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Guadeloupe : Pourquoi les idées racistes et réacs progressent-elles chez nous ?

Guadeloupe : Pourquoi les idées racistes et réacs progressent-elles chez nous ?

Qu’est-ce qui rend possible l’avancée d’idées fascistes en Guadeloupe ? Sans doute ce qui rend possible l’avancée de ces idées en général. Démêler les mécanismes qui alimentent les idées réactionnaires est une entreprise difficile. Cette entreprise, en tout cas, est irréductible à une analyse des contingences qui ont conduit certains meneurs, certains élus, réactionnaires là où ils se trouvent aujourd’hui.

Parmi les hypothèses concurrentes afin d’expliquer le succès du discours réactionnaire raciste, de la France jusqu’aux Antilles, il est possible d’en sélectionner une, de l’expliquer et d’en tirer les conclusions logiques : il manque à la société civile les moyens de penser le fascisme, ses idées, ainsi que les idées qui lui sont contraires, et qui ne sont pas exprimées.

Si les pensées réactionnaires avancent, si elles trouvent des représentants, jusqu’à la Guadeloupe, c’est alors que les conditions de l’avancée de ces idées sont effectives. Inversement, si les idées progressistes, ou les idées marxistes, sont en recul, comme étouffées, c’est que le contexte est plutôt défavorable à leur émancipation. 

Bien sûr, il n’est pas forcément nécessaire de rechercher des causes extérieures aux idées elles-mêmes, pour expliquer leur succès ou leur échec. Après tout, l’objection pourrait poindre : si les idées réactionnaires rencontrent un certain succès – et inversement les idées progressistes ou marxistes reculent –, c’est parce qu’elles sont les plus pertinentes pour analyser la réalité sociale, politique et économique – et respectivement les idées progressistes et marxistes ne le sont pas. La cause, ainsi, du succès ou de l’échec de certaines idées serait interne à ces idées elles-mêmes, eu égard à leur confrontation avec le réel. Mais il faudrait encore apporter la démonstration de cette supériorité et pertinence relatives de telles idées par rapport à telles autres. Autrement dit, il ne va pas de soi que les causes du succès de la pensée fasciste soient dans la pertinence du fascisme lui-même. Ou alors il y aurait de très sérieuses raisons de s’inquiéter. Affirmer, à cet égard, qu’il soit pertinent pour un citoyen guadeloupéen d’adhérer à des idées racistes contre tout ce qui n’est pas blanc, voilà qui relève d’une absurdité. En conséquence les causes du succès des idées réactionnaires, fascistes, racistes, en Guadeloupe, sont nécessairement extérieures à elles-mêmes.

A dire vrai la cause du succès de ces idées leur est extérieure en général. La raison en est que ces idées ne sont pas rationnelles, et que par conséquent elles ne peuvent fonder un raisonnement rationnel, qui aurait des implications politiques concrètes. Le racisme n’est pas uniquement une folie lorsqu’elle touche l’Antillais. Le racisme est une folie tout court. Qu’il semble normal qu’il y ait des racistes parmi les blancs, voilà l’anomalie. Le racisme comme norme sociale est le symptôme de causes extérieures à la pertinence du racisme lui-même, qui n’est jamais pertinent – et on se passera ici d’une démonstration.

Le fait est, pourtant, que le racisme n’étonne plus. Pas plus que le recul de l’Etat de droit n’affole. L’un et l’autre vont d’ailleurs de pair. La répression raciste par les pouvoirs publics n’est pas possible dans un Etat de droit ; dans un Etat où les humains sont égaux en droit. 

L’avancée et la normalisation d’idées racistes et hostiles à l’Etat de droit est le fait d’un discours et d’un certain exercice du pouvoir politique. Le racisme n’est pas le fruit d’un parfait hasard. Il n’est pas totalement inexplicable. Dans le cas des scrutins et débats électoraux, la montée des partis extrêmes, la survalorisation des idées qu’ils défendent et des problèmes qu’ils soulèvent, n’est possible que grâce à la complicité au moins partielle de ceux qui prétendent en être les adversaires. Après tout, n’y a-t-il pas un avantage à se trouver, à l’occasion du second tour de l’élection présidentielle, face au Rassemblement National ou à Reconquête ? Non seulement cela garantit la propagation des idées réactionnaires de ces partis, en même temps que cela assure la victoire durable des partis prétendument anti réactionnaires, anti conservateurs même. En s’affichant comme les gardiens de la république, ou quelque chose dans ce goût, les vainqueurs insistent sur l’importance de la lutte contre le racisme et le fascisme dont ils sont les premiers promoteurs. Dans leur propre intérêt. C’est par ce tour de passe-passe que le président Macron parvient à se faire passer pour un grand défenseur du progrès et de la démocratie.

