Fort de France. Samedi 28 décembre 2019. CCN. L’écrivain martiniquais Raphaël Confiant vient de publier son dernier roman, Grand Café Martinique, consacré à l’introduction du café dans les Amériques. CCN l’a rencontré. Un roman-épopée vraiment … fort de café : c’est à lire !
CCN : Le café a donc été introduit pour la toute première fois sur le continent américain à partir de la Martinique. Légende ou vérité historique ?
R.CONFIANT : Pour le savoir, il suffit de se rendre sur n’importe quel site-web en anglais, espagnol ou portugais si l’on ne fait pas confiance aux sites en français. Tous affirment que le tout premier plan a été apporté en 1720 à la Martinique par un nommé Gabriel De Clieu qui l’a mis en terre sur les hauteurs du Prêcheur, au pied de la montagne Pelée, tout au nord de la Martinique. Ce n’est que par la suite qu’il s’est répandu en Guadeloupe, à Saint-Domingue (devenu Haïti) et enfin sur le continent, notamment au Brésil. Il existe des archives à ce sujet mais aussi tout un ensemble de légendes concernant surtout la terrible traversée de l’Atlantique par ce De Clieu.
CCN : Votre livre raconte en effet ce voyage et ses péripéties qui semblent incroyables.
R.CONFIANT : Incroyables mais vraies. De Clieu, qui avait été planteur de canne à la Martinique durant une dizaines d’années, était obsédé par l’idée d’introduire le café dans le Nouveau Monde, mais les planteurs Békés lui rirent au nez. La canne à sucre avait, en effet, fait la fortune des îles antillaises et était reine à l’époque. Pourquoi s’embêter à cultiver une plante inconnue ?
CNN : Pourtant le café était déjà archi-connu à travers le monde depuis des siècles, non ?
R.CONFIANT : Dans l’Ancien monde, c’est-à-dire l’Afrique, le monde arabo-musulman, l’Europe et une partie de l’Asie, oui, mais aucunement dans le Nouveau Monde. Dans mon livre d’ailleurs, il y a en parallèle de l’épopée de De Clieu, l’évocation du trajet extraordinaire du café depuis les hauts plateaux éthiopiens jusqu’au Yémen, puis en Egypte et l’Empire ottoman, ensuite en Europe et enfin en Asie. Elle a été la première plante mondialisée ! Cela grâce au petit berger éthiopien Kaldi qui, par pur hasard, vit un jour ses chèvres danser. Il crut d’abord qu’elles avaient été endiablées avant de se rendre compte qu’elles avaient mangé les fruits d’un arbre inconnu. Des moines coptes, méfiants, recueillirent des baies qu’ils firent bouillir, mais l’odeur les emporta d’allégresse et quand ils burent la décoction, ils se rendirent compte qu’ils pouvaient rester à prier des nuits entières sans être en proie au sommeil.
CCN : C’était la première fois que l’homme buvait du café ?
RCONFIANT : Oui, sur les hauts plateaux de la région de Kaffa, en Ethiopie donc, d’où le nom de « café. Assez vite, cette boisson se répandit au Yémen tout proche et dans tout le monde arabo-musulman. Les imams discutèrent longtemps pour savoir s’il fallait l’interdire comme l’opium ou l’alcool à cause de ses propriétés euphorisantes, mais les marchands gagnèrent la partie dès que le monde arabo-musulman, en particulier l’Egypte, se mit à exporter du café en Europe où on la dénomma « l’eau noire turque ». Le café devint à la mode dans les cours royales européennes, surtout dans celle de Louis XIV, mais il mit du temps à être accepté dans le peuple. Par contre, aux Amériques, personne ne savait de quoi il s’agissait, hormis les voyageurs européens de passage qui en parlaient mais sans plus.
CCN : Et De Clieu a fait son apparition !
R.CONFIANT : Un sacré bonhomme qui a dû séduire la nièce du médecin personnel du Roi, le Dr De Chirac qui s’occupait du Jardin d’Acclimatation de Paris, pour pouvoir y dérober deux plants de café qu’il transporta clandestinement en Martinique. Cela au terme d’un voyage terrible puisqu’il dut affronter des pirates, le calme plat des Sargasses, une révolte des passagers qui trouvaient qu’il utilisait trop d’eau pour arroser ses plantes alors qu’il l’avait rationnée pour, eux, les passagers. Et même une tempête effroyable qui faillit mettre un terme à son aventure ! Le bateau de De Clieu finit par arriver en Martinique avec des gens morts de soifs à son bord et un De Clieu exsangue qui amenait non plus deux plants de café, mais plus qu’un seul car un passager irascible en avait détruit l’un d’eux. Un vrai miracle !
CCN : Le café est alors planté, dites-vous dans votre livre, dans le nord de la Martinique ?
R.CONFIANT : La variété apportée par lui, dite aujourd’hui arabica typica, a besoin de températures douces et de terrains peu ensoleillés situés en hauteur. Les sous-bois des contreforts de la montagne Pelée, dans la paroisse du Prêcheur, lui convenaient donc parfaitement. Au bout de quatre ans, le temps qu’il faut à l’arbre pour pousser et donner des fruits, De Clieu démontra qu’il avait eu raison et d’autres planteurs lui emboitèrent le pas. Tellement que durant tout le 18è siècle et le début du 19è, le café rivalisa avec la canne à sucre ! Mais une maladie finit par attaquer le caféier en Martinique et il devait prospérer par la suite en Guadeloupe, à Saint-Domingue et sur le continent américain. Et puis, au bout d’un moment, les planteurs se mirent à importer d’Afrique de l’ouest des plants de la variété robusta qui n’a pas besoin de l’altitude et qui supporte bien la chaleur. C’est cette variété qui existe aujourd’hui dans nos différents pays.
CCN : Le plant apporté par De Clieu, après avoir connu le succès, a donc complètement disparu ? Il n’a pas eu de descendants ?
R.CONFIANT : C’est ce que tout le monde croyait jusqu’à ce que des chercheurs japonais débarquent en Martinique il y a cinq ans et partent à la recherche d’un des descendants en question. Ils ont fini par le trouver et dès lors, ils ont proposé un partenariat à la CTM (Collectivité Territoriale de Martinique) qui consiste à proposer à des agriculteurs de le replanter. Ils sont une douzaine à ce jour. Ce café aura pour nom officiel « Café Excellence Martinique » et sera vendu 30 euros le kilo sur le marché mondial soit cinq fois plus cher que le cours normal car il s’agira d’un produit de luxe. La plus grosse compagnie de commercialisation du café du Japon compte le lancer à l’ouverture des Jeux Olympiques de Tokyo en 2020 en présence du président de la Collectivité Territoriale de Martinique.
CCN : Votre livre tombe donc à pic ?
R.CONFIANT : Il s’agit d’un pur hasard car je travaille dessus depuis plus de trois ans et j’avais accumulé beaucoup de retard. Normalement, il aurait dû être sorti en fin 2018. Mais bon, il y a bien des heureux hasards dans la vie, non ?
Grand Café Martinique, éditions Mercure de France.
En librairie à compter du 03 janvier 2020.
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