C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Fred HERMANTIN. Avec lui la LDH de la Guadeloupe perd une grande figure, un militant infatigable, un homme dont l’engagement n’a jamais faibli.

Lors de l’allocution prononcée à l’occasion de la rentrée solennelle de la conférence du stage du Barreau de la Guadeloupe en 1983, le bâtonnier Fred Hermantin livra une réflexion profonde et lucide sur la crise que traversait alors la justice et sur le discrédit qui pesait sur elle. Interrogeant sans détour la profession d’avocat, il soulignait la part de responsabilité qu’elle devait assumer dans cette crise morale et institutionnelle.

Avec un rare courage, il affirmait :

« Cacher ses tares, c’est à l’évidence faire preuve de faiblesse. Oser les reconnaître, c’est déjà être fort de l’espoir d’y remédier. En intervenant comme je le fais, je ne cède, et n’ai cédé, à aucune injonction venue d’on ne sait où. Nous ne sommes pas des bourgeois de Calais, allant la pénitence au cou. Nous n’allons pas davantage à Canossa. La seule sommation à laquelle j’ai répondu est celle d’une exigence : celle d’une mission bien remplie. »

Un peu plus loin, il précisait sa pensée avec une image saisissante, à la fois poétique et politique :

« Il ne faut pas interpréter mon propos comme un discours désenchanté ou désabusé, mais plutôt comme le souvenir de la démarche d’Hamlet, errant dans les ruines d’Elseneur, et se demandant comment rétablir la justice sans utiliser les moyens de l’injustice. »

Par ces mots, Fred Hermantin révélait non seulement sa rigueur intellectuelle, mais aussi son exigence éthique : il ne concevait la justice que dans la droiture, même au cœur de la tempête. Ce discours reste, encore aujourd’hui, un appel à la responsabilité, au courage et à la lucidité pour toutes celles et ceux qui défendent le droit.

Fred Hermantin fut un homme de conviction et de rigueur, animé par un esprit libre et une pensée indépendante. À ces qualités s’ajoutait une vaste culture, nourrie par sa curiosité intellectuelle et son attachement profond aux valeurs humanistes.

Le Barreau de la Guadeloupe gardera le souvenir d’un bâtonnier visionnaire, qui sut ouvrir les portes de la profession vers l’extérieur, tissant des liens avec les avocats de la Caraïbe anglophone, dans une volonté d’échange et de coopération régionale inédite à l’époque.

Militant total des droits de l’homme, Fred Hermantin s’est engagé sans relâche pour la défense des libertés, ici et ailleurs, avec passion, fermeté et constance. Il fut l’un des avocats des patriotes guadeloupéens poursuivis devant la Cour de sûreté de l’État à la suite des événements de mai 1967, aux côtés d’autres confrères mobilisés pour la justice. Il poursuivit cette mission dans les années 1980 en assurant la défense de militants indépendantistes devant les juridictions locales.

Mais son engagement ne s’est jamais limité aux tribunaux. Fred Hermantin fut un militant sans concession contre toutes les formes d’injustice. Vice-président du MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), il s’illustra dans le combat contre l’ostracisme et le racisme sous toutes leurs formes. Lorsque des discours xénophobes commencèrent à se propager en Guadeloupe à travers certains médias, il fut l’un des artisans de la création du Collectif contre la xénophobie. Avec ce collectif, il mena un combat sans relâche, à la fois sur le plan médiatique et judiciaire, pour défendre la dignité humaine et préserver le vivre-ensemble guadeloupéen.

Fred Hermantin fut également à l’origine du réveil de la Ligue des droits de l’homme en Guadeloupe, alors en sommeil. Dans les années 2000, il en devint un président actif et engagé, donnant un nouvel élan à la réflexion collective. Il anima de nombreux colloques et débats, parmi lesquels celui organisé avec le CORECA, en partenariat avec le CAGI, à l’occasion du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, intitulé : « Problématique des droits de l’homme et leur application dans la Caraïbe ».

Président infatigable de la section de Pointe-à-Pitre, dite section Mortenol, il y mena une activité intense, multipliant les rencontres avec les associations engagées sur la question des étrangers et les problématiques d’intégration et de dignité humaine. En reconnaissance de son engagement constant et de son esprit fédérateur, la section de Pointe-à-Pitre fit de lui son président d’honneur.

Honneur et respect à Fred Hermantin : le combattant, le militant, l’homme debout, toujours présent pour défendre la justice et les droits fondamentaux. L’avocat brillant, l’homme de grande culture, dont la discrétion n’avait d’égale que la force des convictions. Il portait haut la parole juste, sans jamais rechercher la lumière.

En ces temps où s’évapore la conscience,
En ces temps où chancelle l’espérance,
En ces temps où surgit le désespoir,
Que vive en nous, avec constance, sa mémoire.
Que cette mémoire demeure, sans coup férir,
Afin que l’espérance ne puisse mourir.

Fred Hermantin nous a quittés, mais son combat, sa voix, son exemple, continueront de résonner à travers toutes celles et tous ceux qu’il a inspirés.

Que son souvenir demeure une lumière, une force, pour chaque défenseur de la liberté, de la justice et de la dignité humaine.

Robert VALERIUS, Président de la Fédération LDH Guadeloupe