
Guadeloupe. Société. Es fanm Gwadloup enmé nonm a yo ?
Pointe à Pitre. Lundi 02 juin 2025.CCN. Et si cette question en apparence simple cachait une réalité plus complexe ?
S’interroger sur l’amour entre les hommes et les femmes en Guadeloupe, c’est aussi ouvrir une réflexion sur l’évolution de la femme dans notre société patriarcale et post esclavagiste.
De plus en plus indépendante, la femme guadeloupéenne assume ses choix, défend ses convictions et affirme sa liberté. Cette nouvelle identité de la femme guadeloupéenne impacte-t-elle sa façon d’aimer et de démontrer son affection ? Pour nous aider à décrypter le langage de l’amour des fanm gwadloup nous avons rencontré Raphaël Spéronel, Psychologue Consultant en Guadeloupe depuis plusieurs décennies. Il nous apporte son éclairage pour mieux comprendre les dynamiques affectives et émotionnelles qui traversent les couples d’aujourd’hui.
L’enquête CCN
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1. Redéfinition du statut de la femme Guadeloupéenne
CCN : Aujourd’hui, a-t-on le sentiment que certaines femmes guadeloupéennes se détournent des hommes ? Si oui, pourquoi ?
Raphaël Spéronel : C’est une impression qui se vérifie parfois, cela tient d’une relation actuelle entre homme femme qui obéit au principe attirance / répulsion, du genre : je t’aime moi non plus.
Le registre relationnel inter sexe ou inter genre est plus facile, moins conditionné, l’homme dans sa définition singulière n’est plus l’unique choix ou destinée pour la femme.
Comprendre les relations Femmes / Hommes :
- C’est d’abord, réintroduire une histoire tumultueuse de disqualification culturelle de l’homme qui a laissé de forts impacts dans les imaginaires et la fonction symbolique. Cela pénalise le présent car il y a un biais socio-affectivo-historique profondément intériorisé et qui constitue un poids qu’il faut pouvoir transcender.
- C’est ensuite, comprendre la modernité avec sa valse de remise en cause de valeurs classiques, traditionnelles et patrimoniales. La perception des hommes, les représentations sociales et les images mentales qui les concernent ont été profondément affectées par l’évolution des statuts, des positionnements, des pouvoirs accordés juridiquement et d’un point de vue sociétal… de même que les femmes ont beaucoup gagné en puissance, en statut et en droit.
2. Des mères d’hier aux femmes d’aujourd’hui : un choc de temporalité
CCN : En quoi la relation entre femmes et hommes aujourd’hui diffère-t-elle de celle de nos mères ou grand-mères ?
Raphaël Spéronel : Les écosystèmes sociopolitiques et socio-institutionnels ne sont plus les mêmes, les attentes sociales également. Le monde a plus changé ces cinquante dernières années que les siècles d’avant…les besoins, les attentes et les désirs de l’autre s’expriment différemment et se réalisent aussi différemment. Les femmes et mères d’aujourd’hui ne sont pas nostalgiques du temps de leurs propres parents même si parfois, elles en paient le prix fort.
Il y a un choc de temporalité : l’espace et le temps qui définissent nos grands-parents relèvent d’un passé révolu et d’un passif encore vivace.
Les mères actuelles peuvent revendiquer leur statut et leur personne sans conflit majeur.
3. Femmes en quête de sens, hommes en perte de repères ?
CCN : La vision que les femmes portent sur les hommes a-t-elle changé ? Et comment les hommes le vivent-ils ?
Raphaël Spéronel : Oui, la vision a changé, elle s’est grandement nuancée, elle ne se restreint plus aux exigences sécuritaires, amoureuses ou économiques ; Il y a en plus maintenant, pour la femme des exigences de réalisation personnelle et sociale, de développement personnel et d’estime de soi, d’expression authentique et de construction mutuelle, de reconnaissance en tant que personne, citoyenne et âme pensante.
