C Vu de Guadeloupe
Basse-Terre. Capitale. Lundi 28 novembre 2022. CCN. Chaque semaine, Olivier Nicolas, patron de la Fédération du PS en Guadeloupe propose à CCN dans “C Vu de la Guadeloupe”, son décryptage de l’actualité.
Du décalage entre le dire et le faire. De l’orgueil et de la lucidité. Parmi toutes les raisons pouvant expliquer la méfiance des citoyens envers la politique et leurs défiance à l’égard d’une grande partie de leurs élus, le décalage entre le « dire » et le « faire » arrive assurément tout en haut de la liste. Cette situation n’est certes pas spécifique à la Guadeloupe et touche la plupart des démocraties. Mais, chez nous elle y atteint des sommets, comme le montre la récente étude de l’INSEE qui établit que c’est dans les Outre-mer que l’on vote le moins aux élections. Proclamer que l’on est en politique « pour servir et non se servir » est un beau slogan, dont la crédibilité s’effondre hélas devant la litanie des soupçons et des évidences de comportements peu conformes à la probité que nous voyons devant nous. Détournements de fonds publics, concussions, prises illégales d’intérêt et autres financements douteux de campagnes électorales sont autant de coups de boutoir qui font très mal à la politique depuis trop longtemps, quand bien même ils ne seraient le fait que de quelques uns.
S’engager à faire de la politique autrement dans le respect des adversaires en campagne et de la minorité une fois aux responsabilités, est aussi une belle promesse. Mais celle-ci ne tient plus guère lorsque, dans les faits, on brime ou on intimide par ci, on injurie par là, et surtout quand on agit comme si, une fois élu, on ne devait plus rendre compte de rien à personne jusqu’à la prochaine élection. Alors qu’être élu, ce n’est pas recevoir un chèque en blanc pendant 5 ou 6 ans.
C’est au contraire accepter l’évaluation permanente de ses actions par d’autres : l’opinion, les médias, mais également la minorité, elle aussi élue. C’est même s’auto-évaluer pour éventuellement corriger ce qui ne marche pas, parfois depuis des décennies, et que pourtant on continue de faire comme avant. La politique chez nous a souffert et souffre encore de ces comportements-là qu’il faut changer. Un autre exemple de ce décalage entre le dire et le faire, sans doute le plus violent et celui qui sème le plus de désespérance dans notre population, c’est celui qui confronte les postures réclamant et promettant « davantage de responsabilités locales » pour demain avec les terribles réalités de l’impuissance publique que nous ressentons, toutes et tous, lourdement aujourd’hui. La feuille de route imposée par le Gouvernement à la Région, au Département et au Syndicat mixte de (non) gestion de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe, qui l’ont signée à Paris sans jamais la mettre en débat devant aucune instance démocratique, relève assurément de ces moments symboliques qui achèvent de tuer la crédibilité de la parole politique. Bien que ses signataires aient tout fait pour minimiser la portée réelle de ce document en l’enrobant d’une communication sur le mode « dormez tranquille, ça va bien se passer », cette feuille de route n’est ni plus ni moins qu’une gifle à la face de ceux qui, depuis 5 ans, ont promis sur tous les tons la fin prochaine de la crise de l’eau Ainsi, la plus ancienne compétence locale – l’eau potable et l’assainissement – a été reprise en main par l’Etat, signant par là l’échec cuisant du pilotage du SMGEAG pourtant assuré dès son origine par la Région, le Département et le Gouvernement, qui ne l’oublions pas l’a créé depuis Paris avec une loi. Mais, le pire, dans cette humiliation, c’est que le Gouvernement a repris la main en évitant soigneusement de prendre des engagements financiers précis sur un plan pluriannuel de financement des travaux à la hauteur des enjeux qui sont désormais bien connus : 1 milliard d’euros pour l’eau potable et 1 milliard pour l’assainissement. De l’art de perdre sur tous les tableaux…
Dès lors, dans un tel contexte, comment aborder le débat qui s’ouvre à nouveau sur une éventuelle évolution de la gouvernance de la Guadeloupe ? Comment avancer vers des changements que tout le monde estime nécessaires, mais que notre population ne peut que redouter au vu de ces défaillances en série sur l’eau, sur les transports, sur les déchets, sans même évoquer d’autres compétences non locales comme la santé ou l’éducation ? Dans une audition au Sénat, il y a quelques jours, le président autonomiste de l’exécutif de la Collectivité de Martinique Serge LETCHIMY a bien mesuré le danger de ce grand écart récurrent entre le dire et le faire sur toutes ces questions. Il s’est en effet permis une diatribe en vérité assez cruelle pour ses homologues de Guadeloupe : « Moi je veux la responsabilité. Je ne supporte pas qu’on me dise que l’Etat va régler le problème de l’eau pour moi. Ne serait-ce que dire ça, ça m’exaspère ! Un problème aussi primaire et élémentaire… Si vous n’êtes pas capable de régler le problème de l’eau dans votre pays, c’est pas la peine, démissionnez ! ». Certains diront surement : « mais de quoi il se mêle ? ».
D’autres admettront sans doute qu’il a pour nous l’orgueil et la lucidité que nous avons un peu perdus et qu’il nous faut d’urgence retrouver collectivement.
O.N.
Olivier Nicolas a un regard très pertinent sur la Guadeloupe, il est un espoir pour le progrès, c’est certain qu’il faut compter sur lui pour l’avenir.
A écouter et réécouter sans modération.