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Guadeloupe. Social. Contre l’obligation vaccinale une réponse argumentée et juridique

Guadeloupe. Social. Contre l’obligation vaccinale une réponse argumentée et juridique

Pointe à Pitre. Mardi 26 octobre 2021. CCN.  Face à l’obligation vaccinale  et à ses conséquences sur l’emploi des soignants et autres catégories en proie à des  suspensions  d’emplois et autres pertes de salaires Isabelle Faye, juriste  spécialiste  en  droit de travail  propose  des réponses qu’elle a su dénicher dans  une véritable radioscopie du code du travail et un décryptage des  lois françaises : Mode d’emploi à suivre…

La loi n°2021-1040 du 5 aout 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a été validée en grande partie par le conseil constitutionnel.

Il convient dès lors d’analyser les sanctions prévues par la loi promulguée le 5 aout dernier, et plus singulièrement de se pencher sur la sanction relative à la suspension du contrat du travail des salariés soumis à l’obligation vaccinale et qui ne présentent pas les justificatifs requis.

En effet, il résulte des dispositions de l’article 1er II C-1 du chapitre 1er de la loi que : « Lorsqu’un salarié a été soumis à l’obligation prévue aux 1° et 2° du A du présent II ne présente pas les justificatifs, certificats ou résultats dont ces dispositions lui imposent la présentation et s’il ne choisit pas d’utiliser, avec son employeur, des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés, ce dernier lui notifie, par tout moyen, le jour même, la suspension de son contrat de travail. Cette suspension, qui s’accompagne de l’interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que le salarié produit les justificatifs requis.

Lorsque la situation mentionnée au premier alinéa du présent 1 se prolonge au-delà d’une durée équivalente à trois jours travaillés, l’employeur convoque le salarié à un entretien afin d’examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation, notamment les possibilités d’affectation, le cas échéant temporaire, au sein de l’entreprise sur un autre poste non soumis à cette obligation. »

Se pose ici la question de l’application dans la pratique d’une telle sanction par les employeurs, et la question à laquelle il faudra également répondre sera celle de savoir si les salariés disposent de moyens juridiques pour contester la mise en place d’une telle sanction « totalement inédite » en droit du travail.

Le feuilleton juridique s’ouvre après ces premières lignes.

I/ Sur la suppression du contrat de travail du salarié par l’employeur

  • La suppression pure et dure du contrat

Le principe est posé par le premier alinéa de l’article 1er II C-1 du chapitre 1er de la loi du 5 aout qui énonce : « Lorsqu’un salarié a été soumis à l’obligation prévue aux 1° et 2° du A du présent II ne présente pas les justificatifs, certificats ou résultats dont ces dispositions lui imposent la présentation et s’il ne choisit pas d’utiliser, avec son employeur, des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés, ce dernier lui notifie, par tout moyen, le jour même, la suspension de son contrat de travail. Cette suspension, qui s’accompagne de l’interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que le salarié produit les justificatifs requis. »

A la lecture de ce premier aliéna, il appert que la sanction prévue par le texte, qui n’est autre qu’une sanction disciplinaire « camouflée », comme pratiquée classiquement en droit du travail, consiste à suspendre les activités du salarié au sein de l’entreprise et aussi sa rémunération.

Toute la difficulté résidera dans le fait que cette sanction n’est pas limitée dans le temps.

En effet, le texte se contente d’indiquer que la sanction prendra fin dès que le salarié présentera les justificatifs requis.

Or, si le code du travail permet à l’employeur d’appliquer des sanctions visant à écarter le salarié fautif de l’entreprise, encore faut il que ces sanctions soient limitées dans le temps.

A ce sujet, l’employeur peut imposer au salarié une mise à pied dite disciplinaire, ou une mise à pied dite conservatoire.

Sauf que pour ces deux types de sanctions, et comme indiqué supra, la procédure doit être temporaire puisque cela à des effets sur la rémunération du salarié.

Force est de constater, que dans le cadre de l’application du premier alinéa de l’article 1er II C-1 de la loi du 5 aout 2021, le salarié pourrait ne jamais présenter les justificatifs concernant le PASS sanitaire ce qui aurait pour conséquence de le maintenir, sans limite précise, dans une position où il est exclu de l’entreprise.

L’absence de limite de la sanction de suspension du contrat de travail est donc la première carence avérée de ce texte.

On pourrait croire que l’alinéa deux vient corriger cette carence.

Ce qui nous amène à nous intéresser aux tempéraments prévus et « susceptibles » d’apporter une limite circonstancielle à la sanction.

