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Guadeloupe. Politique. La question du nationalisme en pays colonisé.

Guadeloupe. Politique. La question du nationalisme en pays colonisé.

Pointe à Pitre Mardi 5 octobre 2021. CCN. C’est en1963 avec la création à Paris du GONG (Groupe d’Organisation Nationale Guadeloupéen) que le courant nationaliste guadeloupéen naissait. Plus il y eut  les massacres de  Mai 67 à Pointe-à-Pitre et la violente répression militaire et judiciaire contre les patriotes membres du GONG. Quelques années plus tard 1978 des anciens du GONG mais aussi de l’AGEG et d’autres organisations patriotiques créaient dans une semi clandestinité toute relative “l’Union Populaire pour la Libération de la Guadeloupe (UPLG). Laquelle  tente de rassembler sous sa coupe  une sorte de front Patriotique le MUFLNG.( Mouvement d’Unification des Forces de Libération Nationale) mais   miné par des contradictions internes, il implosera et n’aura duré que l’espace de 2 hivernages et d’ un carême… Puis vint l’époque des « guérilleros urbains » nationalistes. 1979/81 : le Groupe Guadeloupéen de Libération Armée (GLA) de Luc Reinette, Jean Claude Mado, Alain Gamby… Et dès le milieu des années 80,  la création du Mouvement Populaire pour la Guadeloupe Indépendante (MPGI) et de sa branche militaire de “l’Alliance Révolutionnaire Caraïbe (ARC) laquelle ciblait à coups de bombes les objectifs les plus emblématiques de la présence coloniale française en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et même en France. Début du 21é siècle, le mouvement nationaliste guadeloupéen, incapable de se renouveler, tant dans ses pratiques que dans  son discours perd de son influence. L’UPLG s’affaiblit, le MPGI disparaît. D’autres organisations naissent  telles que: le Mouvman Nonm”, le KLNG… puis ’Alyans Nasyonal Gwadloup (ANG) qui s’assoupit quelques temps. . Après le mouvement social initié par LKP en 2009, une nouvelle organisation nationaliste plus radicale émerge : Fos Pou Konstwui Nasyon Gwadloup (FKNG!) comme le GONG, FKNG! refuse toute participation aux élections. Janvier 2021, ANG réapparait subitement, se structure, communique urbi et orbi, et à  quelques mois des Régionales de 2021,  décide de conduire une liste”NOU”  rassemblant ce qui reste comme nationalistes électoralistes.

L’universitaire Fred Deshayes qui connaît bien l’histoire du Nationalisme guadeloupéen, propose ici son analyse. C’est à lire.

DZ

De manière évidente, la Guadeloupe connaît une montée en puissance des revendications nationalistes qui se manifeste à travers un activisme contestataire diffus qui concerne une grande variété de mesures décidées par le gouvernement ou par ses représentants locaux qu’il s’agisse du préfet, du recteur ou des autres directeurs des administrations déconcentrées. Au cours de la période récente, elle s’est notamment illustrée par la participation d’une liste du groupe ANG aux élections régionales et par une omni présence du nationalisme dans le discours de défiance à l’égard des responsables locaux dans le contexte de la pandémie.

Ce regain s’appuie sur des considérations rationnelles et émotionnelles. L’Etat, considéré comme une institution extérieure à la Guadeloupe, est tenu pour responsable des contre-performances de l’économie locale et de la mauvaise répartition des richesses dans la population. Il est accusé de maintenir une domination coloniale d’autant plus odieuse qu’elle serait l’envers du décor d’une légalité républicaine qui fait la promotion d’une égalité de façade. Cette critique n’est pas nouvelle et c’est sans surprise que l’on retrouve dans ce mouvement global de nombreux descendants réels et symboliques des anciens acteurs des mobilisations nationalistes. Le besoin de redonner de l’espoir dans ce monde anxiogène voit ainsi ravivé un feu qui couvait depuis longtemps. A cela s’ajoute le formidable potentiel de séduction de la posture du résistant et l’attrait de la culture cool des réseaux sociaux qui rajeunit les formes de la propagande politique.

