Pointe-à-Pitre. Vendredi 11 Décembre 2020. CCN. Jessica Laguerre réalisatrice du court-métrage « MUETTE », a accepté de nous recevoir dans son nouveau chez-elle fraichement aménagé où domine la douceur du bois et les objets de déco en matériaux de récupération. Jessica Laguerre fait partie de ces jeunes gens qui pendant des années servent ou pensent qu’ils doivent servir la cause de leurs parents, pour des tas d’excellentes raisons ! Un beau jour ils se réveillent doucement ou violemment en se disant « Mais ça, ce n’est pas moi ! » ou encore « je n’ai pas envie de cela !». Avec une force qui vient de l’intérieur, elle lâche sans fard « Je suis une jeune femme guadeloupéenne de 35 ans, qui commence juste à vivre ! » Qu’à t-il bien pu se passer pendant tout ce temps ? où était-elle ? Que faisait-elle ? A travers le récit de sa vie, Jessica, nous conte son parcours…
Titulaire d’un bac scientifique, elle fait une classe préparatoire sous la pression familiale, pour devenir ingénieure alors qu’elle n’a jamais voulu l’être. Mais c’est aussi un moyen de passer par l’élite en attendant de savoir ce qu’on va réellement faire de sa vie … Elle poursuit avec une licence en mathématiques à Fouillole, passe quelques concours pour devenir professeur de mathématiques malgré elle, se retrouve admissible au CAPES et là patatras ! Elle est recalée à l’oral … Avec la loi de « Mastérisation » de Sarkozy, elle ne pourra pas repasser le concours en l’état, et l’envie de travailler et de se construire prend le dessus.
Elle enchaine des petits boulots, puis trouve un poste de secrétaire comptable en CDI, dans une société d’économie mixte, qui lui procure une certaine indépendance. Elle accepte les responsabilités qu’on lui donne. Elle semble reconnue pour le travail qu’elle fournit, et pourtant au bout de 6 ans, un burn-out lui ouvre les yeux.
Pour la première fois, alors que son corps lui donne un avertissement, elle se pose et décide de réfléchir à ce qu’elle veut réellement faire.
« L’image » a toujours fait partie de son environnement, que ce soit grâce à l’appareil jetable, ou le petit caméscope de ses parents avec lequel elle film tout ce qu’elle peut. Elle s’achète son premier Reflex semi pro alors qu’elle est pré-adulte. L’image et elle ne font qu’un !
C’est pourtant en 2009, qu’elle commence vraiment à s’intéresser à la technique et à se documenter en lisant les notices, les livres et les blogs sur la photo… Alors nait la photographe amateure…
Grace au bilan de compétence qui la rassure, elle comprend que la photo n’est pas juste une passion, mais que si elle accepte de se former, elle peut en faire son métier.
Un nouveau souffle, une bouffée d’oxygène s’installe au cours des 6 mois de formation qu’elle fera à Paris en 2018. Entourée essentiellement de gens passionnés comme elle, elle découvre ce qu’est la photographie sous tous les angles, ainsi que la vidéo où elle prend énormément de plaisir.
Le retour en Guadeloupe avec son diplôme de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) en poche, n’est pas forcément évident, car la réalité c’est qu’il faut tout recommencer.
Mais avec beaucoup d’amour, et de compréhension de la part de ceux qui l’entourent, elle arrive à poursuivre sa route.
Deborah Vey : les photographes sont nombreux chez nous ? comment envisagez-vous à ce moment-là de vous démarquer de ce qui existe déjà sur un marché aussi petit ?
Jessica Laguerre : Très sincèrement je ne l’envisage pas. Je considère que chacun est unique, et que cette unicité fera que, ce que je proposerai sera forcément différent de ce qui existe déjà. Je reste totalement moi.
Alors elle comprend qu’il lui faut créer une offre de service, se considérer désormais comme une professionnelle ce qui n’est pas un automatisme dans l’esprit de tous. Il n’y a plus de filet, et le public n’accepte pas toujours que la photographie ou l’art dans sa généralité soit un métier à part entière. Il y a comme une absence de légitimité dit-elle.
