
Guadeloupe. Entreprenariat. Be a Boss booste les femmes
Pointe à Pitre. Jeudi 29 mai 2025. CCN. Ce n’est pas peu dire que d’affirmer que la Guadeloupéenne, cheffe d’entreprise a désormais pris sérieusement la main. Elles sont en effet de plus en plus nombreuses à être de vraies “ boss” . Claudy Lombion qui a très largement contribué à lancer avec le succès qu’on sait le concours Be a Boss*¨ aussi productrice du film “Des Femmes une voix” qu’il faut avoir vu, a répondu aux questions de CCN.
*NB: la gagnante de l’édition 2024 de Be a Boss Antilles Guyane” c’est l’Afro Guadeloupéenne Manick Siar Titeca, DG d’une maison d’édition de livres audio et aussi chroniqueuse du @ZCLNEWS.

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Pourquoi l’entrepreneuriat féminin est-il devenu un sujet aussi central et médiatisé aujourd’hui ?
Je pense que ce sujet s’est imposé parce qu’il révèle des enjeux profonds de transformation économique, sociale et culturelle. En tant que femme entrepreneure et actrice de terrain aux Antilles-Guyane depuis plus de 20 ans, j’ai vu émerger cette reconnaissance progressive. On ne parle plus seulement d’égalité, mais de compétitivité territoriale. Les études du FMI[1] le confirment : une réduction des inégalités femmes-hommes pourrait augmenter le PIB mondial de 35 %. Et dans nos territoires ultramarins, les femmes sont déjà en première ligne des dynamiques de résilience et d’innovation locale.
Cette centralité, je l’ai aussi construite à travers des projets concrets comme le concours Be a boss Antilles-Guyane, que j’ai porté en tant que Déléguée régionale de 2019 à 2024, ou encore le film documentaire « Des femmes, une voix »[2] sorti en 2025. Ces outils rendent visible l’invisible : ils montrent que les femmes caribéennes ne demandent pas la permission, elles créent les conditions du changement.
Ma recommandation : C’est maintenant aux décideurs d’aller plus loin en structurant un accompagnement durable, notamment sur l’accès au financement et aux marchés publics.
En seulement deux décennies, le nombre de femmes entrepreneures a doublé. Quels sont les facteurs clés qui expliquent cette évolution remarquable ?
Nous avons assisté à une véritable montée en puissance portée par des femmes déterminées, souvent mères, souvent seules, mais toujours visionnaires. L’étude que j’ai co-dirigée avec le Dr Claudya Parize auprès de 70 entrepreneures des Antilles-Guyane[3] (concours Be a Boss, 2024) montre que 67 % d’entre elles sont célibataires et 69 % ont des enfants. Malgré les contraintes, elles choisissent l’entrepreneuriat pour gagner en autonomie et s’ancrer territorialement.
L’essor du statut de micro-entrepreneure a aussi joué un rôle clé : en 2018, 66 % des créations d’entreprise dans nos territoires étaient des micro-entreprises, dont 37 % dirigées par des femmes. Ces structures agiles leur permettent de tester des modèles économiques tout en s’adaptant à la réalité insulaire.
Ma recommandation : Il est temps de passer du « test » à la consolidation. Cela passe par un renforcement du capital humain et un accompagnement plus stratégique des TPE féminines.
Quels sont les secteurs où les femmes entrepreneures sont les plus présentes et pourquoi ces domaines en particulier ?
Les femmes entrepreneures en Guadeloupe, Guyane et Martinique investissent principalement les secteurs des services, du bien-être, du commerce de proximité, de la santé, mais aussi de plus en plus l’économie sociale et solidaire. Ce sont des domaines qui présentent trois avantages majeurs : un besoin d’investissement initial relativement faible, une forte connexion aux besoins locaux, et une souplesse qui permet souvent de mieux concilier vie professionnelle et familiale.
Ces choix sectoriels s’expliquent également par des logiques d’effectuation[4] : les entrepreneures partent de leurs compétences disponibles, de leur réseau et de leur ancrage territorial pour créer des activités adaptées aux contraintes locales.