  • Les tempéraments à la sanction

L’alinéa 2 quant à lui indique : « Lorsque la situation mentionnée au premier alinéa du présent 1 se prolonge au-delà d’une durée équivalent à trois jours travaillés, l’employeur convoque le salarié à un entretien afin d’examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation, notamment les possibilités d’affectation, le cas échéant temporaire, au sein de l’entreprise sur un autre poste non soumis à cette obligation. »

Il semblerait donc que cet alinéa apporte une réponse à la condition d’une limite d’application dans le temps de la sanction, puisqu’il mentionne que dans une durée équivalente à trois jours travaillés l’employeur doit convoquer le salarié.

Néanmoins, l’obstacle lié à la suspension du contrat de travail sans délai déterminé n’est pas résolu par ce deuxième alinéa. En effet, le salarié pourra continuer à refuser de régulariser sa situation, et l’employeur ne sera pas forcément en mesure de lui proposer un reclassement.

Par ailleurs, ce type d’exclusion « longue durée » n’est pas envisagé par le code du travail

De ce fait, et dans le cadre d’un éventuel contentieux, le salarié pourra  dénoncer cette absence de limite dans le temps de la sanction prononcée par l’employeur.

De plus, il faut noter que la loi aura pour conséquence, non seulement d’exclure le salarié pour une période indéterminée en le maintenant dans  une situation de précarité. Mais aussi, l’application stricto sensu de la loi l’empêchera d’exercer son droit à l’emploi (par exemple trouver un autre travail), puisqu’il restera pendant cette période contractuellement lié à son employeur malgré son éviction de l’entreprise.

Nous pouvons imaginer que cette privation de liberté née de cette suspension longue durée du contrat de travail sera à l’origine de nombreuses controverses et contentieux juridiques.

II/ L’entrave à la liberté professionnelle et au droit de travailler

  • Une sanction privative de liberté : atteinte au libre exercice d’une profession

La sanction prévue par l’article 1 er II C-1 de la loi du 5 aout 2021 prive incontestablement le salarié de sa liberté professionnelle et de son droit de travailler.

Cette liberté est reconnue aussi bien par les textes en droit interne, que par des textes internationaux et des textes de l’union européenne.

Tout d’abord, le droit à l’emploi est visé par le 5ème alinéa du préambule de la constitution de 1946 (auquel se réfère la constitution du 4 octobre 1958). Ce texte pose le principe fondamental selon lequel « Chacun a le droit de travailler et d’obtenir un emploi. »

Ce principe fondamental permet à tout individu d’avoir le droit de travailler, in fine de pouvoir librement rechercher un travail.

Cependant, la nouvelle sanction découlant de la loi du 5 aout 2021 prive le salarié de ce droit à l’emploi consacré par la constitution.

Assurément, et d’un point de vue purement juridique, la suspension visé par ladite loi n’entraine pas la rupture du contrat de travail. Toutefois, le salarié est « bloqué » dans une relation contractuelle qui ne s’exécute plus normalement, voir qui est « rompue ».

Par conséquent, cette situation paradoxale décrite en amont l’empêche d’exercer toute activité salariée.

S’agissant des textes internationaux, le droit au travail est l’un des droits de l’homme proclamé à l’article 23 de la Déclaration des Nations unies de 1948 : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. »

De plus, le droit au travail fait partie des Droits de l’Homme garantis par la Convention européenne des Droits de l’Homme et la Charte sociale européenne.

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (UE) qui  a été proclamée le 7 décembre 2000, comporte 54 articles consacrant les droits fondamentaux des personnes au sein de l’UE.

C’est le traité de Lisbonne qui a donné à la Charte des droits fondamentaux la même valeur juridique que celle des traités. Elle est donc désormais contraignante pour les États membres et tout citoyen peut s’en prévaloir en cas de non-respect de ces droits par un texte européen.

En son article 15,  la charte des droits fondamentaux de l’union européenne reconnait comme principe fondamental le droit à la liberté professionnelle et au travail : « toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée. »

La liberté professionnelle, consacrée au paragraphe 1 de l’article 15, est reconnue dans la jurisprudence de la cour de justice européenne. (Voir les arrêts du 14 mai 1974, Aff. 4/73, Nold, REC.1974 P.491, points 12 à14 ; arrêt du 13 décembre 1979, Aff.44/79, Hauer, rec . 1979 p.3727 ; arrêt du 08 octobre 1986, Aff.234/85, Keller, rec.1986, 2897, point8).

Par conséquent, la cour européenne de justice peut sanctionner un état membre pour non exécution de la garantie du droit à avoir un travail, comme un droit essentiel des Droits de l’homme, de même nature que le droit à un nom, à une nationalité.

