Guadeloupe.Un peuple dont on a occulté la mémoire est un peuple livré à la démagogie et au populisme
Pointe à Pitre. Lundi 13 mai 2024. CCN. La question de la libération nationale de notre pays, l’emprise du colonialisme français est plus que jamais d’actualité. Mais pour y arriver, il devient nécessaire et urgent pour de jeter un oeil critique sur ceux qui se passe au quotidien au sein du mouvement national /camp patriotique ou de ceux qui prétendent l’incarner. Ainsi, près de 2 décennies après l’insurrection populaire de 2009 (LKP), force est de constater qu’une sérieuse et grave dérive populiste affecte une partie du mouvement national. René Beauchamp, militant de la cause nationale, a fourni à la CCN son analyse de la situation.
Certains l’ont bien compris et cultivent tous les obscurantismes et l’absence de mémoire collective et d’éducation populaire pour faire croire à notre peuple que tout commence avec eux, rien n’a été fait avant ou très mal fait. Utilisant la situation économique et sociale désastreuse dans laquelle le colonialisme français a mis notre pays et notre peuple et la détresse de notre jeunesse qui n’a, dans sa grande majorité, que le choix de l’exil et l’expatriation, Ils prônent l’agitation permanente dans l’attente d’un éphémère et illusoire grand soir qui leur permettrait d’accéder au pouvoir. Confondant la nature et le rôle d’une organisation syndicale et la nature et ceux d’une organisation politique, ils estiment qu’une organisation syndicale se doit de prendre des décisions et de mener des actions politiques quitte, comme c’est le cas actuellement, à se couper des militants et de la base formant le gros bataillon de l’organisation syndicale et d’entrainer l’affaiblissement et la perte d’audience de celle-ci. C’est la même méthode et la même pratique qui a fait du lyannaj kont pwofitasyon (LKP), regroupement d’organisation syndicales, sociales, politiques et culturelles en 2009 porteuses de revendications sociales et sociétales et d’un espoir de transformation de la société coloniale en Guadeloupe, une organisation squelettique, cache-sexe de deux entités politiques Nonm et travailleurs et paysans. C’est cette conception de l’agitation permanente et du grand soir réduisant la lutte sociale nécessaire aux transformations et progrès dans la société à l’agitation qui a conduit certains à privilégier les revendications corporatistes et assimilationnistes (la loi rien que la loi) sans lien avec la réalité coloniale de notre société et l’objectif d’émancipation nationale et de transformation sociale, aboutissant ainsi à développer encore plus de dépendance et d’assistanat. C’est cette même conception qui produit des déviances et des pratiques opportunistes et démagogiques (comme en témoigne « l’affaire des grands frères ») et a mené à fractionner et à diviser notre peuple, à l’affaiblir dans sa capacité de riposte à l’oppression coloniale.
Pour certains il s’agit de déconstruire tous les acquis et avancés des luttes menées par le mouvement patriotique occultant les combats et actions et surtout leur fondement, les objectifs et les moyens et méthodes présidant à ces mouvements. Les raccourcis « historiques » de Nomn sont particulièrement édifiant à ce sujet : D’abord faire croire à une époque que la véritable histoire de l’UGTG aurait commencé avec la grève de la faim de Madassamy en 2001 puis dans un récent écrit, on passe sans vergogne de 1967 à 2009. Toutes les luttes menées dans le secteur de la canne (grèves, occupations de terre, mouvement de masse de 1975 et grève de la faim du père Chérubin céleste, réforme frontière) dans les secteurs banane, de la santé, de l’éducation et dans d’autres secteurs qui ont permis d’asseoir l’influence des organisations syndicales patriotiques, celles menés sur le plan culturel et sur le plan politique qui ont permis d’affirmer avec force l’identité guadeloupéenne et le développement du mouvement et de la conscience patriotique sont occultées d’un trait de plume et réduites à un seul évènement 2009 avec lequel tout aurait commencé.
