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Guadeloupe. Industrie. La réalité de la filière canne : #2

Guadeloupe. Économie. Après la crise : quel avenir pour la filière canne à sucre ?

Guadeloupe. industrie. La réalité de la filière canne : #2

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Lamentin. Mardi 21 mai 2024. CCN. La grande crise qui a touché la filière canne sucre de la Guadeloupe, dès la fin de l’année 2023 et qui s’est achevée par la signature à l’arrachée d’un accord mérite une véritable explication. CCN s’est donc tourné vers Wozan Mounien, ex-secrétaire général de l’UGTG, aujourd’hui THE EXPERT pour toutes les questions concernant notre agriculture nationale. Pour bien comprendre la situation actuelle, Wozan Mounien s’est attaché à contextualiser cette crise en nous proposant un article qui pose aussi la question incontournable de l’avenir de la filière. Suite et fin.

4- L’ÉPINEUSE QUESTION DE LA FIXATION DU PRIX DE LA TONNE DE CANNE

Depuis la fin des années 1960 et l’intégration de la GUADELOUPE dans le Marché Commun, le prix de la tonne de canne est fixé en fonction du taux de saccharose ; la première formule de paiement avait été établie à la Réunion (formule HUGO). Cette dernière a été contestée dès 1971 et fait l’objet de nombreux conflits sociaux.

La grande grève de 1975 a abouti à l’établissement d’une nouvelle formule au terme de 3 mois de conflit. La nouvelle formule et le nouveau protocole de réception saccharimétrique ont provoqué une augmentation record de 40% du prix de la tonne de canne ; cette formule, dénommée SAUGER, est encore appliquée après avoir évolué en 1982 et fait l’objet de plusieurs ajustements récents.

La plus grande faiblesse de cette formule c’est qu’elle ne prend en compte que le sucre et pas les autres co-produits commercialisables de la canne ; c’est d’ailleurs à la demande de certaines organisations dont l’UPG, qu’un Inspecteur Général de l’Agriculture nommé BERLIZOT, suite à une mission d’audit a conclu à la nécessité de renégocier la formule. Le Rapport BERLIZOT, sorti en 2017 arrivait aux mêmes conclusions que les travaux du groupe d’experts composé d’universitaires et mise en place par l’UPG ; si on s’accordait sur le fait que la formule était robuste dans sa conception, les paramètres utilisés devaient être actualisés pour intégrer les progrès techniques réalisés dans les procès de production aujourd’hui. La nouvelle formule devra intégrer la valorisation des autres co-produits.

La Convention Canne 2023/2028 signée le 1er Avril 2023 par la grande majorité des syndicats agricoles, après un marathon de négociations débutées en Septembre 2022, a abouti à un accord sur l’élaboration d’une nouvelle de paiement de la canne dont les effets seront appliqués sur les cannes livrées en 2024, avec effet rétroactif si nécessaire. Dans le prolongement de la Convention, un accord de démarrage de la récolte 2024 a été signé le 20 Février 2024 par ces mêmes organisations, à savoir : La Coordination Rurale, la FDSEA, le MODEF et l’UPG. Cet accord confirmait la mise en place d’un groupe d’experts chargés d’élaborer la nouvelle formule de paiement au plus tard le 30 Juin 2024, la mise en place d’un groupe d’experts indépendants chargés de contrôler le protocole et la pratique des prélèvements et de la réception saccharimétrique. Il a été également convenu que la prime bagasse payée aux planteurs était fixée à 12/13eme et seulement 1/13eme revenait à l’usinier ; en outre un partage des résultats économiques sera opéré dès cette année au profit des planteurs sur la base des résultats certifiés en fin d’exercice.

Il convient également de rappeler que le prix de la tonne a été augmenté de 30% à la veille du démarrage de la récolte 2023.

Toutes les conditions étaient objectivement remplies pour un démarrage normal de la récolte sucrière, avec des perspectives pour les planteurs, compte-tenu des gains attendus avec la mise en place de la nouvelle formule et le partage des résultats en fin de campagne.

5– COMMENT COMPRENDRE LE COUP DE FORCE QUI A BLOQUÉ LA RÉCOLTE 2024

En marge de la signature de la Convention 2023/2028, un collectif d’agriculteurs du Nord Grande Terre s’était opposé à celle-ci et avait bloqué pendant quelques jours l’usine GARDEL, provoquant une véritable pagaille, l’arrivée précoce du mauvais temps avait fait le reste. Au final 40000 tonnes des Cannes des planteurs étaient restées sur pied, malgré une prolongation jusqu’au mois d’Août de la récolte.

Cette année, ce même collectif a été rejoint par une SICA cannière en grande difficulté financière et en perte de vitesse sur son cœur de métier qui est l’accompagnement des de tous les planteurs de son bassin cannier quelque soit leur obédience syndicale. Sur la base d’une étude plus qu’approximative, financée à grand frais par le Conseil Régional (plus de 30000€), la SICA du Nord-Basse-Terre a présenté au collectif un coût de revient de la tonne de à 130€ pour justifier une revendication de la tonne de canne à 160€. Ce sont les principales motivations qui les ont conduit à bloquer le démarrage de la récolte. De jour en jour leurs exigences évoluaient pour finalement se fixer à 120€ par tonne de Cannes sans condition de richesse.