Dans le même temps que les idées réactionnaires progressent, les idées progressistes régressent. Elles ne sont plus jugées, ni par le pouvoir, ni par l’opinion, comme des idées contestataires pertinentes parce qu’elles sont sous-représentées. On ne parle pas de ce dont on ne parle pas du fait de l’impertinence de ce qui est tu. C’est bien connu. 

Mais en vérité une des raisons pour lesquelles les idées progressistes sont sous-représentées est leur incompatibilité totale avec le mode de production capitaliste. Le racisme, le fascisme, ne constituent pas en eux-mêmes des freins à l’expansion du capitalisme. Le colonialisme non plus. Dans sa courte histoire, le capitaliste a compté peu d’ennemis parmi les colonialistes et impérialistes de tous poils. Aujourd’hui encore, il est plutôt de leur côté. En revanche, le capitalisme compte nombre d’ennemis chez les marxistes, les communistes, les socialistes, les anarchistes, certains souverainistes, et même chez les keynésiens les plus radicaux. Après tout le keynésianisme, s’il est compatible avec le capitaliste, est une épine dans son pied : pourquoi faire moins de profit quand on pourrait en faire plus ?

En Guadeloupe, la promotion du racisme n’est en aucun cas une menace pour la caste békée.

Au contraire, les békés peuvent se réjouir qu’il y ait, à l’intérieur du peuple, des groupes disposés à désigner un bouc émissaire qui partage la condition des classes populaires. Les békés ne sont pas ainsi la cible de la vindicte. Leurs intérêts et leur position sociale n’est pas menacée.

Or des philosophies alternatives permettent de penser la politique guadeloupéenne en dehors des paradigmes d’extrême droite et de droite libérale. En dehors du RN, de Reconquête, de LREM, de LR, etc. Le marxiste même le moins averti verrait dans cette désignation de l’étranger comme adversaire du Guadeloupéen la manifestation de la fausse conscience et, avec elle, l’engourdissement de la conscience de classe. 

Si le travailleur guadeloupéen avait pleinement conscience de partager des intérêts communs avec le travailleur dominicain ou haïtien, et qu’inversement que ces intérêts étaient antagonistes à ceux des békés, nul ne serait à l’abri d’une grande alliance populaire. C’est alors l’ordre béké, assuré et renforcé par l’Etat français, qui risque de vaciller. 

Mais cet ordre ne vacille pas. Et pour cause, dans sa fausse conscience, les classes populaires préfèrent encore haïr les autres classes populaires. Non que la haine soit un sentiment noble, elle est tout le contraire. Mais dirigée dans la bonne direction, elle peut être utile aux causes justes. Guidée à l’aveugle, elle dessert celui-là même qui la déchaîne. 

La société guadeloupéenne ne trouvera pas son salut dans la répression des opprimés et des exilés. Persécuter le peuple, c’est s’associer à la violence de l’Etat. Or c’est en luttant contre cette violence-ci qu’il sera possible d’envisager une transformation politique réelle. Ce n’est malheureusement pas une tâche aisée. La raison en est que l’intégration des normes réactionnaires, déjà bien diffusées et infusées, est favorisée non seulement par les institutions politiques locales et nationales, mais aussi par l’organisation plus générale des rapports de dominations économiques et politiques. La normalisation du racisme n’est pas fondamentalement le fait de quelques députés de la république, ni même des partis qui les défendent, mais de l’institution entre les mains de laquelle réside concrètement le pouvoir politique : le capitalisme.

Pour faire reculer le Rassemblement National, Reconquête, et les autres partis réactionnaires, en Guadeloupe comme ailleurs, il faudra avant toute chose procéder à un travail de subversion radicale des idées politiques. Il faudra proposer des idées et des arguments alternatifs et rationnels. L’ignorance de la philosophie marxienne, la peur même qu’elle inspire, incarnée par ceux qui agitent l’homme de paille soviétique, est un obstacle conséquent à l’émergence d’une contestation populaire réellement oppositionnelle. Car l’opposition d’extrême droite est factice. Elle n’oppose rien à l’ordre capitaliste néolibéral et colonialiste. 

Les réactionnaires prônent une violence illégitime. La violence du peuple contre le peuple. S’il peut y avoir une violence légitime, il faut admettre, avec Fanon, qu’elle ne peut être dirigée que contre les classes dirigeantes. En Guadeloupe, la classe dirigeante porte un nom : les békés. L’institution à son service en porte un autre : l’Etat. Comme de vieux amis, main dans la main, ils sont en marche. Derrière les idées fascistes et racistes en Guadeloupe, le regard avisé distingue, dans un nuage de fumée, en plissant les yeux, le visage trouble de ces deux amis. Entrelacés, entremêlés, ils ricanent. Dissipons le nuage, et il y a fort à parier que racisme et fascisme disparaîtront aussitôt.

Dimitri Lasserre

ccnfirst.COM

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