
Guadeloupe. Cinéma. Fanon : Encore un grand film d’un réalisateur Gwadloupéyen
Pointe à Pitre. Vendredi 28 mars 2025. CCN. Alors que le ZION de N. Foix cartonne et enchante les spectateurs de la Gwadloup et d’ailleurs voilà que Jean Claude Barny et son film “Fanon” arrivent sur les écrans. Encore une œuvre magistrale, eque de qualité, à la fois par le sujet traité : Frantz Fanon- et par la réalisation.
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1/ L’analyse de Barbara Zandwonis :
Remarquable, profondément politique, anticolonialiste et antiraciste : voilà comment résumer le dernier film de Jean-Claude Barny. Lors de l’avant-première qui s’est déroulée hier soir à l’UGC Châtelet-Les Halles, j’ai eu l’occasion de découvrir cette œuvre puissante, qui scrute l’essence de la pensée de Frantz Fanon. Un film qui résonne avec une intensité d’autant plus frappante en cette époque où la pensée extrémiste s’installe au cœur du discours politique mondial.
Le réalisateur parvient avec une justesse saisissante à restituer la pensée de Frantz Fanon, dans toute sa complexité. Non pas par des flashbacks classiques, mais à travers des dialogues ciselés, qui dévoilent la construction de sa réflexion, principalement façonnée en Martinique, l’île natale de Fanon. Là, il observe avec amertume que son peuple, « malgré toutes les humiliations », semble vouloir rester « encore français ». Mais c’est au contact de la déshumanisation systémique en Algérie, lors de la guerre d’indépendance, que sa pensée se radicalise. Une radicalité qui, loin d’être un rejet pur et simple, s’ancre dans une forme d’humanisme profondément ancrée dans la dignité humaine.
Jean-Claude Barny illustre cette dualité de façon saisissante, notamment à travers une scène poignante où Fanon, chef de service à l’Hôpital psychiatrique de Blida, soigne l’un des commandants responsables des tortures infligées aux résistants algériens. En un instant, tout est dit. Ce geste d’une force symbolique inouïe, qui exprime avec clarté l’une des idées maîtresses de Fanon : l’aliénation n’est pas l’apanage du colonisé, mais aussi du colon, tous deux pris dans une mécanique implacable qui aliène leurs âmes et les broie. Une réflexion qui irrigue tout le film.
Alexandre Bouyer, dans le rôle de Frantz Fanon, livre une performance d’une intensité rare. Ce n’est pas simplement une interprétation, mais une véritable incarnation, au point qu’on en vient à se demander si ce n’est pas Fanon lui-même qui se tient devant nous. L’acteur parvient à capturer toute la force de l’engagement de Fanon, non seulement par la justesse de son jeu, mais aussi par une présence à l’écran et un charisme déroutant qui nous saisissent dès les premières minutes.
Au-delà d’une mise en scène soignée et d’une photographie qui sublime chaque plan, Fanon est avant tout une immersion dans une pensée en mouvement, une force d’engagement qui dépasse les frontières ethniques ou religieuses pour nous ramener à l’essentiel : notre humanité.
Jean-Claude Barny, avec cette œuvre, atteint la maîtrise absolue de son art. Un film qui résonne aujourd’hui avec une rare acuité, dans un monde où les fractures sociales et raciales se multiplient.
BZ.
2/ L’interview de Jean-Claude Barny
Paris/Pointe à Pitre. Vendredi 28 mars 2025.CCN. Fanon de Jean Claude Barny, réalisateur Afro Gwadloupéyen, deviendra à n’en pas douter une œuvre référentielle, sur la vie ce militant et ce théoricien de l’anticolonialiste qu’a été Frantz Fanon.
Jean Claude Barny réalise là une oeuvre majeure au moment même ou plusieurs ex néo colonies de la Françafrique se débarrassent de la présence française. Barny qui est afro Gwadloupéyen adresse aussi un message très clair aux peuples des dernières colonies françaises que sont Gwadloup, la Martinique la Guyane;la Kanaky; Regardez ce film puis relisez Fanon, prenez dans ces ouvrages, encore d’actualité, ce qu’il faut pour vous libérer de la domination coloniale.
En ce sens que ce film est à voir d’urgence !
CCN. Pourquoi ce film sur Fanon ? Quelle a été la motivation ? Est-ce un docu ou un biopic ?
Jean Claude Barny : La motivation derrière ce film sur Fanon est de mettre en lumière son héritage et son impact sur la lutte contre le colonialisme. Le film est un véritable biopic, offrant à la fois des éléments factuels et une représentation dramatique de sa vie.
Je poursuis une thématique à travers mes œuvres cinématographiques depuis mon premier court-métrage, sur notre parcours, nos luttes, notre société antillaise. Fanon à la fois clôture mes œuvres et ouvre de nouveaux travaux en tant que cinéaste.
