Lutte contre la vie chère Outre-mer. Episode 66 (série en cours)
C Vu de la Guadeloupe
La chronique d’Olivier Nicolas
La chronique d’Olivier Nicolas
Basse-Terre-Capitale. Lundi 12 décembre 2022. CCN. On commence à être habitué aux effets « bande annonce » du ministre délégué aux Outre-mer. Adepte du « vous allez voir ce que vous allez voir » dès qu’il en a l’occasion, notre ancien préfet Jean-François Carenco nous avait déjà fait le coup en annonçant en septembre qu’une solution serait rapidement trouvée avec ses vieilles connaissances de l’UGTG pour les personnels suspendus. Las. Rebelote il y a 10 jours, à l’Assemblée nationale, il annonçait « une bonne surprise » en matière de lutte contre les prix élevés dans les Outre-mer, créant un suspense à peine respirable avant les annonces de son « Oudinot de la vie chère ». Malheureusement dans les deux cas, à l’arrivée : beaucoup de mousse mais assez peu de chocolat.
1/ Suspendus : La France le seul pays d’Europe rigide sur cette question….
Sur les suspendus, l’affaire n’est toujours pas réglée. Ce sont encore deux jusqu’au-boutismes qui se font face, entre ceux qui font croire en une illusoire réintégration sans condition, avec paiement des arriérés de salaires ; et ceux qui persistent à faire de la France le seul pays d’Europe rigide sur cette question, quand d’autres ont fini par trouver des solutions dont il serait utile de s’inspirer pour en finir, d’une façon ou d’une autre, avec ces suspensions ad vitam.
Sur la vie chère, c’est en réalité la même chose. Derrière le grand bruit des annonces, ce Gouvernement reste enfermé dans sa logique – libérale celle-ci – qui le conduit à traiter les conséquences de la vie chère, sans s’attaquer à ses véritables causes.
2/ Pouvoir d’achat : Hélas tout flambe !
On ne devrait pas faire la fine bouche en notant que c’est un dispositif prévu dans la loi Lurel de régulation économique Outre-mer de 2013 – le bouclier qualité prix (BQP) – qui est au coeur des annonces gouvernementales. Il en est même le seul élément à peu près consistant, au-delà des aides alimentaires d’urgence débloquées pour chaque territoire. Mais, à l’évidence, renforcer le BQP initié par une loi socialiste ne suffit pas à changer la philosophie profonde de ce Gouvernement. Celui-ci ne mise, en effet, que sur la négociation avec les importateurs et les distributeurs opérant dans les Outre-mer pour espérer des baisses de prix, au moment où hélas tout flambe partout et que les marges de négociation apparaissent bien minces pour obtenir des résultats tangibles.
Le problème que pose cet « Oudinot du pouvoir d’achat » est cependant plus profond. Quitte à s’inspirer de loi de régulation de 2013, le Gouvernement aurait dû en reprendre toute la philosophie et tous les outils. Ce texte marquait une rupture dans les stratégies de lutte contre la vie chère mises en oeuvre jusque là. Il affirmait comme principe que, sans régulation par les pouvoirs publics, les économies des Outre-mer ne pouvaient que produire des prix élevés et, de manière connexe, des profits indus captés par une minorité d’acteurs économiques. C’est pourquoi, au-delà du BQP qui était son versant de régulation soft de court et moyen termes, cette loi proposait dans le même temps de s’attaquer de front à des problématiques majeures de plus long terme telles que les phénomènes d’intégration verticale des chaînes d’approvisionnement et de concentration horizontale de la distribution, les pratiques anti-concurrentielles comme les exclusivités de marques, les ententes entre acteurs pour maintenir un niveau élevé des prix ou encore les marges cachées qui bénéficient indûment à la multitude d’acteurs intervenant dans l’import-export et dans les marché de gros outre-mer…
Il s’agissait, dans une logique d’interventionnisme assumé – de dirigisme diront ses détracteurs qui sentaient leur rente menacée – de concentrer l’action des pouvoirs publics sur les dysfonctionnements qui perdurent dans nos économies depuis des décennies pour ne pas dire depuis toujours. La boîte à outils ainsi créée devait servir à l’Etat, à l’Autorité de la concurrence, mais aussi aux collectivités locales pour, dans certains cas, favoriser la concurrence entravée sur nos territoires pour entraîner des baisses de prix. Dans d’autres cas, dans les secteurs structurellement à faible concurrence, elle devait permettre d’encadrer plus fermement les oligopoles et les monopoles en contrepartie de leur position dominante. Ce fut le cas, par exemple, avec le plafonnement des profits de la SARA qui avait permis, à partir de 2013, de faire baisser la structure du prix des carburants dans les DROM d’une dizaine de centimes à la pompe en rendant ainsi aux automobilistes des dizaines de millions d’euros de pouvoir d’achat qui seraient restés dans les poches profondes des pétroliers.
C’est la voie qu’il fallait continuer de suivre. Mais, en définitive, la loi de régulation et ses outils n’ont jamais pu être totalement déployés. Cela supposait, pour atteindre l’objectif, une volonté politique forte et durable qui fait clairement défaut depuis 2017, aussi bien au sommet de l’Etat qu’au niveau local. Ainsi, le texte donnait aux régions la possibilité de saisir l’Autorité de la concurrence pour toute affaire de pratiques anticoncurrentielles. Pas une ne l’a fait. Et pas davantage la Région Guadeloupe qu’une autre. Il faut lire le rapport d’information de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale sur le coût de la vie dans nos territoires qui faisait, en 2020, le triste et édifiant constat de ce renoncement à agir. (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/om/l15b3638_rapport-information#_Toc256000010).
Il est donc clair qu’en dépit de sa bande annonce ronflante, « l’Oudinot du pouvoir d’achat » du ministre Carenco ne comporte aucune avancée sur ce terrain. Rien qui indiquerait un changement de logique du même Gouvernement qui préfère négocier avec Total ou CMA-CGM une ristourne temporaire (inappliquée chez nous), plutôt que de taxer les superprofits de ces entreprises qui ne connaissent pas la crise. Soyons sûrs, qu’avec un mauvais scénario qui piétine de la sorte, le feuilleton de la lutte irrésolue contre la vie chère est appelée à connaître bien d’autres épisodes.
O.N.
La ristourne temporaire de CMA-GGM est bien appliquée en Guadeloupe.
Elle est de 750€ pour un TC 40′ et 375 € pour un TC 20′.
Elle reste applicable pour l’instant , jusqu’au 30 Avril 2023.