
Déclaration officielle de la Présidente de la CARICOM, Mia Mottley
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Message à la Communauté Caribéenne de la Présidente de la CARICOM, Première ministre de la Barbade, Mia Mottley :
Bonjour à toutes et à tous,
Je m’adresse aujourd’hui à tous nos frères et sœurs de la Caraïbe, non pas en tant que Première ministre de la Barbade, mais en tant que présidente de la Communauté caribéenne.
Notre monde est en crise. Je ne vais pas l’édulcorer. Nous traversons l’une des périodes les plus difficiles que notre région ait connues depuis que la majorité de nos membres ont accédé à l’indépendance. En vérité, c’est la période la plus critique que le monde ait connue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a 80 ans.
Notre planète est confrontée à une catastrophe climatique qui s’aggrave chaque année. Nous faisons face à une crise du coût de la vie qui nous tourmente depuis la perturbation des chaînes d’approvisionnement causée par la pandémie de COVID-19.
La désinformation, la manipulation et les fausses informations sont omniprésentes. La crise de santé mentale provoque un sentiment de désespoir chez beaucoup de nos jeunes, et malheureusement, la criminalité et la peur augmentent. Des guerres se déroulent en Terre Sainte, en Europe, en Afrique. Les pays se méfient les uns des autres, les voisins se méfient de leurs voisins. L’ordre international, le système mondial, mes amis, est en grave danger de s’effondrer, et nous sommes désormais au bord d’une guerre commerciale mondiale.
Nos économies caribéennes dépendent largement des importations. Il suffit d’aller au supermarché, au centre commercial, dans un magasin de bricolage ou d’électronique, pour constater que la majorité des produits que nous consommons ne sont pas fabriqués dans notre région. Beaucoup de ces marchandises proviennent directement des États-Unis ou y transitent avant d’arriver dans la Caraïbe. Cela, mes amis, est l’héritage de notre dépendance coloniale.
Avec mes collègues chefs d’État et de gouvernement, nous œuvrons pour sortir de cette dépendance. Nous avons déjà commencé à engranger quelques succès, notamment dans le domaine de l’agriculture, mais nous avons encore un long chemin à parcourir. Or, nous devons prendre conscience que les annonces récentes, faites ces derniers jours, auront un impact très direct sur nous en tant que région et en tant que peuple caribéen.
Nous travaillons, et nous continuerons de travailler, pour devenir plus autosuffisants. Mais je veux que chaque femme et chaque homme de la Caraïbe m’entende. Cette guerre commerciale, et la perspective d’une taxe allant de 1 à 1,5 million de dollars américains sur tous les navires chinois entrant dans les ports américains, entraînera une hausse des prix pour tous : au coin de la rue, au supermarché, dans les magasins d’électronique, dans les restaurants, chez les concessionnaires automobiles, et bien au-delà.
Beaucoup de Caribéens croient que ces problèmes sont lointains et ne les concernent pas. On entend : « Je suis juste un agriculteur », « Je suis juste un enseignant », ou « Je suis juste un mécanicien ». On se dit : « J’habite à Saint Lucy à la Barbade », ou « à Portmore en Jamaïque », « à Kingstown à Saint-Vincent », « à Arima à Trinité », « à Basseterre à Saint-Kitts-et-Nevis », ou encore « à San Ignacio au Belize ».
« Ces problèmes ne me concernent pas ». Voilà ce que beaucoup pensent. Mais la réalité, mes amis, c’est que si vous achetez de la nourriture, de l’électronique ou des vêtements, cela vous concerne. Cela concerne chacun d’entre nous.
Nos économies caribéennes ne sont pas très grandes. Elles sont donc, et ont toujours été, à la merci des prix mondiaux. Si l’Europe, la Chine, les États-Unis, le Canada et le Mexique commencent à s’imposer des droits de douane entre eux, cela perturbera les chaînes d’approvisionnement et augmentera le coût de production de tout ce que nous consommons : la nourriture, les vêtements, le téléphone dans votre poche, la voiture que vous conduisez, ou encore les pièces nécessaires à nos infrastructures. Cela signifie des prix plus élevés pour nous tous, et malheureusement, cela nous affectera tous, quelles que soient les mesures prises par nos gouvernements caribéens.