Ma rencontre à mes 17 ans avec Fanon à travers son livre éponyme “Peau noire, masques blancs » a été déterminante. Ce livre, lu et reconnu majoritairement par les intellectuels et les camarades des partis communistes à travers le monde, a eu un impact profond et irréversible. Ce fut pour moi d’une limpidité, et je ne me suis jamais éloigné de sa philosophie et de son action. Tous mes films ont la dictée de Fanon en seconde lecture. Je vous invite à les revoir (sourire). Ce que Fanon a soulevé chez moi tout jeune est encore d’une force très présente, une force et une qualité mémorielles pour le mouvement décolonial.
CCN Ce film reflète votre engagement de cinéaste?
JCB : Oui, ce film reflète l’engagement du cinéaste en tant qu ‘afro-caribéen. Il souligne l’importance de ne jamais accepter aveuglément ce que les autres décident pour vous. Au fil du temps, j’ai appris la patience et l’abnégation, que j’ai intégrées dans ma méthode de travail. Chaque jour est une avancée pour mes convictions et ma profession. Ce n’est pas un sacrifice, j’y trouve une satisfaction qui n’a aucune concurrence et surtout que personne ne peut m’en raisonner… Je suis naturellement un être solitaire. Je trouve mon inspiration dans les personnes fortes et atypiques que je croise dans mes pérégrinations ou mes errances. Je ne suis pas forcément à l’aise avec « la société » dite structurée, mais, depuis toujours entouré par le même clan qui m’accompagne, nous avons tous un objectif : participer aux bouleversements de ce monde avec nos actions et affirmations, qu’elles soient artistiques, politiques, économiques ou même sportives.
La production du film a rencontré des défis, notamment en termes de financement, c’est une évidence. Mais depuis plus d’une décennie, nous avons un grand producteur (Sébastien Onomo) qui a réinventé la façon de produire des films ambitieux à petit budget tout en maintenant une qualité rare qui séduit les distributeurs. La détermination et la passion pour ce projet ont permis de surmonter ces obstacles. On nous demande rarement combien coûtent mes films ; ça mettrait la honte à ceux qui ont des gros budgets et n’ont pas de « production value ».
CCN. Il y a eu un nombre important de livres de documentaires sur Fanon, mais il a été aussi l’auteur d’ouvrages qui restent encore d’actualité sur le colonialisme. Lequel (lesquels) ont servi à la réalisation du film ?
JCB : Les ouvrages de Frantz Fanon, tels que “Les Damnés de la Terre” et Peau noire, masques blanc”s, ont été des sources d’inspiration majeures pour la réalisation du film. Ces œuvres continuent de résonner aujourd’hui et ont été intégrées dans le récit du film.
En outre, le livre d’Alice Cherki Portrait Frantz Fanon a joué un rôle crucial dans la construction du personnage de Fanon, ce qui nous a permis avec mon scénariste, Philippe Bernard, de présenter un Fanon vivant sa propre existence pour la première fois.
J’étais particulièrement ébloui par l’interprétation d’Alexandre Bouyer. Je le considère comme une référence comparable à des acteurs tels que Jamie Foxx (Ray) et Denzel Washington (Malcolm X). C’est un jeune acteur dramatique comme il y en a très peu en Europe. Il aura une belle carrière, c’est certain. Il a fait un travail professionnel époustouflant qui donnait au tournage une source d’incarnation.
Sans chauvinisme et objectivement, tout le casting est de la première ligue. Il n’y a plus de perte de temps, faut dire les choses. On nous a assez minimisés pour nous disqualifier.
CCN. Le film a déjà été présenté au Maghreb, comment a-t-il été accueilli ? Sera-t-il diffusé en Algérie ?
JCB : Le film a été bien accueilli au Festival de Marrakech. La presse mondiale était présente, ainsi que des réalisateurs de classe mondiale, dont Ava Duvernay (Selma) et Abderrahmane Sissako (Timbuktu). Le projet Fanon les a vraiment et totalement séduits. Pour le public, c’était très fort, suscitant des discussions et des réflexions sur l’héritage de Fanon. Il est prévu qu’il soit diffusé en Algérie, où Fanon a laissé une empreinte significative.
CCN. Il sera bientôt diffusé en Guadeloupe et en Martinique, deux peuples encore sous domination coloniale française ; c’est un message ?
JCB : Oui, le film sera diffusé en avril en Guadeloupe et en Martinique. Cette diffusion porte un message fort sur la lutte contre la domination coloniale et l’importance de reconnaître et de célébrer les figures historiques qui ont combattu pour la liberté. Je me reconnais « traumatiquement » cette nécessité que je m’impose, d’avoir une exigence d’une œuvre parfaite à offrir à mon public.