Cette conception du grand soir s’accompagne d’un rejet de toute participation à quelque élection politique que ce soit sous prétexte que toute élection, dans le cadre des institutions coloniales, est une trahison (« sé on kous a chyen é adan on kous a chyen sé toujou on chyen ka gannyé » a dit le grand chef du LKP). Il s’agit à travers l’agitation générale de se hisser au pouvoir, dans un grand soir, sans passer par les élections et le garder pour eux puisqu’ils sont les seuls garants des intérêts du peuple et les autres des voleurs, vendus ou traites. Ce rejet des élections se sert d’une réalité, le discrédit jeté sur nombres de nos élus et collectivités incapable de répondre aux problèmes quotidiens de notre peuple, à avoir le sens du pays Guadeloupe et à assumer leur responsabilité ; Discrédit entretenu et alimenté par ces tenants dans leurs écrits et interventions en traitant les élus de voleurs et exploiteurs comme les patrons, petits et grand (« Yo tout volè »).
La conséquence de telles conceptions est un rejet de la réflexion politique, surtout si on parle d’élections, un abandon de la citoyenneté, un retour en force de l’assimilation, à travers des revendications de plus en plus corporatistes sans rapport avec notre réalité coloniale, et de la dépendance (sé mésyé pa Kapab, fo léta fwansé pran sa an men, appel systématique à la médiation du préfet).
Or la superstructure de l’état en Guadeloupe est composée de différentes instances de représentation des forces politiques, économiques, sociales et culturelles qui contribuent à leur niveau au fonctionnement normatif du système. La rémunération des mandats politiques et des mandats sociaux est de la même veine même si elle n’est pas du même montant ; elle constitue une compensation du temps passé à l’exercice de la fonction. Dès lors pourquoi diaboliser ceux qui perçoivent des émoluments politiques et encenser ceux qui en perçoivent dans l’exercice de leur fonction de représentation syndicale et en même temps crier sur tous les toits : « Nou pa jen manjé an men a yo » ?
En réalité, ces méthodes et conceptions cachent une impuissance à s’organiser et à prendre des responsabilités pour apporter des réponses aux problèmes posés à notre peuple par la domination coloniale, un enfermement sectaire, propice à la division, qui ne peut que servir les intérêts de l’État colonial.
Aujourd’hui il est urgent d’organiser la résistance économique, sociale, culturelle et politique pour s’opposer à la politique coloniale française, au dépeuplement par l’exil planifié de notre jeunesse et la désappropriation de nos terres et construire le pays Gwadloup. Il s’agit d’unir notre peuple, toutes ses forces vives et composantes sociales, dans une perspective d’émancipation nationale par l’éducation populaire, la conscientisation et la conquête de sa représentation politique. C’est à cette tâche que nous devons nous atteler en refusant de servir de caisse de résonance à tous les populismes et toutes les démagogies.
Il y a chez les Guadeloupéens une vraie volonté de s’appartenir qui se traduit par :
D’importants efforts d’édification de l’identité culturelle et d’affirmation de la nationalité guadeloupéenne (actualisation du patrimoine culturel à travers des œuvres artistiques de la langue créole et de l’esthétique guadeloupéenne, par l’émergence multiple de chants et d’hymnes de combat, d’un drapeau, de monuments dédiés à la mémoire des ancêtres et des héros de la résistance anticoloniale.
De nombreuses initiatives destinées à créer le socle d’une production économique autonome, principalement dans l’agro transformation, la pharmacopée, les services, et même la recherche d’énergies nouvelles et renouvelables adaptées à notre réalité
Un lien objectif, et de plus en plus mis à nu, entre les luttes sociales pour l’augmentation du pouvoir d’achat, la création d’emploi, l’affaiblissement des monopoles étrangers et la souveraineté alimentaire
La lutte sociale prend tout son sens lorsqu’elle sert les intérêts fondamentaux de notre peuple et s’inscrit le combat pour avancer dans la maitrise de notre destin.
La démonstration que la terre de Guadeloupe peut nourrir les Guadeloupéens par la reconquête progressive par des coopératives du marché intérieur et par la recherche scientifique couplée avec des formes d’éducation populaire. Il s’agit là du prolongement des luttes paysannes des années 1970-80 dans la canne dont le résultat fut que la majorité des terres agricoles dans la canne appartiennent aux collectivités guadeloupéennes.
La mise en œuvre d’une confrontation entre le modèle éducationnel dominant et l’effort guadeloupéen pour la connaissance de soi (édition d’ouvrages historiques, d’essais scientifiques et initiatives individuelles d’enseignant jusqu’à des projets collectifs de création d’une école alternatives ciblant la génération d’âge préscolaire).
