Pawol Lib (Libre Propos) est une nouvelle rubrique de CCN. Notre rédaction propose donc à tous les progressistes qui le souhaitent un espace de communication, une tribune dont le but principal est de porter une contribution au débat d’idées qui fait cruellement défaut dans notre pays. Les points de vue exprimés dans « Pawol Iib » n’engageront pas nécessairement la ligne éditoriale de CCN mais il nous semble indispensable que les intellectuels, la société civile aient la possibilité de pouvoir très librement opiner dans nos colonnes. Cette fois, c’est Jean Marie Nol, économiste qui nous soumet son billet.
Le conflit en Ukraine plonge l’économie mondiale dans l’incertitude et provoque des perturbations importantes sur l’économie de la France. La hausse des coûts de l’énergie et les perturbations persistantes des chaînes d’approvisionnement, qui seront toutes deux aggravées par la crise ukrainienne, sont des facteurs clés de l’affaiblissement des perspectives économiques.
La Russie est le plus grand fournisseur de gaz et de pétrole de l’UE, et la hausse des coûts de l’énergie se traduit par un renchérissement des transports, ce qui affecte la circulation de toutes sortes de marchandises. L’économie mondiale devrait enregistrer en 2022 un plongeon historique, avec une forte chute du PIB de la zone euro, des Etats-Unis et surtout également de la Chine.
Quant à l’économie de la Guadeloupe, elle est placée actuellement sous le signe de l’inflation et d’Omicron et risque l’embolie. L’IEDOM vient de publier les statistiques de son enquête d’opinion pour le quatrième trimestre 2021, réalisée auprès d’un échantillon de chefs d’entreprises guadeloupéens. Dans cette étude, l’iedom fait état d’une baisse de l’activité économique en Guadeloupe. Selon l’IEDOM les entrepreneurs mettent en cause les mouvements sociaux ainsi que les troubles à l’ordre public constatés lors des évènements liés à l’obligation vaccinale. Si bien que l’indicateur du climat des affaires, l’ICA, qui résume l’évolution de plusieurs variables pertinentes de l’activité, a chuté de plus de 10 points. Et les autres indicateurs ne sont guère plus réjouissants : la consommation des ménages a connu une sensible baisse, l’investissement des entreprises a reculé tout comme les échanges commerciaux.
Depuis la situation a empiré sur le front économique avec la brusque résurgence d’une inflation très élevée, et cela signifie maintenant que les dépenses publiques pourraient diminuer en termes réels, réduisant le niveau des services publics et comprimant les salaires du secteur public.
La flambée des prix énergétiques conjuguée au ralentissement attendu de la conjoncture a remis au goût du jour le concept de stagflation, qui dépeint une situation où l’accélération des prix (inflation) est concomitante avec croissance faible et chômage élevé (stagnation).
Le risque de stagflation en Guadeloupe n’est donc ni une vue de l’esprit, ni une question passagère. Cela peut déclencher une « spirale salaires-prix », où l’on voit chacun et chacune demander des salaires plus élevés pour compenser l’augmentation du coût de la vie. Ce qui obligerait les entreprises à augmenter davantage leurs prix de manière générale pour financer ces mêmes augmentations de salaire.
Depuis deux ans, notre débat économique vit dans la pression de l’urgence Covid, et aujourd’hui dans un présent permanent de guerre Russo-ukrainien, qui masque nos défis structurels de l’après crise sociale de 2009. Aujourd’hui, l’image est celle d’une stagflation qui inquiète les économistes et menace la relance économique en Guadeloupe. Les chocs négatifs du conflit sur l’économie seront vraisemblablement de trois ordres : forte augmentation des prix de l’énergie et des matières premières, réduction de la consommation et affaissement de l’investissement. Après tout aujourd’hui il ne s’agit plus d’augmenter le pouvoir d’achat mais de le préserver?!….« Il faut changer de braquet quand on a le vent dans le dos » : cette citation qui nous vient du milieu du cyclisme, les guadeloupéens qui sont grands amateurs de vélos savent bien ce que cela signifie comme expression.
A vrai dire, il convient de passer à la vitesse supérieure.
La priorité, c’est de donner aux ménages et aux entreprises les moyens de croire en leur avenir, car il y a une mutation économique aussi importante que celle de l’après-guerre. La crise doit être prise comme une chance pour repenser notre modèle de société, notamment la mutation écologique et énergétique. Et de fait, j’appelle de mes vœux une Guadeloupe de l’énergie basée sur la géothermie, le bioéthanol et l’hydrogène vert, et surtout également les nodules polymétalliques. Prenons l’exemple de la mer. Nous aurons, dans les mois à venir, à construire une véritable stratégie car elle est source, non seulement de plaisirs, mais aussi d’économie et de bien-être. Avec les nouvelles technologies, elle peut aussi nous apporter l’électricité et demain, peut-être, être une contribution sûre à l’indépendance énergétique de la Guadeloupe par des productions sans émission de dioxyde de carbone ! Ce sont ces petites avancées cumulées qui permettront de changer notre modèle social et sociétal. C’est là tout à fait possible à l’horizon 2030.
Le principe de réalité en économie devrait s’imposer et ce même si le projet politique n’emballe pas outre mesure, car Il faut donc le dire face aux multiples propositions actuelles de dépenses nouvelles ou d’aides généreuses aux entreprises, et ce sans aucune contrepartie : le pays Guadeloupe n’a plus les moyens de dégrader davantage ses finances publiques. La région Guadeloupe est déjà l’une des régions de France parmi les plus endettées : Au 1er Mars 2022, l’endettement est de 579 millions d’euros et continuera de progresser pour approcher le seuil d’alerte de 10 ans en termes de capacité de désendettement. Cette situation financière dégradée n’est pas à prendre à la légère.
