Pawol Lib (Libre Propos) est une nouvelle rubrique de CCN. Notre rédaction propose donc à tous les progressistes qui le souhaitent un espace de communication, une tribune dont le but principal est de porter une contribution au débat d’idées qui fait cruellement défaut dans notre pays. Les points de vue exprimés dans « Pawol Iib » n’engageront pas nécessairement la ligne éditoriale de CCN mais il nous semble indispensable que les intellectuels, la société civile aient la possibilité de pouvoir très librement opiner dans nos colonnes. Cette fois, c’est Jean Marie Nol, économiste qui nous soumet son billet.
La crise morale que vit la Guadeloupe aujourd’hui est d’abord une crise de la culture créole avant que d’être une crise d’adaptation au monde technologique. L’échec des politiques économiques menées depuis cinquante ans de départementalisation, mettant à l’écart la dimension culturelle propice au développement, doit conduire à une réflexion en profondeur tendant à donner une nouvelle impulsion au patrimoine culturel local dans la vie publique, privée et professionnelle. Il s’agit de se penser en guadeloupéen, en identifiant l’intérêt de son pays à celui de la France hexagonale. Il s’agit, en même temps, de se penser en citoyen du monde, un monde où » le localisme ‘ne va pas sans l’interdépendance planétaire.
Il faut décoloniser les mentalités en Guadeloupe c’est-à-dire rendre les esprits à la fois soucieux de sauvegarder les valeurs culturelles créoles et ouverts à l’intégration des apports en provenance de l’extérieur. Il faut changer les attitudes et les comportements de la majorité des guadeloupéens qui ont tendance à penser que tout ce qui provient d’Europe est nécessairement supérieur à ce qui vient de leur propre terroir, qu’il s’agisse des ressources tirées de la nature ou des produits issus de la culture. Dans un monde globalisé caractérisé par l’interdépendance généralisée il appartient aux guadeloupéens de nourrir des relations décomplexées avec la France hexagonale et de renouveler les formes et le fond de notre mentalité par trop pollué par des réactions souvent émotionnelles. Les guadeloupéens doivent cesser de faire de la France le bouc émissaire de tous leurs maux. Ils doivent sortir de la culture de dépendance vis-à-vis de la France, en termes d’aides sociales et d’assistanat, qui bloquent leur imagination, les infantilisent et les condamnent à la passivité. Ils doivent promouvoir la culture de l’ouverture à l’autre, du travail et de l’effort. C’est ainsi, et seulement ainsi, qu’ils pourront conquérir la vraie émancipation et la respectabilité sur le plan international de la Caraïbe
Il convient maintenant prendre conscience qu’il faut décoloniser l’imaginaire du guadeloupéen : il est nécessaire d’imaginer le monde autrement pour que le monde devienne autre. Les guadeloupéens doivent comprendre que le modèle social français a atteint ses limites. Il leur appartient de trouver les voies médianes qui correspondent le mieux à la résolution de leurs propres problèmes ici et maintenant. Il s’agit d’imaginer la vie, la croissance et le développement autrement qu’en termes d’accumulation éhontée des biens matériels et d’exploitation cynique de son prochain et de la nature environnante.
Le débat sur la question de l’adéquation de la culture créole au monde moderne donc des enjeux technologiques de demain est nécessaire aujourd’hui. Il est, plus que jamais, d’actualité. Pour la Guadeloupe l’enjeu est de taille : il s’agit d’éviter ce qui est advenu des saint-martinois de souche aujourd’hui minoritaire dans leur île. Si l’on veut éviter pareille déconvenue, il faut que certains pans de la culture créole actuelle changent radicalement et notamment la mentalité. Dans beaucoup de pays sous -développés, certaines cultures locales et autochtones, peuvent être considérées comme un frein au progrès et ce, en autant qu’elles s’écartent de la culture d’entreprise et du dialogue social entre partenaires sociaux. Il est acquis que l’entrepreneur joue un rôle primordial dans les dynamiques de développement économique. L’activité productive des entrepreneurs est d’autant plus importante que les institutions ainsi que le contexte local lui sont favorables. L’existence de préalables culturels à la croissance économique et à l’activité productive des entrepreneurs reste, cependant, une idée incontournable. Cela vaut pour la Guadeloupe. Car en Guadeloupe ou l’écrasante majorité des entrepreneurs qui réussissent à mener à bien la réussite économique et financière de leurs entreprises ne sont pas guadeloupéens mais français de l’Hexagone ou encore békés Martiniquais… Problème de culture et atavisme. Posons-nous la question de savoir pourquoi ? Le principal écueil du modèle culturel actuel des guadeloupéens, peut se résumer en une seule formule, volontairement schématique : l’inadéquation à la mutation sociologique et technologique du monde moderne. Il suffit d’évoquer quelques faits d’évidence. Il y a d’abord l’ignorance, par certaines familles en Guadeloupe de l’importance de transmettre des valeurs positives. Il y a ensuite, au niveau même des politiques éducatives, l’absence d’une définition claire du type d’homme et de citoyen que l’on veut former pour la Guadeloupe de demain. Il y a enfin, de la part des responsables politiques et économiques, l’inexistence d’un projet de société clair qui mobilise toutes les énergies disponibles et soit à la hauteur des énormes transferts budgétaires consentis par la France. Cette inadéquation de la culture créole persiste malgré les proclamations discursives des hommes politiques qui affichent, depuis la départementalisation, une conscience claire des problèmes à résoudre sans toutefois parvenir à renverser la vapeur de l’assistanat en raison du clientélisme ambiant en Guadeloupe. Ceci s’explique par le fait que les réformes proposées, à cadence accélérée et au gré des bailleurs de fonds, ne touchent pas aux vrais problèmes de société et ne se donnent pas les moyens adéquats pour les résoudre. Il y a, bien sûr, des causes qui tiennent à la politique : selon le point de vue adopté, la Guadeloupe serait victime, tous ensemble ou non, de la malveillance de l’ancienne puissance coloniale qu’est la France et de la mal-gouvernance de ses propres élus locaux. Quand on parle de la dépendance politique et économique voire financière de la Guadeloupe vis-à-vis de la France et de l’Europe, on pense généralement aux domaines politique et économique. On pourrait ajouter la dépendance alimentaire et sanitaire.
