôle est primordial pour favoriser la transmission des savoirs et dans ce monde en profond changement, pas simplement s’arrêter au “lire, écrire, compter”. Il y a lieu de tenir compte des impacts de l’intelligence artificielle, de réfléchir aux nouveaux modes d’organisations des classes ou des programmes, et pourquoi pas s’ouvrir à une nouvelle organisation de l’intelligence collective pour engager une réelle participation des élèves pour les temps à venir…
Au sein de l’institution scolaire, les équipes éducativesdoivent donc veiller à proposer un cadre d’apprentissage garantissant de la bienveillance, de la tolérance et favorisant l’élévation du niveau scolaire. Elles doivent s’assurer de transmettre des valeurs qui permettront notamment de développer l’esprit critique et la capacité de discernement chez nos adolescents. Enfin, l’école devrait préparer sereinement à la construction de l’avenir et l’insertion dans la vie économique et sociale.
Or le phénomène du décrochage scolaire laisse environ 8,5% des élèves âgés de 18 à 24 ans sur le bord de la route ; ainsi, tous les ans en France,100.000 jeunes sortent-ils de l’école sans formation ni diplôme malgré une politique de repérage plus offensive, et touche souvent les classes les plus défavorisées. En Guadeloupe, l’estimation serait d’environ 1000 jeunes par an qui quittent le système scolaire et vont grossir les cohortes de NEETS (neither in employment nor in éducation or training, c’est-à-dire, « ni en emploi, ni en études, ni en formation »). La recherche de la mixité sociale figure dans les instructions ministérielles mais la réalité du terrain est parfois contrastée. Les difficultés scolaires peuvent avoir de nombreuses causes : trouble d’apprentissage, manque de confiance en soi, indisponibilité d’origine psychologique, manque de motivation. Face à ces difficultés, il est normal de s’interroger. Les équipes éducatives sont-elles suffisamment outillées pour y faire face ? Force est de constater que les solutions manquent parfois pour déployer correctement auprès des élèves à besoins éducatifs particuliers de vrais parcours de réussite grâce à un enseignement adapté et à des moyens en nombre suffisant.
Enfin, ce déclin en matière éducative depuis plus de 20 ans reste multifactoriel, notamment la baisse relative des budgets par élève et celle des salaires des enseignants par rapport aux autres métiers, qui rendent la fonction moins attractive…augmentation des démissions des professeurs, difficulté de recrutement, perte de sens de la mission, salaires trop faibles, manque d’autonomie des établissements scolaires…
Alors pour inverser la tendance des pistes sont avancées : agir sur plusieurs leviers !
- S’assurer que chaque élève maîtrise un socle commun de savoir
- Avoir un enseignant devant les élèves ( ce qui n’est pas toujours le cas dans certains collèges de Guadeloupe)
- Rendre le métier d’enseignant plus attractif
- Revoir la formation initiale et continue des enseignants
- Donner plus d’autonomie aux établissements scolaires
- Impulser l’action des partenaires de l’école (parents, associations, entreprises…) pour qu’ils aient leur juste leur place au sein de l’institution
Les évolutions de la société diluent parfois les responsabilités. Des parents, au profil parfois « consumériste » délèguent de plus en plus à l’école la responsabilité d’élever leur enfant ; or les enseignants ne peuvent pas endosser totalement ce rôle. La faible attractivité de leur métier, le délitement du respect de l’enseignant à l’égard de l’autorité, l’attitude qui consiste à survoler entre plusieurs savoirs en négligeant les savoirs fondamentaux, les recours excessifs à des méthodes pédagogiques nouvelles qui n’ont pas forcément conduit à des réussites éducatives doivent interpeller les décideurs et les citoyens : le service public de l’éducation est en berne !
Par ailleurs, Il faudrait surtout que les élus politiques de Guadeloupe et singulièrement ces parlementaires qui passent le plus clair leur temps dans les assemblées françaises prennent enfin conscience que le destin de notre pays s’assombrit. Que deviennent tous ces jeunes obligés de quitter l’école, sans diplômes, sans perspective de formation ? Ces politiques ont-ils conscience que l’école française telle qu’enseignée (les programmes) dans notre pays ne répond pas à notre réalité et que le niveau actuel qui ne cesse de baisser est un grave problème pour l’avenir ? Les enseignants mais aussi et surtout les “inspecteurs” qui se contentent d’être que de simples fonctionnaires du système éducatif français inadapté, ont eux aussi une responsabilité.
La réussite à l’école passera nécessairement par la recherche d’une alliance éducative intelligente entre les jeunes, leurs parents et les enseignants. Chacun à sa juste place dans le respect de ses missions. Le dialogue avec les enseignants permettra sans aucun doute de créer des conditions favorables pour une meilleure connaissance des besoins des enfants et de leur situation familiale, un être bien à l’école, l’acquisition des savoirs fondamentaux et d’un système de valeurs, bases nécessaires pour des adultes épanouis dans leur futur métier. Quant aux parents et aux jeunes, ils pourront comprendre ce qui est attendu de leur part. L’erreur serait de continuer à opposer « familles » et « professeurs ». Une communauté éducative dotée du sens des responsabilités, de l’autonomie et agissant avec agilité peut être un vrai facteur de réussite pour les jeunes. Au sein de celle-ci, sachons reconnaître aussi la place des associations de parents d’élèves pour créer les relations dans le cadre d’espace de dialogue concerté et constructif.
Une école de la réussite est une école de la confiance, de la paix, qui sait faire grandir des jeunes en leur offrant une éducation intégrale (cœur, corps, esprit) pour en faire citoyens éclairés, avisés et ayant le sens du bien commun. Ces piliers doivent être reçus de l’école pour faire fonctionner la société en citoyen responsable.
L’éducation a un rôle clé pour éviter le déclin de notre société et assurer la construction des citoyens responsables de la bonne tenue de la cité et de la performance des territoires.
Récemment Le maire à Pointe à Pitre a réclamé au pouvoir colonial un couvre-feu pour les jeunes : mais ces jeunes qui sont-ils ? d’où viennent-ils ? ka Durimel ka fè pou yo ? Le couvre-feu pourra t-il prévenir l’incendie social qui couve ?
Danik I. Zandwonis
[1] Claude Thélot – Rapport de la Commission du débat national sur l’avenir de l’École les élèves réussite de tous -2004 – La documentation française