Dans l’étude Be a boss, nous avons observé que 83 % des entreprises féminines génèrent moins de 50 000 € de chiffre d’affaires annuel, et près de la moitié moins de 10 000 €. Cela reflète des débuts modestes, mais aussi une volonté de créer des modèles ancrés, adaptés, à taille humaine.
Mais au-delà des secteurs eux-mêmes, ce qui fait souvent la différence, c’est la qualité de l’accompagnement. Je suis bénévole au sein du réseau INITIATIVE GUADELOUPE, et je vois au quotidien l’impact des prêts d’honneur et du mentoring sur les trajectoires de ces femmes. Rien qu’en 2023, des dizaines d’entrepreneures ont pu démarrer ou consolider leur activité grâce à ce dispositif.
Les réseaux comme INITIATIVE (Guadeloupe, Martinique et Saint-Martin), le RESEAU ENTREPRENDRE ou les incubateurs comme Les Premières jouent un rôle central dans la structuration d’un entrepreneuriat féminin durable. Ils ne se contentent pas de financer : ils crédibilisent, professionnalisent et insèrent les femmes dans des réseaux autrement difficiles d’accès.
Ma recommandation : Il est impératif de renforcer ces structures, notamment en développant des dispositifs spécifiques aux territoires d’Outre-mer et en facilitant l’accès aux appels à projets pour les TPE dirigées par des femmes.
Dans un contexte encore marqué par le machisme, quels défis les femmes entrepreneures rencontrent-elles lorsqu’elles dirigent des équipes majoritairement masculines ?
La légitimité est le premier champ de bataille. Être cheffe d’entreprise dans des secteurs techniques, ou simplement prendre des décisions face à des partenaires masculins, suppose encore de faire preuve de « sur-légitimité ». C’est une charge invisible mais bien réelle.
L’étude Be a boss a révélé que 70 % des femmes interrogées ne sont affiliées à aucun réseau professionnel. Cela les isole, fragilise leur posture de leader, et les empêche souvent de mutualiser leurs expériences ou de prendre du recul stratégique.
En tant que formatrice et accompagnatrice d’entrepreneures au sein du Centre de formation Agrodyl Skills for Business, je travaille à déconstruire ces schémas mentaux et à former au leadership féminin dans un cadre bienveillant mais exigeant.
Ma recommandation : Il faut intégrer l’égalité de genre dans la gouvernance des écosystèmes entrepreneuriaux et créer plus d’espaces d’expression non mixtes pour libérer la parole et renforcer les pratiques.
L’accès accru des femmes à des postes politiques a-t-il joué un rôle déterminant dans l’essor de l’entrepreneuriat féminin ?
Absolument. L’augmentation de la représentation féminine dans les sphères politiques a été un catalyseur essentiel pour l’essor de l’entrepreneuriat féminin, notamment en Outre-mer. Ces femmes politiques ont non seulement apporté une visibilité accrue aux enjeux d’égalité, mais ont également œuvré concrètement pour créer un environnement propice à l’émergence et à la croissance des entreprises dirigées par des femmes.
Je tiens à rendre un hommage particulier à ma cousine, la sénatrice Victoire Jasmin, qui nous a quittés en octobre 2023. Victoire était une femme d’une détermination remarquable, profondément engagée dans la lutte pour l’égalité des genres. Membre active de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes au Sénat, elle a porté avec conviction les voix des femmes ultramarines sur la scène nationale.
En 2022, elle a apporté son soutien personnel au concours Be a boss Antilles-Guyane, reconnaissant l’importance de valoriser et d’accompagner les initiatives entrepreneuriales féminines dans nos territoires. Sa présence et son appui ont été une source d’inspiration et de légitimité pour de nombreuses femmes aspirant à entreprendre.
Son engagement ne se limitait pas à des discours ; elle agissait concrètement pour faire avancer les choses. Son héritage continue de nous inspirer et de nous guider dans notre mission de promouvoir l’entrepreneuriat féminin en Outre-mer.
Ma recommandation : Il est impératif de renforcer les mécanismes de soutien aux femmes entrepreneures, notamment en intégrant des critères de parité dans les dispositifs d’accompagnement et de financement ou encore dans les appels à projets ou les marchés publics, et en assurant une représentation équitable des femmes dans les instances décisionnelles économiques.
