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Guadeloupe. Manger.  Pas de souveraineté alimentaire sans agriculteurs 

Guadeloupe. Manger.  Pas de souveraineté alimentaire sans agriculteurs 

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Pointe à Pitre. Jeudi 24 avril 2025.CCN. Dans notre précédent article sur la souveraineté alimentaire, nous avons présenté quelques pistes pour atteindre la souveraineté alimentaire. Etant donné notre situation de grande dépendance alimentaire vis-à-vis de l’extérieur, il nous semble urgent de travailler sur 3 piliers afin d’augmenter les chances pour rendre notre peuple plus souverain. Dans cet article, nous commencerons par l’un des piliers qui nous semble primordial c’est celui de la population agricole.

Analyse de  Pamela  Obertan [1]

En effet, il ne peut y avoir de souveraineté alimentaire et notamment, d’augmentation de la production locale sans agriculteurs. Ils sont la clé de voûte de tout le système agricole. Or, on observe dans le monde une disparition des agriculteurs. Alors que pendant des millénaires la population mondiale était essentiellement agricole, aujourd’hui d’après les chiffres de la FAO, notre production repose sur le dos de 866 millions d’agriculteurs soit 10.8% de la population mondiale. Cette tendance est encore plus marquée dans les pays industriels à l’instar de la France. Par exemple au milieu du XIXème siècle, la population rurale représentait plus de la moitié de la population française[2]. En 1945, ils étaient plus de 10 millions pour ne plus être que 496 000 agriculteurs au dernier recensement de 2020 soit 0.74% de la population française.

En Guadeloupe, malgré une certaine résistance et une population agricole bien ancrée, la digue a lâché et il est temps de tirer la sonnette d’alarme mais surtout d’agir vite.

En effet, d’après les derniers chiffres du recensement agricole la Guadeloupe compte « 7 254 exploitations agricoles, soit 7 % de moins que lors du précédent recensement de 2010 »[3]. Cette diminution est heureusement moins forte qu’entre 2000 et 2010 où l’on a vu une réduction de 36% d’exploitations agricoles.

En 2020, le nombre de chefs et d’exploitants agricoles est lui aussi descendu et on ne compte que 7331 agriculteurs soit 1.93 % de la population guadeloupéenne. C’est extrêmement bas et largement insuffisant si l’on souhaite augmenter la production locale.

De même, le vieillissement de la population agricole s’accélère et les derniers chiffres ne sont guère encourageants. On note par exemple que plus de la moitié des exploitations sont dirigées par au moins un exploitant de 55 ans ou plus et près d’un tiers des exploitations sont dirigées par au moins un exploitant de plus de 60 ans.  Ces chiffres sont très préoccupants car dans la décennie qui va suivre la grande majorité (près de 84%) des agriculteurs auront atteint l’âge légal pour la retraite ou le seront déjà. La question de l’avenir de notre agriculture se joue maintenant même si la moitié des exploitants de plus de 60 ans n’envisage pas de départ à la retraite immédiat.

Il est donc urgent de prendre ce problème à bras le corps. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre une autre décennie à attendre que les chose se fassent d’elles-mêmes. Dans le cas contraire, nous risquons de ne plus avoir d’agriculteurs, ces derniers seront trop vieux ou à la retraite. Seule une politique publique volontaire et ingénieuse peut endiguer ce phénomène.

A cet effet, plusieurs axes sont possibles, mais l’un des prioritaires serait en premier lieu d’augmenter le montant des retraites des agriculteurs afin qu’ils puissent prendre leurs retraites paisiblement.  En effet, la retraite qui correspond à une carrière complète d’exploitant agricole à titre principal s’élève à 3 905,37 €/an en 2025 (soit 325,44 €/mois). La loi Chassaigne de 2021 pour certaines catégories d’agriculteurs augmente la retraite plancher de certains agriculteurs, la passant ainsi de 75 % à 85 % du Smic notamment lorsque le montant de la retraite est trop bas. Mais peu importe ces changements, les montants alloués sont insuffisants et je dirais même inadmissibles pour que les agriculteurs puissent vivre dignement surtout dans un territoire insulaire où tout est beaucoup plus cher. Il y a donc urgence à valoriser considérablement les retraites des agriculteurs et de tenir compte de la cherté de la vie dans le calcul de la somme octroyée aux agriculteurs. La balle est donc entre les mains de nos députés et sénateurs.

