Crise : Pourquoi faut-il changer le modèle économique et social de la Guadeloupe, et non ses institutions ? (2)
Tout simplement parce que le poids du secteur agricole dans les économies – du Nord comme du Sud – n’a cessé de diminuer depuis deux siècles. Aujourd’hui, l’agriculture ne représente plus que 20 % du PIB dans les pays à bas revenus, 10 % dans les pays intermédiaires et 2 % dans les pays à hauts revenus. La part des agriculteurs dans la population active ne dépasse 28 % que dans les pays à bas revenus. En Guadeloupe, cette part est de 3%. Et pour la Martinique, c’est sensiblement la même situation. Le mouvement d’ensemble est général : en transférant leurs ressources (en main-d’œuvre et en capital) vers l’industrie, puis le tertiaire, un cycle vertueux de croissance a pu être engendré. En augmentant la richesse, mais également en veillant à sa répartition entre individus, les pays se sont dès lors développés non à partir de l’agriculture mais de l’industrie et maintenant avec les services et les nouvelles technologies . Ainsi, l’agriculture n’est plus considérée par les économistes comme un élément majeur dans la modification et l’amélioration des richesses d’un pays. De plus, les règles du commerce international ont changé ; l’ère de la libéralisation prône un commerce fondé sur les avantages comparatifs. Le mouvement d’ensemble général est alors remis en cause et l’idéologie selon laquelle l’agriculture est le moteur du développement est contestée maintenant par la quasi totalité des économistes du développement. D’ailleurs, dans notre environnement proche de la Caraïbe, quasiment plus aucun pays ne mise sur l’agriculture comme moteur de développement et création de richesse. C’est le tourisme qui a pris le relais des vieilles cultures coloniales d’antan. Pour autant, il n’est pas question de n’avoir plus de développement agricole dans les pays émergents , mais au contraire de veiller à une production essentiellement basée sur les besoins alimentaires de la population autochtone des îles de la Caraïbe. Pour ce qui concerne spécifiquement la Guadeloupe et la Martinique, il faudrait plutôt envisager un retour aux jardins créoles. Pourtant, on ne peut nier que partout dans la Caraïbe, cette production agricole endogène s’avère marginale, car la plupart de ces pays importent encore entre 70 % à plus de 90% de leurs besoins alimentaires locaux.
Par ailleurs, dans le contexte de recrudescence d’une demande de responsabilité locale accrue , il est intéressant d’analyser comment s’est réalisée à la Guadeloupe , la croissance économique. Au moment de la départementalisation, tous les acteurs économiques et politiques croient que l’injection de l’argent public suffirait pour susciter une demande et une production, puis par effet boule de neige, aboutirait à une croissance auto-entretenue. On est là en présence du schéma type du multiplicateur Keynésien très à la mode dans les années 50-60.
Dépenses de fonctionnement, rémunérations des fonctionnaires augmentées de 40% , investissements, prestations et aides sociales, toute les panoplies des transferts publics y passeront. En réalité le mécanisme de croissance alimenté par la demande a très bien fonctionné ( élévation notable du niveau de vie , nouvelles infrastructures modernes , et donc progrès social incontestable ) ), mais
l’appareil productif plombé par l’économie de plantation et de comptoir n’étant pas prêt, le processus cumulatif attendu ne s’est pas opéré. Ce qui constitue le moteur de l’économie de la Guadeloupe , c’est l’importance de la consommation finale des ménages. Cette consommation est très supérieure à la production marchande locale, et à noter que cela peut être observé de plus en plus dans une économie moderne dite développée.
En réalité c’est la structure même de cette économie qui dès le départ allait fausser les postulats du théorème keynésien.
La Guadeloupe, tout comme la Martinique, présente en effet les caractéristiques des économies sous-développés. L’essentiel des terres arables dans ces départements est occupé par la canne à sucre, le melon et la banane destinées à l’exportation. Le secteur agricole ne peut faire face à une demande accrue de produits agricoles et alimentaires car la diversification est encore balbutiante. Les structures foncières (vieillissement et taille des exploitations), la multiplication des intermédiaires, et en dépit du subventionnement important par l’Europe de produits agricoles ou de certaines filières
(canne, banane, melon, ananas, culture maraîchère, élevage), les intempéries climatiques et d’ailleurs aussi économiques ( inflation du prix des intrants) vont constituer- sauf rares exceptions des embûches sur le chemin de l’auto-suffisance alimentaire.
Le problème de la faiblesse de la production locale en Guadeloupe n’est pas un problème de statut comme certains voudraient nous le faire croire.
Toutefois, la politique de parité sociale engagée lors de la départementalisation -à juste titre- entre la France Métropolitaine et la Guadeloupe ne permet pas à cette dernière d’être compétitive avec des pays de latitude comparable dans le monde, voire dans la Caraïbe.
Le principal défaut des productions locales, c’est qu’elles sont très chères comparées aux importations et ce en raison de coûts salariaux entraînant mécaniquement un coût du production trop élevé. Et ce facteur est rédhibitoire et donc interdit toute création de richesse sur le territoire de la Guadeloupe à partir de l’agriculture.
La production locale a été anesthésiée jusqu’ici par une productivité insuffisante et par un coût salarial trop lourd à supporter pour les entreprises du secteur agricole et touristique, et ce en dépit des aides publiques, et la courbe ne pourra manifestement pas s’inverser par un simple changement de statut d’autonomie.