Enjeux à venir pour l’entrepreneuriat féminin en outre-mer
Nous avons posé des fondations solides, mais tout reste à construire pour pérenniser les trajectoires. Je vois quatre priorités :
- Renforcer les réseaux faibles pour casser l’isolement. Selon Mark Granovetter[5], ils sont essentiels à l’accès aux ressources nouvelles. Or, 70 % des entrepreneures interrogées dans notre étude sont en dehors de tout réseau.
- Structurer des parcours de formation adaptés, notamment en gestion financière et en mindset du Leadership.
- Mieux concilier vie pro/perso : créer des dispositifs de garde innovants sur-mesure pour les mères entrepreneures des dispositifs car ils sont cruciaux, notamment pour les mères célibataires (69 % de l’échantillon de l’étude Be a boss).
- Créer des études longitudinales : pour mesurer l’impact réel des dispositifs existants sur la pérennité économique des entreprises féminines.
- Accélérer l’égalité d’accès aux financements : la faiblesse des fonds propres est l’un des freins majeurs à la montée en gamme des entreprises portées par des femmes.
Claudy Lombion
Entrepreneure à impact, fondatrice de TRIAKAZ, DYLIS & AGRODYL
Productrice du film « Des femmes, une voix »
Déléguée Antilles-Guyane du concours national « Be a boss » de 2019 à 2024
Directrice du centre de formation Agrodyl Skills for Business
Militante du possible et actrice de la transformation territoriale en Outre-mer
[1] Etude FMI : “Economic Gains from Gender Inclusion: New Mechanisms, New Evidence», 2018
[2] https://www.des-femmes-une-voix.fr/
[3] La compétitivité et la productivité de l’entrepreneuriat féminin aux Antilles et en Guyane : enseignements d’une étude de cas(Be a Boss), Dr Claudya Parize, Université des Antilles –LaboratoireMEMIAD, avec la collaboration de Claudy Lombion
[4] Sarasvathy, S. D. (2001). Causation and effectuation: Toward a theoretical shift from economic inevitability to entrepreneurial contingency. Academy of Management Review, 26(2), 243–263.
[5]Sociologue américain connu pour ses travaux fondateurs sur les réseaux sociaux et leur rôle dans les dynamiques économiques et sociales. Son concept le plus célèbre est celui des liens faibles (« weak ties »), introduit dans son article emblématique de 1973, The Strength of Weak Ties
Un immense merci à Danik et à toute l’équipe de ZCL News et de CCN pour ce bel article qui met en lumière l’audace, la résilience et la créativité des femmes entrepreneures de Guadeloupe.
Je suis profondément touchée de voir le parcours de Be a Boss Antilles-Guyane reconnu, ainsi que mon engagement à travers le film documentaire Des femmes, une voix. Ce sont autant de projets nés d’un besoin vital : rendre visible l’invisible, montrer que les femmes caribéennes n’attendent pas la permission pour transformer leur territoire.
Un clin d’œil particulier à Manick Siar-Titeca, lauréate 2024 et chroniqueuse ZCL, dont la voix forte et sensible incarne parfaitement cette nouvelle génération de femmes qui osent entreprendre à leur façon. Elle nous partage son engagement dans le film « Des femmes, une voix ».
Merci pour ce relais précieux. Continuons, ensemble, à écrire ce nouveau récit économique, social et culturel au féminin.
Claudy Lombion
Entrepreneure à impact | Productrice | Ex-Déléguée Be a Boss Antilles-Guyane (2019-2024)
Claudy un real « Boss » engagée pour faire briller pas seulement la Guadeloupe mais les Antilles Guyane. Puisses tu te faire entendre par tous ceux qui disent vouloir le développement de nos territoires et que l’accès à l’accompagnement des projets devienne une réalité. Femmes vous êtes reconnues pour votre investissement dans vos projets…Alors on y va, et surtout avec l’objectif de prospérer et de bien gagner sa vie en retour.
Queenzab 👑
#GuadeloupeTerreDeTalents