Nous pourrions supprimer tous les droits de douane au sein de la CARICOM, cela ne changerait rien. Parce que nos économies sont petites et vulnérables. Cette crise n’affectera pas seulement les biens, elle pourrait aussi avoir de graves conséquences sur le tourisme. Nous devons donc agir pour soutenir ce secteur, car les conditions économiques dans nos marchés émetteurs risquent d’empêcher de nombreux touristes de voyager. Nous appelons le secteur privé régional et les professionnels du tourisme à travailler avec les gouvernements pour élaborer une stratégie commune et immédiate visant à préserver notre part de marché touristique.
Je prie pour me tromper. Je prie pour que la raison l’emporte dans le monde et que les dirigeants se rassemblent avec un nouvel esprit de coopération, pour protéger les pauvres, les plus vulnérables, et pour donner à la classe moyenne la possibilité de tracer leur chemin de vie, permettre aux entreprises de fonctionner et de commercer.
Mais, sincèrement, je n’ai pas confiance que cela se produise.
Alors, que devons-nous faire ?
- Nous devons reprendre de toute urgence le dialogue, au plus haut niveau, avec nos amis des États-Unis. Il y a une vérité évidente que les deux parties doivent affronter. C’est que les micro-États caribéens ne bénéficient pas d’un avantage commercial par rapport aux États-Unis. En réalité, c’est précisément en raison de notre petite taille, de notre vulnérabilité, de notre capacité limitée à produire ou à perturber les marchés, que des gouvernements américains, y compris celui de Ronald Reagan dans les années 1980, ont soutenu notre développement à travers l’Initiative des Caraïbes (Caribbean Basin Initiative). Nous verrons comment ces nouvelles taxes impacteront cette initiative.
- Nous ne devons pas nous diviser pour des intérêts politiques. Car, comme le dit l’adage : « Unis, nous tenons. Divisés, nous tombons. »
- Nous devons redoubler d’efforts pour investir dans l’agriculture et la production locale. L’objectif du projet « 25 by 2025 », brillamment porté par le Président Ali, paraît désormais trop modeste au regard de la situation. Nous devons cultiver et produire autant que possible. Chacun de nous peut faire le choix d’acheter des aliments sains au marché plutôt que des produits transformés au supermarché.
- Nous devons renforcer nos liens avec l’Afrique, l’Amérique latine et centrale, et renouveler nos partenariats historiques avec l’Europe, le Royaume-Uni et le Canada. Nous ne pouvons plus dépendre de seulement un ou deux marchés. Nous devons vendre nos produits à un marché mondial plus diversifié et plus stable.
Mes frères et sœurs, chaque crise mondiale est aussi une opportunité. Si nous mettons nos divisions de côté, si nous soutenons nos petites entreprises et nos producteurs, nous sortirons plus forts de cette épreuve.
À nos hôteliers, à nos commerçants, à notre population : le message est le même. Achetez local, achetez régional. Je le répète : achetez local, achetez régional. Les produits sont souvent meilleurs, plus frais et plus compétitifs. Si nous travaillons ensemble et renforçons nos ressources locales, nous pourrons surmonter cette crise. Il faudra peut-être relever des défis logistiques, mais nous le pouvons.
Aux États-Unis, je dis simplement ceci : nous ne sommes pas votre ennemi. Nous sommes vos amis. Tant de personnes dans notre région ont de la famille en Floride, à New York, dans le New Jersey, en Virginie, et ailleurs. Nous accueillons votre population avec chaleur, nous leur offrons des vacances inoubliables.
Je dis respectueusement au Président Trump : nos économies sont trop petites pour nuire à la vôtre. Elles ne peuvent en aucun cas fausser votre commerce. Je vous demande donc de considérer l’amitié historique entre nos peuples. Voyez la Caraïbe comme votre voisinage naturel, comme nous l’avons affirmé récemment lors de notre rencontre avec le Secrétaire d’État Rubio. Discutons. Travaillons ensemble pour préserver la stabilité des prix pour nos peuples.
Mes frères et sœurs, l’orage gronde sur les eaux caribéennes, mais chaque jour, la responsabilité de cultiver, de produire, de bâtir, doit être nôtre. Si nous nous soutenons, si nous nous élevons mutuellement, si nous libérons la force et la créativité de notre esprit caribéen, nous y arriverons.
Nos ancêtres ont affronté des tribulations bien plus dures, et ils ont survécu.
Mes amis, mes frères, mes sœurs, nous pouvons réussir.
Nous réussirons.
Que Dieu bénisse notre civilisation caribéenne.
Merci.
Mia Mottley