Certains hommes vivent cela mal, comme une remise en cause, de leur place historiquement hégémonique et centrale, d’autres arrivent à négocier des espaces de partage et de communauté, d’autres encore décrochent totalement…
Les fondements sociaux et repères socioculturels qui fondent la construction des identités individuelles et collectives subissent des remises en cause importantes par les réseaux sociaux, les retombées des évolutions des modes de vie et de consommer, la fragilisation des images totémiques de l’Homme et aussi de la Femme. La précarisation des vies et la vulnérabilité des projections dans le futur modifient la vision du vivre ensemble.
4. Le machisme… Une compensation de type névrotique
CCN : Le machisme guadeloupéen est-il, selon vous, un facteur central dans les tensions entre les sexes ?
Raphaël Spéronel : Le machisme est une idéologie en acte qui comprend des comportements indus, des attitudes et des représentations autour d’une primauté de la masculinité et des comportements de prédation, de virilité et de suprématie sexuelle.
En Guadeloupe, le machisme apparaît souvent comme une compensation de type névrotique, elle va adopter des choix objectifs « m’as-tu vu », décalés, parfois puérils. Cela va entrainer des relations dissymétriques entre l’homme et la femme et donc des tensions dues aux inégalités vécues ou ressenties.
Sorti des modes, du star système et du monde du show business, le machisme ne paie plus, il est latent en Guadeloupe parfois mais complètement ridiculisé comme modélisation sociale d’une façon d’être au monde.
Je n’y crois pas…
5. Nonm-la pè lè i vwè on fanm ka réisi !
CCN : Les femmes sont-elles aujourd’hui plus attachées à l’indépendance et à la réussite matérielle qu’à la vie affective ?
Raphaël Spéronel : Aux deux : réussite matérielle et professionnelle, échelle de prestige, indépendance affichée et bonne et belle réussite affective. Apparemment une bonne synthèse est difficile à obtenir pourtant c’est possible, car cela ne relève pas des mêmes catégories de vie et d’évolution. Mais l’équation et l’équilibre doivent et ne peuvent se faire que si le compagnon le permet aussi par son ouverture d’esprit, ses échelles de mérite, le type d’amour qu’il dévoue à sa compagne, sa maturité affective.
Ceci dit, dans le mental local, la réussite sociale et matérielle d’une femme fait « peur » aux hommes, elle est souvent isolée et « fait fuir » les prétendants.
6. Mariage et maternité : un modèle en jachère
CCN : Le recul du mariage et de la maternité traduit-il un choix ou une forme de protection ?
Raphaël Spéronel : On le trouve partout ce recul. C’est un modèle qui a vécu son heure de gloire. Crise du couple et ouverture du concept de famille, et de parentalité. Les modalités du vivre ensemble ont explosé ou implosé selon l’angle de vue : « tradition ou modernité ». Il faut aussi que le choix du mariage résiste à la durée, aux choses de la vie, à la routine. Parfois, l’envie du mariage se heurte à la peur d’un engagement pour la vie. La valeur mariage est en jachère au profit de formes plus libertines, moins impliquantes.
Le mariage n’est plus une forme privilégiée de protection ou de refuge ; la maternité a aussi subi les foudres de toutes les formes de gestation et de désir d’enfantement. L’époque est à la désolidarisation du triptyque : Mariage, Amour fidèle, Enfant.
7. Entre crise de modèles et pouvoir de choisir
En conclusion, la Guadeloupe est aussi dans sa modernité, ouverte au temps et à l’espace de la civilisation monde et au choc des civilisations, elle est profondément métisse dans son identité et ses appartenances et cela date dès son origine.
Les modélisations traditionnelles locales sont en crise continue du fait de la fulgurance, de la brutalité, de la totalité, du changement global. On assiste à une lutte des valeurs et de leurs adéquations aux comportements attendus ou espérés, les valeurs sont actuellement diffuses, transfuges et mettent à mal ceux qui s’attachent aux ancrages patrimoniaux, traditionnels, classiques… d’un passé révolu qui a bougé dans ses définitions et rôles.
Les relations hommes / femmes sont inscrites dans une temporalité historique mais elles ne sont pas une fatalité, les personnes construisent chaque jour leur devenir et peuvent infléchir à chaque instant des destinées qui pourraient apparaître inéluctables.