Il ne s’agit donc pas seulement de lutter contre quelques profiteurs, mais de changer le système social et économique actuel.
Toute action immédiate, imaginable et déterminée par telle ou telle situation particulière, dans quelque secteur que ce soit, doit participer à la construction solidaire d’un sens : être capable de conduire au regroupement de toutes les ressources populaires autour d’un projet politique porteur d’une offre de gouvernance guadeloupéenne, sur les axes suivants :
1) Appuyer et accompagner, en fonction des situations locales, toutes les actions menées par les guadeloupéens contre toutes les formes d’oppression et d’exploitation
2) Soutenir l’effort de production dans tous les domaines et notamment dans les secteurs liés à l’alimentation, à la culture et à l’éducation pour enlever pan par pan à la France le monopole de la distribution et de la diffusion du savoir
3) Dégager pas à pas la Guadeloupe du poids écrasant de l’importation de produits agricoles et de matières premières qui appauvrissent le pays en enrichissant l’étranger et font obstacle au développement de la production guadeloupéenne.
4) Défendre les producteurs guadeloupéens pour des prélèvements plus justes, et des taxes qui les protègent suffisamment de la concurrence des produits importés, encourager l’émergence de syndicats patronaux soucieux de la souveraineté guadeloupéenne
5) Défendre le droit des salariés à une rémunération et des conditions de travail qui permettent un niveau de vie décent;
6) Défendre les créateurs artistiques et culturels guadeloupéens contre toute action ayant pour but de les réduire au silence, y compris celle de les contraindre à la dépendance à l’égard des pouvoirs politiques et économiques
7) Mettre le sport au service de la santé de tous et les performances au service de l’épanouissement de la jeunesse et du rayonnement de la Guadeloupe dans le monde, solidarité d’abord, compétition ensuite
8) Permettre des échanges avec les pays et les organismes extérieurs engagés dans l’économie solidaire et durable
9) Repenser et développer la solidarité, d’une part envers les familles de toutes les victimes des iniquités du système économique, politique et social, d’autre part envers les victimes de l’exclusion économique, du décrochage scolaire et de la marginalisation sociale
10) Combattre pour la vie et la santé des Guadeloupéens. Le but de ces actions étant toujours d’obtenir l’amélioration des conditions de travail et de vie du plus grand nombre, de faire en sorte que toute la population atteigne un minimum décent en matière d’alimentation, de logement, d’habillement et d’éducation afin d’ouvrir la perspective d’un nouvel ordre social et politique
11) Améliorer les conditions de vie des personnes âgées, des familles vivant de minima sociaux et des jeunes au chômage, en organisant la lutte pour leur mieux-être en tenant compte de l’intérêt général,
12) Rendre possible, par ces moyens, une vie démocratique, par et pour le peuple guadeloupéen, où l’action responsable de chaque élu sera soumise à un contrôle effectif et constant du peuple.
Il s’agit de mobiliser les ressources immenses d’énergie du peuple guadeloupéen, dans l’union de tous ceux qui veulent que la Guadeloupe s’appartienne, d’être capable de conduire au regroupement de toutes les ressources populaires autour d’un projet politique porteur d’une offre de gouvernance guadeloupéenne
Rene Beauchamp
Militant de la cause nationale Guadeloupéenne
Merci beaucoup à René pour sa clairvoyance. Tout est dit
voilà une orientation socio.politique ,économique et culturelle, qui manque tant à la cause patriotique du peyi archipel. je suis nostalgique du Mouvement d’unification des forces de libération nationale ou l’ensemble des forces vives avait une représentation..La sincérité de R .Beauchamp est
une contribution essentielle c’est la vérité et il est temps de se le dire i jakata. Il y aura des hurlements !!! tanpis c’est pour la bonne cause et le bon combat Bravo
Wopso….un autre son se fait entendre car plus que jamais dans notre bannzil à la dérive,il est plus que temps de mettre on manman woch asi modan à ceux qui veulent imposer “leur” vérité,”leur” chemin….Le sectarisme n’est pas de mise au moment où de multiples urgences nous commandent à une démarche unitaire face au colonialisme français…
Merci René pour avec ta contribution
PALIN Jean Michel
militant marxiste révolutionnaire
travailleur social à la retraite