Réforme des retraites : se réveiller avant les lendemains qui déchantent
Vu de la Guadeloupe, Chronique d’Olivier Nicolas
Basse-Terre. Capitale. Mercredi 8 mars 2023. CCN. Une semaine décisive s’ouvre pour la réforme des retraites actuellement en discussion au Sénat. De l’ampleur de la mobilisation qui commence ce mardi 7 mars, dépend le rapport de forces qui – seul – pourra mettre en échec le Gouvernement dans sa volonté de reculer l’âge légal de départ en retraite de de 62 à 64 ans. Celles et ceux qui n’ont pas encore compris le danger de ces deux années supplémentaires, comme ceux qui ont choisi le masko en se déclarant « ni pour, ni contre », auraient intérêt à mieux connaître la réalité de la retraite en Guadeloupe et dans les Outre-mer pour venir renforcer la mobilisation.
Il y a un mois, pour CCN, nous parlions ici-même de la réforme des retraites comme d’un « moment de vérité » qui devait logiquement conduire les élus et les partis politiques guadeloupéens à s’exprimer clairement sur le projet du Gouvernement de repousser l’âge légal de 62 à 64 ans. Peu l’ont fait, en réalité, en dehors de ceux qui dès le départ ont dit « 64 ans, c’est NON ! » à l’unisson avec les syndicats pour une fois unis derrière ce mot d’ordre.
Ces dernières semaines, ce sont les parlementaires et les partis de gauche composant la NUPES (Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale) en Guadeloupe (les socialistes, les Insoumis, les Verts) qui ont pris l’initiative d’organiser deux « Bik a Pawol » aux Abymes et à Saint-Claude. Des réunions dont le succès (plus de 300 participants au total) a montré qu’il y avait dans notre population un grand besoin d’explications sur les tenants et les aboutissants de cette réforme qui, rappelons-le, n’a fait l’objet d’aucune étude du Gouvernement sur son impact spécifique dans les Outre-mer.
Ce sont aussi les groupes minoritaires de la Région (« Péyi Gwadloup ») et du Département (« Gwadloup Plurielle et Solidaire ») qui ont proposé aux majorités régionale et départementale de prendre position en adoptant une motion – comme cela est déjà arrivé sur d’autres sujets – s’opposant à cette régression sur nos retraites et demandant au moins à ce qu’elle ne soit pas appliquée chez nous. Mais, « macronistes un jour, macronistes toujours », Ary CHALUS et Guy LOSBAR n’ont même pas voulu ouvrir le débat, ni permettre à leurs élu-e-s d’exprimer d’éventuelles réserves. Dommage, car ce débat leur aurait peut-être permis de sortir de leur honteux « ni pour, ni contre » en prenant connaissance de quelques données qui disent encore mieux que les slogans les ravages que la retraite à 64 ans provoquera chez nous.
Experte invitée lors des deux « Bik a pawol » de la NUPES, la sous-directrice de la Caisse générale de sécurité sociale (CGSS) en charge des retraites, Betty BESRY – sans jamais se départir de son devoir de réserve – a en effet livré un panorama du paysage guadeloupéen de la retraite absolument édifiant. La Guadeloupe, ce territoire où comme partout dans les Outre-mer, l’âge moyen de départ en retraite est déjà plus tardif qu’au niveau national (65 ans contre 62,7 ans). Car faute d’avoir travaillé suffisamment pour accumuler un nombre de trimestres nécessaires, bon nombre de nos compatriotes travaillent jusqu’à l’âge maximal de 67 ans pour tenter de partir avec la moins faible pension possible. Il n’est donc pas très difficile de comprendre que les deux années supplémentaires de la réforme seront en réalité deux années de labeur pour rien, pour simplement espérer garder le niveau de pension qu’ils auraient eu en partant à 65 ans.
C’est en effet notre drame ces carrières hachées, souvent commencées tardivement en raison d’un chômage de masse qui frappe durement les jeunes depuis des décennies. Un drame que l’on perçoit à travers plusieurs chiffres illustrant le fossé entre nos territoires et la France hexagonale. Ainsi, seul 1% des retraités guadeloupéens peut s’offrir le luxe de partir en retraite anticipé alors qu’ils sont 21 % au niveau national. A l’heure du calcul des trimestres comptabilisés et cotisés, nos retraités sont trois fois plus nombreux que les hexagonaux à être concernés par des « trous de carrières » d’une année ou davantage (plus de 20 % contre à un peu plus de 6 % au niveau national). Mais, outre les carrières hachées, les chiffres livrées par la CGSS montrent que nos retraités ont bien du mal à faire valoir leurs droits particuliers dans le déroulement de leur carrière. Ains, là où les retraités hexagonaux parviennent en moyenne à comptabiliser environ 2 trimestres d’invalidité et 3 de maladie durant leur carrière, les retraités guadeloupéens n’obtiennent guère plus d’un mois et demi d’invalidité et à peine un trimestre de maladie A croire que chez nous, il y aurait moins de pénibilité ou d’exposition aux accidents du travail ou à des pollutions diverses…
On pourrait rajouter à ce panorama le fait que le chômage des séniors est encore plus fort chez nous qu’en France hexagonale où il atteint pourtant des sommets en Europe. On se contentera de souligner que nos retraités sont déjà plus pauvres que les retraités hexagonaux tout en n’étant pas les plus à plaindre des Outre-mer. Il suffit de regarder la situation à Mayotte ou à Wallis-et-Futuna où l’on est bien en dessous des 500 € mensuels… Mais, en Guadeloupe, un quart des retraités bénéficie du minimum contributif quand, dans l’Hexagone, c’est 14 %. Un minimum contributif qui tutoie le seuil de pauvreté.
Tout cela aurait dû logiquement plaider pour que cette réforme déjà mauvaise pour le pays tout entier ne s’applique jamais dans les Outre-mer. Car, elle y produira de la pauvreté qui conduira un plus grand nombre de nos aînés vers les CCAS des communes, vers les services sociaux du Département, vers les épiceries solidaires et les soupes populaires. Les économies que le Gouvernement croit pouvoir réaliser exclusivement sur le dos des petits retraités, en ayant soigneusement écarté les autres pistes de financement et notamment la taxation des super-profits, généreront un énorme coût social que supporteront les collectivités, les institutions humanitaires et caritatives et les familles.
Voilà pourquoi se déclarer « ni pour, ni contre » cette réforme scélérate est une lâcheté et une faute, car cela revient à fermer les yeux sur les réalités cruelles décrites noir sur blanc par les chiffres de la CGSS et qui seront vécues par un nombre croissant de nos aînés. Voilà aussi pourquoi, ce mardi, il n’y a pas d’autre choix que de se mobiliser partout – et durablement s’il le faut – pour mettre en échec l’attelage MACRON-LR qui poursuit son oeuvre de détricotage des acquis sociaux.
Réveillons-nous. Rien n’est joué.
Olivier NICOLAS