  • Contestation de la sanction

Au regard des éléments développés plus haut,  et en raison du flou juridique construit autour de la notion de suspension projetée par la nouvelle loi, il semble certain que des oppositions existeront entre salariés et employeurs.

  • Les salariés du secteur public

La loi relative à la gestion de la crise sanitaire prévoit pour les agents publics qui travaillent dans certains établissements une obligation de présentation du pass-sanitaire. S’ils ne présentent pas les justificatifs requis, ils s’exposent à  une suspension de leurs fonctions.

Il s’agira d’apprécier les recours dont disposent les salariés contre une telle décision.

Ils pourront bien évidemment saisir le tribunal administratif en référé liberté pour demander au juge de prendre en urgence une mesure nécessaire à la sauvegarde de leurs libertés fondamentales.

Le référé « liberté fondamentale » issu de l’article L.521-2 du code de justice administrative, est une procédure d’urgence qui peut être mise en mouvement quand une action ou une abstention, venant d’une personne morale de droit public ou d’une personne de droit privé délégataire d’un service public, a pu porter « une atteinte grave et manifestement illégale » à une liberté dite fondamentale.

C’est une mesure d’urgence, à laquelle une réponse est donnée normalement sous 48 heures. La procédure est libre, ne nécessite pas le ministère d’avocat, et est bien sûr contradictoire.

De même que pour les salariés du secteur public, les salariés du secteur privé pourront se voir appliquer le même type de sanction.

  • Les salariés du secteur privé

L’article L1121-1 du code du travail dispose : «  Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

En outre, si le salarié s’estime injustement sanctionné il peut saisir le conseil de prud’hommes pour contester sa décision.

Une sanction injustifiée, disproportionnée ou dont la procédure est irrégulière peut être annulée par le Conseil de Prud’hommes (article L. 1333-2 du Code du travail). Le salarié est alors rétabli dans ses droits.

  • Une solution commune : la saisine du juge de l’ordre normatif Européen

Dans le cadre de l’application de la sanction issue de la loi relative à la gestion sanitaire, Une ultime solution peut être envisagée par les salariés, et qui est celle de saisir la cour de justice européenne aux fins de faire valoir le non respect de la liberté professionnelle consacrée par le paragraphe 1 de l’article 15 de la charte des droits fondamentaux de l’union européenne.

A cet égard, il faudra démontrer que la suspension du contrat résultant de l’application de l’article 5 de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire a pour effet d’empêcher une activité professionnelle par le salarié et de facto qu’elle porte atteinte à la substance même du droit consistant au libre exercice d’une activité professionnelle.

Au-delà des contestations liées à l’application de la sanction, ils  pourraient également surgir des contradictions quant à  un éventuel licenciement du salarié récalcitrant.

Nonobstant, et là encore le salarié aura la possibilité de saisir le conseil de prud’hommes pour contester ledit licenciement.

III/ Un probable licenciement sans cause réelle et sérieuse

Dans le cadre d’application de la loi du 5 aout, le salarié est maintenu volontairement par son employeur hors de l’entreprise, l’employeur lui applique une sanction qui perdure dans le temps, et il est dans l’impossibilité de reprendre son activité.

L’article L 1232-1 du Code du Travail dispose que le licenciement doit revêtir une cause réelle et sérieuse pour être justifié. Cependant, il n’explique pas la notion, ne donne pas les conditions à respecter pour que le licenciement soit valable. La jurisprudence est intervenue afin d’éclaircir ce qu’est un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La jurisprudence énonce que la cause doit être réelle, c’est-à-dire qu’elle devra être objective, existante et exacte. Elle doit relever de faits qui se sont réellement passés et non du ressenti de l’employeur.

Le motif du licenciement devant être d’ordre professionnel.

La cause devra être sérieuse. Le caractère sérieux renvoie à un fait commis par le salarié ayant un certain degré de gravité et toujours en lien avec son activité professionnelle.

Le motif du licenciement devra être connu, vrai et vérifié. Il ne pourra s’agir de simples craintes, de supputations voire de défiance. Le salarié devra réellement avoir commis un fait qu’il n’aurait pas dû dans l’exercice de ses fonctions.

Par ailleurs, le licenciement peut être annulé en cas de violation d’une liberté fondamentale.

En l’espèce il est opportun de souligner que le non respect de l’obligation vaccinale ne constitue pas en soi une faute professionnelle justifiant un licenciement pour faute.

Ces licenciements pourraient à l’avenir être dénoncés devant la juridiction prud’homale.

Affaire à suivre…

Isabelle FAYE MARAJO

ccnfirst.COM

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