L’État central sera bientôt lui-même confronté à de grandes difficultés budgétaires et ne pourra pas venir à la rescousse de la Guadeloupe comme auparavant en augmentant les dotations et subventions. Ainsi avec une dette publique de l’État français qui approche les 115 % du PIB, l’impératif de « faire mieux avec moins d’argent » s’imposera immanquablement au prochain président de la République. Actuellement, la dette commence à devenir insoutenable, les déficits publics trop élevés, le crédit est distribué d’une manière trop abondante. Les prix augmentent beaucoup trop et les rémunérations progressent trop vite avec l’inflation galopante : et tout cela amoindrit la compétitivité de la France.
La situation dépeinte par la Cour des comptes a en effet de quoi provoquer un sursaut. En deux ans de pandémie, la dette publique s’est gonflée de 560 milliards d’euros et devrait bientôt représenter au total près de 3000 milliards d’euros. En matière d’efficacité de la dépense publique, plusieurs ministères à l’instar du ministère de l’outre-mer, pourront même servir de contre-exemples, notamment parmi ceux qui n’ont pas été mis à la diète durant le quinquennat Macron. Dans cette optique de chasse aux coûts, la Guadeloupe ne sera pas épargnée par une diminution des transferts financiers en provenance de l’État et de l’Europe. Par ailleurs, le ralentissement du dynamisme des recettes des collectivités locales devrait en partie être contrebalancé par la maîtrise des dépenses de fonctionnement. Mais attention, en cas de futur plan de rigueur, il y aura un aspect inédit, car on peut d’ores et déjà subodorer qu’effectivement le prochain président privilégiera les réductions de dépenses, et sans hausse d’impôts et taxes mais cela concernera les impôts locaux qui eux vont vraisemblablement augmenter sensiblement lors du prochain quinquennat.
Face à une situation par nature mouvante qui dépend de la situation épidémique et du conflit Russo-ukrainien, avancer des prévisions chiffrées est forcément un exercice difficile. Mais selon nos projections, le futur plan de rigueur concernera simultanément plusieurs fronts de la dépense publique : 60 milliards d’euros d’économies pour l’Etat , 30 pour les collectivités locales, 25 pour l’Assurance maladie.
Un changement est donc nécessaire, qui touche à la fois notre modèle de société et notre modèle économique et social. Ce changement doit viser le nécessaire découplage entre la croissance économique et l’épuisement de la ressource financière : c’est bien cela l’objectif ultime de l’économie sociale et solidaire. Ceci étant dit, toutes autres choses égales par ailleurs, si on investit plus, il faut consommer moins et ce n’est pas sûr que tout le monde soit d’accord sur ce principe. Mais, l’essentiel est de persuader les guadeloupéens qu’il faut que notre tissu économique puisse se développer à l’abri des prédateurs.
La situation demain sera plus grave, et en même temps la Guadeloupe a du ressort. Cette complexité s’accentue pour les collectivités locales qui sont confrontées au double phénomène de croissance des besoins sociaux et de diminution des ressources financières notamment publiques, pour y répondre. Après l’élection présidentielle, le gouvernement n’augmentera pas les impôts sur le revenu, mais devrait rompre avec la politique de relance de type keynésienne et de soutien à la demande. Mais ne nous y trompons pas, ce sont bien les impôts locaux qui vont sensiblement augmenter progressivement sur l’ensemble des territoires y compris d’outre-mer.
A ce sujet, nous sommes bien en présence d’un phénomène d’acmé. Les élus guadeloupéens ne doivent pas désespérer de leur capacité à surmonter la crise. Pour faire face, il faut changer de braquet. Il faut persévérer à changer le modèle économique et social, et il faut accélérer à changer les règles de la demande keynésienne héritées de la départementalisation.
A notre sens, les responsables politiques et économiques devaient envisager une politique contracyclique qui se donnerait donc pour objectif de relancer une économie au moment où celle-ci est au ralenti. On a aujourd’hui un marché de l’emploi qui fonctionne mal en Guadeloupe. Il faudrait plus de souplesse, plus de flexibilité. Par ailleurs, nous avons plus que jamais besoin d’une économie innovante, environnementalement et socialement soutenable, qui régule les monopoles, qui taxe moins au niveau des impôts locaux, et qui éduque et soigne convenablement les citoyens. Nul doute qu’après la pandémie de Covid 19, le conflit en Ukraine va augmenter « de façon substantielle » les risques pour l’économie Guadeloupéenne.
En cause : un emballement de l’inflation, qui pourrait peser très fortement sur la croissance. Le risque de récession est loin d’être négligeable. Néanmoins, il est trop tôt pour établir un scénario aussi redoutable, car la situation est encore pleine de fortes incertitudes. Le ralentissement de l’économie ne va faire selon moi qu’aggraver nos maux. Des mesures d’exception s’imposent. Pour autant, il faut dès à présent tenter de concilier efficacité économique, progrès social et équilibre écologique …
En ce sens, la crise doit être un levier pour inventer un nouveau modèle économique et repenser notre modèle de société.
” Jou malè pa ni pran gad “
Jean Marie Nol économiste