Ils ont été rejoints sur ces bases-là par les mêmes organisations qui avaient signé la Convention et l’Accord de démarrage de la campagne, à l’exception de l’UPG. Ce conflit n’a pas empêché le démarrage de la récolte dans un un premier temps ; ce sont les barrages routiers et l’opération de blocage de Jarry qui retardé le démarrage de la récolte. Le protocole de fin de crise signé le 30 Avril n’apporte rien de nouveau par rapport à la Convention et au protocole du 20 Février 2024.L’aide de l’État de 900000€ sera prélevée sur les 1650000€ non versés aux planteurs à cause des Cannes restées sur pieds en 2023. Seule la Région (500000€) et le Département (250000€) seront obligés d’annuler certains programmes pour honorer cette dépense et faire supporter la charge par les Guadeloupéens. Quant à l’usine de GARDEL qui s’est engagée à hauteur de 500000€, c’est moins que la moitié de ce qui était attendu par l’Accord sur le partage des résultats de fin de campagne, cette année. En fin de compte, ce blocage est annonciateur d’une catastrophe économique sans précédent pour la filière.

Avec un démarrage effectif au 02 Mai, ce sont plus de 80000 tonnes de Cannes qui ne pourront pas être broyées d’ici au 30 Juillet, soit une perte prévisionnelle de plus 8 millions d’euros pour les planteurs. A cela il faudra ajouter les pertes prévisionnelles pour les Entreprises de Travaux Agricoles ; quant aux pertes industrielles, elles risquent d’affecter de façon significative les résultats financiers qui étaient attendus cette année. En outre, il sera impossible agronomiquement de replanter 20% de la sole cannière, avec des conséquences négatives sur la récolte de 2025, notamment une nouvelle baisse des rendements à l’hectare.

L’État est de loin le principal gagnant de ce conflit puisque plus de 30% des aides allouées à la filière resteront dans ses caisses, avec un dégagement possible vers BERCY, surtout en ces temps de rigueur budgétaire.

6- QUEL MODÈLE ÉCONOMIQUE METTRE EN PLACE POUR PÉRENNISER LA FILIÈRE

La Convention canne 2023/2028, pour la première fois associe la Région et le Département comme partenaires à part entière aux côtés de l’État avec l’IGUACANNE. Des engagements forts ont été pris pour le 5 ans à venir. Il est nécessaire de prioriser les actions qui à court terme permettront de sécuriser les revenus des producteurs agricoles ainsi que leur protection sociale.

Aujourd’hui, la famille des producteurs agricoles est fortement divisée et ses rapports avec les industriels sont conflictuels. Il s’agit de revenir à la sérénité pour rétablir la confiance. Établir dans les délais impartis une nouvelle formule de paiement de la canne plus transparente et prenant en compte tous les co-produits commercialisés, devrait pour une grande part y contribuer.

Renouveler la capacité de production optimale de la sole cannière passe nécessairement par une politique d’amendement des terres, de rénovation des voiries rurales, de maîtrise de l’hydraulique agricole, et de replantation d’au moins 20% des surfaces par année. Les dispositions arrêtées dans la Convention 2023/2028 doivent faire l’objet d’un suivi régulier et d’une évaluation à mi-parcours, pour y apporter le cas échéant les correctifs nécessaires. Aujourd’hui le prix de la tonne de canne est composé à 80% d’aides publiques de l’État, de l’Europe et dans une moindre mesure des collectivités. Ce système n’est pas économiquement viable et risque à tout moment de s’effondrer. Il est impératif de le repenser. Pendant ces derniers jours, il a beaucoup été question pour certains de faire comme la Martinique pour fixer le prix de la canne. Qu’en est-il exactement ?

Les 150 planteurs de la Martinique touchent 157€ par tonne pour 8% de richesse ; ce prix est composé essentiellement d’aides de l’État et de l’Europe auxquelles viennent s’ajouter plus de 36€ par tonne payés par Collectivité Territoriale ; de plus l’usine du GALION est entièrement financée et contrôlée par cette même Collectivité.

Pour autant, l’usine du GALION broye à peine 20000 tonnes de Cannes et produit un millier de tonnes de sucre, soit moins 20% de la consommation de sucre de la Martinique. Ce que l’on ne dit pas, en dépit de la volonté politique affichée par les dirigeants politiques de ce pays, les paysans Martiniquais n’ont pas la maîtrise du foncier qui pour sa très grande majorité est détenu depuis toujours par les grandes familles békés. Celles-ci ont historiquement fait le choix de la banane et du rhum. Ils sont d’ailleurs les seuls à avoir obtenu le label : Appellation d’origine pour rhum agricole fabriqué en Martinique.

En Guadeloupe, nous avons la pleine maîtrise du foncier agricole, mais nous sommes en dehors du circuit industriel, qui est contrôlé par les multinationales Européennes.

Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire de produire du sucre brut destiné aux raffineries françaises, mais de produire des sucres spéciaux destinés à la consommation directe et des sucres liquides destinés aux industries agro-alimentaires. Ces produits ont une plus forte valeur ajoutée et disposent de marchés de niches accessibles.

C’est toute la problématique de la souveraineté alimentaire qui nous est désormais posée. Comment accéder à la souveraineté alimentaire sans accéder à la souveraineté politique ? Les Collectivités de GUADELOUPE et les hommes qui les dirigent sont-ils prêts à franchir le pas dans cette direction ?

Sont-ils décidés à faire à minima ce qu’a fait la Collectivité Territoriale de Guyane ? Les acteurs économiques de ce secteur sont-ils également prêts à assumer leur responsabilité devant l’histoire pour en prendre le contrôle ?

A l’évidence, le dossier sucrier, tout comme celui du développement économique du pays ne relève pas de l’agitation sociale permanente, mais de la stratégie politique. Pendant combien de temps encore allons-nous persister dans l’automutilation en nous barrant nous-même et en bombant le torse pour nous convaincre que nous avons gagné ? L’urgence c’est de contribuer chacun à son niveau à construire ce pays pour ne pas laisser un champ de ruines aux générations à venir.

Faisons en sorte de mériter notre guadeloupéanité!

Wozan MOUNIEN

Expert sur les questions foncières et agricoles

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