Chaque aspect du film, de l’écriture jusqu’à l’affiche, est réfléchi et voulu, et validé avec l’équipe de Spécial Touch Studio. C’est une force qui vous permet de répondre non plus seulement à des attentes régionales mais de vous positionner sur une ambition internationale.
Comment la France a accueilli ce film ?
JCB : En France, le film a reçu un accueil très positif lors des projections de presse mises en place par notre distributeur Eurozoom. Les réactions ont été très encourageantes, allant de l’admiration pour le travail cinématographique à des critiques sur la représentation de l’histoire coloniale.
CCN. Au niveau international (Afrique, USA, Asie, Amérique latine), Fanon demeure une icône de la lutte contre toutes les formes de domination. Ce film devrait être vu partout sans problème, même chez Trump ?
JCB : Fanon est effectivement une icône internationale de la lutte contre la domination. Le film a le potentiel d’être bien reçu partout, même dans des contextes politiques variés, car il traite de thèmes universels de justice et de liberté. Oui, il devrait être vu chez Trump comme en Israël. Il n’y a pas un seul endroit où ce film ne peut servir d’outil pédagogique et de nous rappeler que nous sommes avant tout des êtres humains, et que cette terre, nous n’en sommes que des locataires. Il n’y a aucun droit de chasser ou de capitaliser des richesses d’une population dans un objectif d’asservissement systémique.
CCN. Les parents de Fanon ont aidé à la réalisation ?
JCB : Les parents de Fanon ont apporté leur soutien en fournissant des archives familiales et des témoignages personnels, enrichissant ainsi le contenu du film.
CCN Finalement, c’est un film guadeloupéen, français ou autre ?
Le film appartient artistiquement à son réalisateur, donc guadeloupéen, mais il peut être considéré comme une œuvre hybride en raison des co-productions qui l’accompagnent. Le producteur Sébastien Onomo a joué un rôle clé dans sa vision pour le montage financier de sa production. Cette œuvre reflète à la fois les influences géographiques de l’histoire et les talents des comédiens et techniciens issus de différentes nationalités qui ont contribué à cette grande fresque picturale tout en portant un message universel.
Remarquable, profondément politique, anticolonialiste et antiraciste : voilà comment résumer le dernier film de Jean-Claude Barny. Lors de l’avant-première qui s’est déroulée hier soir à l’UGC Châtelet-Les Halles, j’ai eu l’occasion de découvrir cette œuvre puissante, qui scrute l’essence de la pensée de Frantz Fanon. Un film qui résonne avec une intensité d’autant plus frappante en cette époque où la pensée extrémiste s’installe au cœur du discours politique mondial.
Le réalisateur parvient avec une justesse saisissante à restituer la pensée de Frantz Fanon, dans toute sa complexité. Non pas par des flashbacks classiques, mais à travers des dialogues ciselés, qui dévoilent la construction de sa réflexion, principalement façonnée en Martinique, l’île natale de Fanon. Là, il observe avec amertume que son peuple, « malgré toutes les humiliations », semble vouloir rester « encore français ». Mais c’est au contact de la déshumanisation systémique en Algérie, lors de la guerre d’indépendance, que sa pensée se radicalise. Une radicalité qui, loin d’être un rejet pur et simple, s’ancre dans une forme d’humanisme profondément ancrée dans la dignité humaine.
Jean-Claude Barny illustre cette dualité de façon saisissante, notamment à travers une scène poignante où Fanon, chef de service à l’Hôpital psychiatrique de Blida, soigne l’un des commandants responsables des tortures infligées aux résistants algériens. En un instant, tout est dit. Ce geste d’une force symbolique inouïe, qui exprime avec clarté l’une des idées maîtresses de Fanon : l’aliénation n’est pas l’apanage du colonisé, mais aussi du colon, tous deux pris dans une mécanique implacable qui aliène leurs âmes et les broie. Une réflexion qui irrigue tout le film.
Alexandre Bouyer, dans le rôle de Frantz Fanon, livre une performance d’une intensité rare. Ce n’est pas simplement une interprétation, mais une véritable incarnation, au point qu’on en vient à se demander si ce n’est pas Fanon lui-même qui se tient devant nous. L’acteur parvient à capturer toute la force de l’engagement de Fanon, non seulement par la justesse de son jeu, mais aussi par une présence à l’écran et un charisme déroutant qui nous saisissent dès les premières minutes.
Au-delà d’une mise en scène soignée et d’une photographie qui sublime chaque plan, Fanon est avant tout une immersion dans une pensée en mouvement, une force d’engagement qui dépasse les frontières ethniques ou religieuses pour nous ramener à l’essentiel : notre humanité.
Jean-Claude Barny, avec cette œuvre, atteint la maîtrise absolue de son art. Un film qui résonne aujourd’hui avec une rare acuité, dans un monde où les fractures sociales et raciales se multiplient.