L’autre axe prioritaire en second lieu, serait que tous les départs à la retraite soient accompagnés d’une transmission des terres agricoles vers de jeunes agriculteurs.  Des bonus pourraient être donnés aux agriculteurs transmettant leurs terres à des jeunes agriculteurs. C’est d’ailleurs ce qu’a mis en place la Région Ile de France. Celle-ci est confrontée comme la région Guadeloupe à une diminution des fermes (-12%) et surtout plus de 50% de ces agriculteurs seront à la retraite d’ici 2034. Afin de ne pas perdre ces terres agricoles et préserver le système alimentaire de 12 millions de consommateurs franciliens, la Région Ile de France a sorti les gros moyens en votant en janvier 2024 une aide régionale permettant aux agriculteurs proches de la retraite et qui transmettent leurs exploitations à un jeune agriculteur de bénéficier d’un montant forfaitaire de 30 000 euros. En parallèle elle a aussi augmenté l’aide à l’installation du jeune agriculteur qui passe de 12 000 euros à 22 000 euros[4].

Ce type de politique est très intéressante et pourrait être déclinée dans notre archipel. De plus, il serait possible d’imaginer un compagnonnage entre le jeune et l’agriculteur senior pour avoir une transmission de patrimoine mais aussi de savoir-faire, de savoir -être, de culture, d’histoire et d’identité. L’agriculteur pourrait aussi louer ses terres agricoles aux jeunes.

En troisième lieu, il faut continuer la formation des jeunes et les inciter à prendre la relève. Malheureusement, les annonces de suppression de 889 heures d’enseignement au lycée agricole vont dans le mauvais sens. Il est nécessaire de revenir sur cette mesure pour assurer un enseignement de qualité à la jeunesse.

Ensuite en quatrième lieu l’une des autres mesures phares pouvant être prise est de revaloriser le métier d’agriculteur.

Cette plus grande considération de nos agriculteurs doit déjà commencer sur un plan symbolique ! Il importe de décoloniser nos têtes, l’agriculture ne doit pas être un métier de misère dont personne ne veut ou encore être la voie de garage pour ceux qui ont échoué dans le système scolaire. Aujourd’hui à l’ère des chocs globaux, dans un contexte d’effondrement des civilisations technologiques et artificielles, ce sont les agriculteurs qui peuvent nous assurer notre survie, notamment sur le plan alimentaire. Sans eux, nous rencontrerons bien des difficultés à nous nourrir car la modernité de notre société a entraîné une perte des savoirs et une déconnexion avec le vivant. Les agriculteurs qui sont en contact permanent avec la Nature peuvent nous aider à retrouver le chemin d’une autre Vie, d’un autre rapport au monde.

Par conséquent, afin qu’ils puissent continuer à jouer ce rôle, le salaire des agriculteurs en activité doit lui aussi être considérablement revalorisé. En effet, en 2021 le revenu annuel moyen de nos agriculteurs après paiement des charges sociales toutes exploitations confondues s’élève à 20 991 euros[5]. C’est largement insuffisant compte tenu qu’une bonne partie touche beaucoup moins que ce montant qui n’est qu’une moyenne générale. Par ailleurs, lorsque l’on observe tous les services que peuvent nous rendre les agriculteurs, il y a de quoi être offusqué par cette faible rémunération.

En effet, les agriculteurs nous permettent d’avoir accès à des produits frais, riches en vitamines, nutriments et antioxydants qui sont bons pour notre santé. C’est une alimentation vivante en opposition à l’alimentation mortifère que nous offrent les industriels. Ces derniers nous vendent de plus en plus cher des aliments gorgés de sucre, de gras, d’additifs, des produits chimiques et maintenant des denrées alimentaires pouvant contenir de « la poudre de ver de farine ». Cette alimentation on le sait aujourd’hui a engendré des maladies chroniques : diabète, hypertension, obésité mais aussi d’autres maladies dont on parle moins à l’instar des troubles de déficit d’attention, des maladies mentales…. Il est grand temps que collectivement nous puissions appuyer notre agriculture notamment pour notre santé et réduire ainsi les dépenses en maladie.

De plus, on l’oublie trop souvent les agriculteurs jouent un rôle encore important dans la conservation, l’identité du territoire, de sa culture, son entretien et l’aménagement des paysages. Que reçoivent-ils pour cela ? RIEN et souvent même pas un merci ! Il faudrait alors prévoir une prime pour tout ce travail réalisé le plus souvent de manière bénévole.

Par ailleurs, en raison des nombreux changements, de la prise de conscience écologique de la population et des pollutions comme le chlordécone ayant créé de nombreuses maladies, notre agriculture doit changer et muter. Les recherches l’ont montré à maintes reprises, une agriculture basée sur les principes d’agro-écologie permet d’avoir des sols plus sains et plus fertiles mais aussi avec une biodiversité plus importante[6]. Ce modèle agricole a un impact positif sur les eaux de rivière mais aussi sur la mer qui ne se retrouvent plus avec des pollutions de tout genre. Ce type d’agriculture a également la capacité de mieux séquestrer le carbone limitant les émissions de gaz à effet de serre.