Cependant, ce nationalisme diffère profondément de celui qui avait cours au temps du GONG ou de la naissance de l’UPLG et du MPGI. Il ne semble pas d’ailleurs rechercher la rupture avec ce qu’il continue d’appeler le colonisateur. C’est un soft nationalisme.

D’abord, il ne suscite pas une adhésion à un projet politique précis (on doute fort que les militants soient prêts à tout mettre en œuvre pour voir une Guadeloupe indépendante de leur vivant). L’affirmation de l’amour du pays et de sa culture semble suffire, et pour beaucoup être nationaliste se résume à défendre l’identité guadeloupéenne sans qu’il soit besoin de prendre partie sur le moindre changement du système politique.

En outre, il n’implique pas d’importants sacrifices (ceux qui se mobilisent ne sont probablement pas prêts à engager une lutte armée ou une désobéissance civile impliquant une perte d’avantages matériels). Par contre, il tend à englober la vie sociale de ses partisans qui « militent » ou « résistent » à travers ce qu’ils consomment, ce qu’ils portent, les lieux qu’ils fréquentent, les spectacles auxquels ils participent, les syndicats qu’ils soutiennent, les musiques et les artistes qu’ils écoutent, ceux qu’ils suivent.

Cet amollissement du nationalisme va de paire avec l’acceptation du processus démocratique imposé dans une société moderne et occidentalisée. Le principe même de la soumission au débat citoyen conduit inévitablement à l’affaiblissement de la radicalité des positions que l’on défend. De plus, cette forme plus fade témoigne de la permanence d’une prudence stratégique tant que la dépendance constitue une garantie de ressources dans un monde incertain.

Ce succès montre que la société guadeloupéenne est plus consensuelle qu’on le croit. En tenant pour acquise l’idée que le développement de la Guadeloupe passe par une décentralisation améliorée, chacun semble pouvoir revêtir un habit nationaliste à la carte. Ainsi s’opère le glissement et la dilution dans le consensus politique : l’acceptation d’un bout à l’autre de l’échiquier de la nécessité d’approfondir la décentralisation est devenue le point d’accord des forces politiques locales. On en conclurait presque que le nationalisme a « gagné les masses » au prix d’une diminution de sa force. Ce serait une conclusion bon marché ; au même titre que ses adversaires et ses concurrents, il évolue, se transforme, se réforme et se déforme dans une société qui est elle-même en constante mutation.

L’état actuel de cette idée soulève de nombreuses questions. Sur le fond, son indétermination constitue un des facteurs les plus importants de son expansion, les modérés sont nombreux à côté des ultras et de ceux qui, tout en nuance, se placent entre ces deux extrêmes. D’où la difficulté d’en saisir la cohérence, d’en évaluer la puissance ou d’envisager ses prolongements concrets. Quant à sa représentation, les adhérents sont présents dans tous les partis, tous les groupes de pression et toutes les représentations professionnelles. Et quelles inquiétudes ! Un projet axé sur la culture et l’identité fait immédiatement songer aux tristes expériences du XXème siècle, d’autant que la séduction par la communication a pris le pas sur le goût des idées, tout cela sur un fond d’individualisme contemporain sans illusion à l’égard des questions institutionnelles, de l’Etat et du progrès collectif.

Un point positif toutefois, c’est le retour du bonheur et de l’épanouissement dans le projet politique, il ne s’agit plus de rupture, de drapeau ou même de liberté, seulement d’organisation sociale et d’actions publiques plus respectueuses de références identitaires sans que l’on sache vraiment tout ce que cela implique.

L’auteur de ces lignes, écrites pour servir le débat, se revendique de ce courant auquel il participe notamment par sa musique dont les paroles établissent sans peine qu’il n’est pas de la frange la plus soft.

Fred DESHAYES

Maître de conférences en droit public à l’Université des Antilles

Auteur

ccnfirst.COM

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