Or la plus profonde des dépendances de la Guadeloupe vis-à-vis de la France et de l’Europe est, selon moi, d’ordre culturel : elle concerne les domaines vitaux de l’école, de la langue, de la production du livre (scolaire et littéraire), des arts, de la culture générale, des médias (écrits et audio-visuels), de la recherche universitaire et scientifique. La vraie émancipation de la Guadeloupe, donc la possibilité de son développement réel dans tous les domaines, est impensable sans son émancipation culturelle. Là se trouve probablement la vraie origine du mal guadeloupéen : le mimétisme aveugle. Il ne s’agit pas de remettre en question le modèle de l’école française imaginé par Charlemagne qui s’avère, en bien des points, supérieur à d’autres modèles ; il s’agit de l’adopter de façon clairvoyante et de l’adapter à des environnements spécifiques de façon efficace.
L’enfant guadeloupéen d’aujourd’hui, comme l’adulte qu’il sera demain, est un produit de mélange, assez bien réussi, de la culture traditionnelle créole prodiguée par la famille et de la culture occidentale dite moderne assurée par l’école. En fait, s’agissant du retard économique et technologique pris par le pays Guadeloupe et des difficultés du département à décoller malgré l’aide considérable apportée de l’extérieur , on a évoqué, surtout ces dernières années, les blocages d’ordre culturel : le poids négatif de certaines traditions désuètes, l’archaïsme des mentalités, l’incapacité (congénitale ?) des guadeloupéens à se gérer eux-mêmes et à rentrer dans le mouvement général des peuples vers le mieux-être, le refus même du développement autocentré , voire l’inutilité de l’économie de production .
Pour ma part, j’ai la conviction que la culture voire l’atavisme d’une communauté peut être un obstacle à son développement ; qu’elle conditionne la politique et l’économie à tel point qu’il n’y a pas de conscience politique ou de développement économique véritable sans véritable émancipation culturelle. Or, Il me semble que l’une des causes majeures de nos problèmes aujourd’hui et du bilan notoirement insuffisant de nos élus réside dans la trop grande dépendance vis-à-vis des modèles culturels hérités de la mondialisation. Qu’il s’agisse du phénomène de gang des jeunes, des chansons, des mœurs, la Guadeloupe cultive un mimétisme aveugle et fait montre d’une étonnante incapacité à promouvoir ses propres valeurs identitaires et à assumer de façon adéquate la conjonction entre les éléments les plus valables de son héritage séculaire et ceux qui proviennent de l’emprunt le plus légitime à d’autres cultures, notamment françaises voire pour certains jeunes la culture de la rue américaine. C’est là le vrai point faible d’un pays par ailleurs trop assisté et trop endetté au niveau de ses collectivités, qui est considéré aujourd’hui, par beaucoup, comme un grand corps malade. Il ne s’agit pas, dans cette démarche, d’effacer la mémoire ni même le fait esclavagiste et colonial mais de le dépasser, en assumant, et de le rentabiliser, en l’adaptant à son propre environnement. L’expérience montre que les pays qui ont le mieux réussi, y compris les puissances dites « émergentes » (Chine, Inde, Corée du Sud, etc.), sont ceux qui ont su assimiler les emprunts indispensables aux autres cultures sans renoncer aux valeurs essentielles de leur propre héritage. C’est de cette symbiose harmonieuse que la Guadeloupe a besoin, au XXIe siècle, pour enfin pouvoir décoller technologiquement, économiquement, moralement.
Il faut réinventer au XXIe siècle notre culture, la refonder sur des bases saines, en adéquation avec les besoins de l’environnement : notre mentalité doit s’affranchir des carcans dans lesquels l’enferment des conceptions passéistes qui interdisent toute évolution vers un avenir serein. L’espoir à notre sens ne peut provenir que des jeunes guadeloupéens de la diaspora actuellement en France hexagonale et à l’étranger. Mais, tout le monde ne peut pas devenir entrepreneur en Guadeloupe et développer le pays.
Certains profils en Guadeloupe actuellement ne sont pas forcément faits pour ça.
Mais au-delà du discours, la réalité se montre souvent cruelle. Tous les appelés ne seront pas élus.
Les jeunes générations de guadeloupéens vivants au pays veulent devenir fonctionnaires, pas entrepreneurs. Et pourtant, créer son entreprise pour développer l’économie de la Guadeloupe reviendrait à emprunter la voie royale, celle du succès, de la liberté et de l’audace. Un rêve à portée de main à mon avis uniquement pour les jeunes s’étant confronté à un autre environnement culturel que celui de la Guadeloupe. Je crois pourtant que tout un chacun devrait se saisir des opportunités, particulièrement à l’heure où le salariat est menacé de disparaitre sous les coups de boutoir de la révolution numérique et l’intelligence artificielle …
Jean-Marie Nol. -économiste guadeloupéen-