( Au total, le montant des aides agricoles versées à la Guadeloupe a crû de 68 % entre 2008 et 2021, passant de 370 M€ à 979 M€ sans aucun résultat tangible). L’exemple de l’île de marie galante peut être considéré comme un raccourci à petite échelle de la situation en Guadeloupe proprement dite, car une étude de l’Insee montre que la part de l’agriculture dans les emplois à Marie-Galante est passée de 45 % en 1982 à 6 % en 2021. C’est là une preuve tangible du déclin inéluctable de l’économie agricole.
Un constat d’échec patent de la production locale, alors reste à inventer un nouveau modèle économique que nous qualifions d’exogène car basée sur les ressources minières, le progrès technique et le secteur de l’énergie et des services !
Quand on évoque ce que pourrait être l’économie de la Guadeloupe, inexorablement on pense au tourisme vert, à l’industrie agro alimentaire et à l’exportation vers la zone Caraïbe. Mais en réalité, il est des secteurs extrêmement stratégiques telles que les technologies de l’information et de la communication.
Les TIC permettent à des petits pays comme les nôtres de transformer radicalement les modalités de production, de livraison, de vente et d’achat de biens et services.
Elles mettent en relation, par la connectivité numérique, un nombre croissant de personnes et d’entreprises, prêtes à participer à l’économie du savoir et à la promotion d’une nouvelle vision du développement culturel avec la création d’un unique musée de l’histoire de la Guadeloupe, voire à y contribuer. L’utilisation d’Internet bien que problématique pour les commerces de proximité permet aux acteurs relativement défavorisés par l’exiguïté du marché local et l’insularité — par exemple, des petites entreprises — d’entrer dans l’économie mondiale, en leur donnant accès à de l’information, à des communications et à un savoir technologique qui étaient auparavant hors de leur portée. C’est pourquoi les politiques doivent gérer les transformations structurelles associées à ces évolutions avec une autre vision du développement que celle basée sur le fonctionnariat, l’agriculture et le tourisme .
Une fois le constat établi, alors que pouvons-nous faire ? Une fois de plus n’hésitons pas à ruer dans les brancards de la bien – pensance et à remettre les choses en place. C’est désormais une obligation que de sortir des sentiers battus qui ont trop souvent cours en Guadeloupe. Il faut en finir avec cette fable de l’autosuffisance alimentaire et du piège du gouvernement français que recèle la notion de développement endogène et de responsabilités élargies des compétences sans aucun nouveau transfert financier. Comme disait en son temps un homme politique de Guadeloupe, l’autonomie politique axé sur le développement endogène c’est « d’émerdez vous avec vos propres moyens financiers ». Pour moi, il faut nécessairement inverser le processus de développement et pour ce faire il convient selon la logique de promouvoir un nouveau modèle économique et social basée sur l’agro-transformation alimentaire. En d’autres termes, ne plus investir à perte dans un secteur à faible valeur ajoutée comme l’agriculture, mais importer des denrées agricole dans les pays à bas coût de main d’œuvre et transformer ces produits en Guadeloupe dans des industries agro-alimentaire. Par ailleurs, compte tenu du réchauffement climatique et de l’urgence de protéger notre fragile biodiversité, il convient de bifurquer vers des plantations de plantes de Sisal , et reboiser les terres chloredéconnés de manière à créer une véritable filière agroalimentaire et sylvicole.
La liberté et la responsabilité dans la pauvreté et la pénurie, cela ne marche pas.
On le voit bien aujourd’hui à travers la lecture du dernier sondage Qualistat de juillet 2019 : les Guadeloupéens n’ont aucune confiance dans le pouvoir local des élus, en particulier pour les décisions de promotion de l’économie locale ou de modulation de la vie chère. A tel point que beaucoup préfèrent s’en remettre à l’état Français , dont chacunconnaît pourtant les limites. Cette confiance dans la gouvernance locale, clé de voûte du changement statutaire, ne pourra se construire que progressivement, avec force pédagogie, d’une part en donnant aux institutions actuelles des moyens pour développer des projets et non de la pénurie à répartir (pas facile de construire de la confiance dans ces conditions), d’autre part, en réfléchissant soigneusement à la structure des contre-pouvoirs (conservation en l’état actuel des deux assemblées région et département) au sein des institutions pour éviter le syndrome de la grenouille .
Au delà de la force incontestable de l’assimilation qu’il serait tout à fait problématique de nier, et du risque en gestation de paupérisation des guadeloupéens (avec la flambée inflationniste et l’émergence des nouvelles technologies comme internet, la révolution numérique et l’intelligence artificielle ) , en voulant inverser le processus, si on se place dans la conjoncture économique Française dégradée où les finances publiques sont au plus mal au point de gommer toute perspective de retour de la croissance forte des trente glorieuses . En fait, je ne vois pas bien , comment des îles sans véritables ressources propres comme la Guadeloupe et la Martinique pourraient vivre mieux avec plus de compétences locales , mais moins de recettes et plus de dépenses , et dans le même temps supporter une baisse inéluctable des moyens financiers en provenance de l’État ?
Ce qui se conçoit bien est porteur d’espérance et non de désespoir…. « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise…. Jean Monnet « ….là est notre crédo pour une mise en garde sur le changement des institutions , et c’est pour ces motifs que nous devons de nouveau méditer cet adage suivant :» Le pessimiste se plaint du vent ; l’ optimiste espère qu’il va changer ; le réaliste ajuste ses voiles ».
Jean Marie Nol économiste