Sommes-nous Européens ou Caribéens ?
C’est une question qui ne devrait même pas être posée, car la Guadeloupe, la Martinique (tout comme La Dominique, Sainte-Lucie ou Saint-Kitts) sont géographiquement, humainement et culturellement des nations (sans États pour la Guadeloupe et la Martinique) de la Caraïbe. Mais du fait de leur hyperdépendance politique et administrative en France, on les considère en 2024 comme des “Régions Ultrapériphériques de l’Europe” (RUP). Donc nous sommes des Européens, wow !
Cette pseudo-identité européenne qu’on nous attribue ne fait même pas sourire. Tous ces hommes politiques vous expliquent, chiffres à l’appui, que sans l’argent des fonds européens nous serions à la rue : plus de routes, plus d’hôpitaux, plus de lycées, etc.
Il y a de cela un peu plus d’une trentaine d’années, quand on voulait nous persuader que nous étions de “vrais Français”, toujours sans rire, on nous enseignait à l’école que nos ancêtres étaient des “Gaulois”.
Au fil des ans, et de la profusion de ces fonds européens, notre peuple est invité à participer aux élections européennes, et cela ne choque plus personne. En d’autres termes, grâce aux fonds européens, nous avons été “achetés et vendus”. Quelle bêtise !
Mais ce que ne disent pas nos politiques, c’est qu’il n’est nul besoin d’être colonisé ou dépendant d’une nation européenne pour bénéficier des aides de l’UE. Prenons le cas du Fonds européen de développement (FED) : il est né avec la Communauté économique européenne, largement à l’initiative de la France qui y voyait l’instrument d’une politique commune d’aide au développement des territoires colonisés accédant à l’indépendance. Au cours des décennies écoulées, le FED s’est imposé comme le mécanisme financier d’une coopération politiquement organisée dans le cadre de conventions signées par les Européens et leurs partenaires d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). En clair, cela signifie que l’Europe peut signer des accords de coopération ou d’aides avec des pays qui ne sont pas sous domination.
Tant que la Guadeloupe sera sous la tutelle coloniale française, nous serons les “Européens” de la Caraïbe. Cela est d’une extrême gravité au plan de l’identité, car le Guadeloupéen voit partout flotter à la fois le drapeau de l’Europe et le drapeau tricolore français, et se retrouve presque sans repères. Cette imposition voulue d’une pseudo-identité franco-européenne a pour conséquence d’éloigner mentalement le Guadeloupéen de sa Caraïbe. Il n’est donc pas rare d’entendre des Guadeloupéens ou des Martiniquais se rendant à Trinidad, Barbade ou Sainte-Lucie affirmer le plus sérieusement du monde : “je vais en vacances, ou en voyage dans la Caraïbe”. (sic)
Autrement dit, Fort-de-France ou Basse-Terre (Guadeloupe) ne sont pas des villes de la Caraïbe. Dans le processus de dépersonnalisation qui s’est progressivement opéré, nous sommes devenus totalement étrangers à notre région naturelle. C’est cela la réalité quotidienne que nous vivons et c’est sans doute le prix à payer quand on “bénéficie” (?) des fonds européens.
Comment nous réinstaller dans notre région naturelle ? Cela devrait débuter à l’école. Nos enseignants ont-ils une vision Caraïbe ? Sont-ils en mesure de transmettre aux élèves dès le primaire la géographie et l’histoire de ces îles ? Tout aussi grave, les politiques, les universitaires, les journalistes peuvent eux aussi rectifier le tir et cesser d’utiliser le vocabulaire colonial qui nous éloigne encore davantage de notre Caraïbe : l’outre-mer, les ultramarins. Comment des gens qu’on pourrait considérer comme nos “élites” en sont encore à ce stade primaire du langage ?
Et on s’en rend bien compte que la France met tout en œuvre, et très subtilement, pour enfoncer sous nos têtes crépues ou pas que nous sommes de vrais Français. Ainsi, les J.O. ont été le grand moment choisi : Perec et Riner, deux Guadeloupéens, afro-descendants, allumant la flamme olympique à Paris, une autre Guadeloupéenne chantant la Marseillaise. Trop, c’est trop !
Bien entendu, pour la classe politique néo-assimilationniste et francophile, ce spectacle est la preuve que la Guadeloupe est une terre de champions. Mais de l’assimilationnisme. En résumé, le chantier est grand ouvert : oui, nous sommes des Caribéens, mais encore faut-il quitter l’incantation et vivre en Caribéens. Hold on, hasta la victoria, nou ké rivé !
Analyse pertinente et éclairée. Toutefois le sentiment “d’être” caraibeens ne peut aller de soit, quand le formatage institutionnel et séculaire est savamment entretenu !
L’enseignant n’applique pas sa PROPRE feuille de route en territoire colonisé ! Même quand le programme est assimilasioniste, les élèves issus des DROM ont 25% de chance en moins de trouver un emploi !
En matière de commerce, de culture d’échange avec nos voisins de la Caraïbes, qu’avons nous comme marqueurs ?
Une identité est le fruit d’une construction culturelle. Sa pérennité dépend de sa “nourriture” historique et sa vitalité ambiante ! Où en sommes nous ?