En conséquence, nous proposons que les agriculteurs qui n’utilisent plus de produits chimiques et qui s’orientent vers une agriculture respectueuse de la Nature soient en mesure de bénéficier d’une sorte de prime au respect de la biodiversité. Celle-ci prendrait en compte tous les services écosystémiques rendus par l’agriculteur mentionné plus haut. Afin que cela fonctionne et touche la majorité des agriculteurs de notre île, il faudrait les accompagner techniquement, financièrement et administrativement afin qu’ils réalisent cette transition vers l’agro-écologie.

Nos agriculteurs retrouveraient de la sorte, leurs rôles millénaires : celui de gardien du vivant, rôles qu’ils avaient avant l’intervention des politiques publiques agricoles destructrices.

Nos agriculteurs guadeloupéens sont des résistants, beaucoup n’ont pas succombé aux sirènes du progrès et ils ont conservé ainsi des savoirs ancestraux. Ils ont tenu à bout de bras au prix de sacrifices importants, d’un labeur acharné notre système alimentaire, nos terres agricoles, notre culture, notre identité et nos paysages.

Il est grand temps de les remercier comme il se doit (notamment par une meilleure rémunération et une retraite digne) mais aussi de ne pas rester passif face au rouleau compresseur du complexe agro-chimie et industriel qui menace notre système alimentaire. Il nous appartient à nous citoyens, élus, chercheurs, agro-transformateurs, restaurateurs, distributeurs de nous joindre à nos agriculteurs, de les comprendre et de les soutenir. Il faut remettre l’Eglise au milieu du village et là il faut redonner aux agriculteurs leurs centralités pour nos sociétés, reconnaître leurs rôles vitaux mais surtout faire avec eux. Toute politique publique agricole, tout projet de développement concernant l’agriculture ou les terres agricoles doivent se faire désormais en concertation et en co-construction avec les agriculteurs.

En conclusion, tel que l’écrivait Frantz Fanon dans son livre les damnés de la Terre « chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ». Nous avons moins d’une décennie pour agir. De nos choix ou de nos inactions dépendra le nouveau visage de l’agriculture. Quel chemin prendrons-nous donc durant cette décennie ? Laisserons-nous notre système alimentaire aux mains du complexe agro chimique qui nous fournit des produits vides de toutes substances, des sols et de l’eau gorgés de produits chimiques et mortifères ou battons-nous pour co-gérer notre système alimentaire avec nos agriculteurs et atteindre ainsi notre souveraineté alimentaire ? Alors du fond du cœur j’invite notre peuple à un véritable sursaut pour qu’il se mobilise de telle manière à pouvoir laisser à nos enfants une agriculture jeune, dynamique, écologique, nutritive. Et là nous aurons accompli notre mission !!!

[1]          Maîtresse de conférences en sciences politiques à l’université des Antilles

[2]          Molinier Jean. L’évolution de la population agricole du XVIIIe siècle à nos jours. In : Economie et statistique, n°91, Juillet-Août 1977. pp. 79-84 ; doi : https://doi.org/10.3406/estat.1977.3127 https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1977_num_91_1_3127

[3]          AGRESTE, (Mai 2022) Recensement agricole résultats définitifs. https://daaf.guadeloupe.agriculture.gouv.fr/recensement-agricole-2020-publication-regionale-a1518.html

[4]                Région Île de France « Agriculture : 30 000 euros pour accompagner la transmission des exploitations » (16 février 2024) https://www.iledefrance.fr/toutes-les-actualites/agriculture-30-000-euros-pour-accompagner-la-transmission-des-exploitations

[5]          DAAF, « RICA 2021 : Résultats économiques des exploitations agricoles de la Guadeloupe en 2021 » (Publié le 29/09/2023) https://daaf.guadeloupe.agriculture.gouv.fr/rica-2021-resultats-economiques-des-exploitations-agricoles-de-la-guadeloupe-en-a1822.html

[6]          Moulin, C., Vaillant, V., Diman, J.L., Angeon, V., Burner, F., et al. (2019) The Impact of Agricultural Practices on Soil Organisms: Lessons Learnt from Market-Gardens. Asian Journal of Agricultural Extension, Economics and Sociology, 34, 1-12. 10.9734/ajaees/2019/v34i130188. hal-02622632 https://doi.org/10.9734/ajaees/2019/v34i130188

Paméla Obertan

2 réflexions sur “Guadeloupe. Manger.  Pas de souveraineté alimentaire sans agriculteurs ”

  1. Très belle analyse, malheureusement ce n’est demain qu’on arrivera. Le revenu de l’agriculture ne permet d’avoir un salaire autour du SMIC ! une retraite lui permettant de laisser son exploitation au profit d’un jeune ! Donc le revenu est essentiel pour inciter un à s’orienter vers cette spéculation. Ce ne sont pas Nos 4 députés et 3 sénateurs qui pourront définir une politique publique et volontaire pour la Gpe la politique se fait au niveau national. Bon courage.

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