
Guadeloupe. Société. Fanm Gwadloup : Entre silences intimes, violences visibles : é lanmou la ?
Pointe à Pitre Lundi 02 Juin 2025.CCN. En Guadeloupe, les relations hommes/femmes traversent une zone de turbulence, alimentée par des blessures émotionnelles, des silences culturels, une précarité persistante, et des injonctions sociales contradictoires. Aujourd’hui, se mettre en couple devient parfois une échappatoire à la solitude ou à la précarité. Mais quand la relation est mal construite, elle devient elle-même une prison. Entre frustration affective, violence psychologique et sexualité désincarnée, de plus en plus de femmes – mais aussi d’hommes – témoignent de liens brisés ou étouffants. Deux voix engagées nous éclairent : celle de Sandra François, présidente de l’association GUADAV, et celle d’Ingrid Dauloir, sexothérapeute, qui accompagne les blessures invisibles du couple..
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Des relations précipitées, des tensions amplifiées depuis la crise Covid
Sandra François constate une tendance forte depuis la pandémie : « Les jeunes se mettent en couple très rapidement, parfois après seulement deux mois de relation. Et les enfants suivent vite. » .
Cette précipitation, couplée à une méconnaissance de soi et de l’autre, à une mauvaise gestion des émotions — particulièrement chez les hommes — et à la consommation de stupéfiants (notamment de cannabis), crée des couples fragiles, non préparés, instables et vulnérables.
“Depuis deux ans, on voit de plus en plus de violences réciproques. Les victimes peuvent aussi devenir bourreaux.”
Chez les femmes âgées de 20 à 35 ans, Sandra François observe un schéma répétitif : le couple est un refuge contre la précarité, une tentative d’échapper au carcan familial. Mais quand la violence surgit, elles restent liées par la culture du silence, une valorisation de la débrouillardise, la peur du jugement familial ou du regard social, jusqu’au jour où un choc survient.
Elle détaille l’escalade en lien avec une stratégie de contrôle : « Ça commence par une gifle, du dénigrement, puis un contrôle insidieux : avec qui tu parles, comment tu t’habilles, qui tu vois. On parle de violence coercitive. » Et parfois, le passage à l’acte est plus grave, souvent sous l’œil d’enfants pris dans la tourmente familiale.
Une sexualité mal vécue… et parfois violente
Ingrid Dauloir le confirme : « En Guadeloupe, parler de sexualité, ce n’est jamais neutre. C’est tissé de notre histoire coloniale, de notre culture créole, des transmissions familiales et religieuses. » Le désir reste un sujet tabou, souvent associé à la performance, à la honte ou à l’interdit.
Résultat : dans les couples, le manque d’intimité devient un terrain fertile pour les tensions, les frustrations, voire les violences. « La sexualité est un langage. Quand ce langage est abîmé ou absent, cela crée du ressentiment, de la distance. »
Sandra François ajoute : « Oui, il y a des situations où la frustration sexuelle devient un prétexte à la violence. Elle refuse un rapport ? Il le vit comme un affront. Pour lui, elle lui appartient,la femme est sa chose. »
Monoparentalité et désillusion amoureuse
L’association Guadav travaille avec de nombreuses femmes seules.
“Beaucoup de femmes sont à bout. Elles lâchent prise sur l’éducation.”
Cette fatigue extrême donne naissance à une figure maternelle sacrificielle, dans laquelle les enfants puisent une vision faussée du couple. Les filles, en particulier, développent une logique utilitaire du lien amoureux : un pour l’argent, un pour les sorties, un pour les câlins. Ces rôles multiples ne sont pas perçus comme une dérive mais comme une stratégie de survie affective.
Les réseaux sociaux n’arrangent rien. Tout est instantané. Le rapport à l’amour est complètement biaisé: hypersexualisation, esthétique lissée, monétisation de l’image (onlyfans), amour jetable (effacé d’un “swipe”)
GUADAV : accompagner, écouter, reconstruire
Face à ces réalités, GUADAV (Guadeloupe Accès au Droit et Aide aux Victimes) propose un accompagnement global, confidentiel et gratuit pour toute personne victime d’infractions pénales ou de violences conjugales.
L’association agit sur plusieurs plans :
- Juridique : information sur les droits, constitution de dossiers, médiation pénale. ● Psychologique : accompagnement thérapeutique des victimes, accueil et écoute. ● Social : accompagnement dans les démarches, soutien dans l’urgence.
- Prévention : ateliers dans les établissements scolaires, campagnes de sensibilisation sur le harcèlement, la violence, et la santé relationnelle.
Leur objectif : sortir les femmes (et hommes) de l’isolement, leur redonner des clés de compréhension, de sécurité et de reconstruction.
Rebâtir le lien : un travail nécessaire
Alors, comment réparer ? La sexothérapeute propose une piste : « Revenir à la sécurité émotionnelle, à la confiance, à la communication. Sortir de la performance, de la pression, et réapprendre à se rencontrer. »
Mais le plus difficile reste à faire : oser demander de l’aide. « La thérapie est encore perçue comme un échec. Beaucoup attendent que tout soit détruit avant de consulter. Pourtant, changer sa manière d’être en couple, c’est un apprentissage. »
Parler pour ne plus subir
Les deux femmes le disent avec force : le silence est une alerte, pas une solution. Que ce soit dans l’intimité ou dans la sphère sociale, parler, se faire aider, se reconstruire, doit devenir un réflexe.
La Guadeloupe a besoin de lieux de parole, d’espaces de soin émotionnel, et de nouveaux récits. Il est temps de dire les choses, de transformer les héritages, et de bâtir des relations basées sur le respect, l’amour choisi… et non subi.