L’entraide entre jeunes lanceurs de projet lui permet de se mettre sur le marché pour démarrer son activité en l’absence de budget conséquent, mais elle est consciente qu’il lui faudra accéder au niveau supérieur.
Elle se défend d’être une portraitiste, pourtant on retrouve dans ses clichés la sensibilité et l’authenticité des personnages qu’elle fige sur papier glacé. Sa façon de photographier les mains est très particulière et révèle parfois la personnalité de celui ou celle à qui elles appartiennent… L’instant impromptu shooté par son objectif a toujours une saveur douce et légère… Une signature qui ne s’oublie pas….
Présente sur beaucoup d’évènements artistiques, événementiels, mariages ou reportages, elle tisse petit à petit son réseau.
DV : en très peu de temps, vous passez de la photographie à la réalisation cinématographique. Est-ce une suite évidente ou un coup d’essai ?
JL : Pour certains l’image figée devient une expertise et à aucun moment ils ne souhaitent s’en séparer. En ce qui me concerne, c’est une suite logique. J’ai toujours voulu réaliser un film, et je me revois petite fille avec la caméra en main. Je me souviens très bien de mon premier film avec mes cousins. Au moment où nait « MUETTE » dans mon esprit, j’ai envie de faire passer un message et il était évident pour moi que ce soit par l’image animée.
MUETTE est un court-métrage de 7 minutes autoproduit par Jessica Laguerre, qui dénonce les violences sexuelles faites aux enfants.
Alors même que le film est toujours en post-traitement, grâce à Wally Fall cinéaste afro-caribéen habitué des festivals cinématographiques (et qui avait non seulement lu sa lettre d’intention mais qui lui a été d’une grande aide et d’un grand soutien pour la réalisation de ce film) elle est sélectionnée pour participer au Festival COURT DERRIERE de la Réunion. Le court-métrage reçoit un bel accueil.
Puis le film passe en première partie de « Scolopendres et papillons » lors du Cinéstar International Film Festival en octobre dernier et reçoit le prix « Coup de cœur » Mc Donald du premier film ! Elle reçoit également des demandes pour utiliser le film « MUETTE » dans le cadre éducatif et pédagogique, afin de sensibiliser les enfants.
Forte de cette expérience, un autre projet encore à l’état embryonnaire est en train d’émerger.
En femme passionnée, elle prend le temps de bien nous expliquer les différences entre le réalisateur qui est le chef d’orchestre, le concepteur de la production avec son regard avisé sur toutes les étapes de la réalisation (repérages des lieux, casting, choix de l’équipe de tournage, le découpage technique et les décisions sur le montage) de sorte que le film soit le plus proche de ce qu’il en attend, le cinéaste qui a une fiction à raconter à l’intérieur d’un grand projet qui nécessite une grande équipe technique et des compétence de direction d’acteurs découpage technique et gestion d’équipe, et enfin le vidéaste qui se trouve derrière la caméra, il est plus polyvalent, et plus apte à réaliser le projet seul ,ce qui lui laisse plus de place à l’improvisation. Il réalise davantage des petits projets (prises de vue pour des films institutionnels, films de promotion d’entreprises, vidéos artistiques etc….).
Aujourd’hui, dit-elle, c’est une bonne chose, que plus de gens puissent porter des messages par la voie cinématographique, et ce, grâce aux outils plus facilement accessibles aux jeunes et moins onéreux. Pour autant ajoute-t-elle, elle ne croit pas que la production cinématographique soit menacée par ce nouveau mode de création.
Dans son message à la jeune génération, elle leur dit : « Croyez en vos rêves et ne vous laissez pas envahir par la peur… La persévérance est de rigueur et le travail personnel n’a pas de limite ».
Accepter de sortir de sa zone de confort peut-être un effort surhumain, mais entre perdre un peu pour faire un métier qu’on aime, et emprunter une route qui ne vous ressemble pas, il n’y a pas photo…
A 35 ans Jessica Laguerre, semble pleinement heureuse d’avoir franchi le pas et ne regrette rien.
Nous lui souhaitons une belle et bonne continuation !